Fil d'Ariane
Marguerite Jeanne Carpentier est née en 1886. Elle était peintre, sculptrice et graveuse, et fut la quatrième femme reçue aux Beaux-Arts de Paris. Dans le Paris des années folles, elle vivait librement son amour pour une autre femme. Chose suffisamment rare pour être soulignée, elle a vécu de son art toute sa vie grâce aux salons artistiques et une clientèle fidèle, avant de tomber en désuétude dans les années 1960. Mais aujourd'hui qui s'en souvient ?
Les oeuvres de Marguerite Jeanne Carpentier ressurgissent dans une petite rue du 17e arrondissement de Paris, dans l'atelier d'une restauratrice d'oeuvres d'art, Marion Boyer. Devant une grande toile intitulée Jupiter et Antiope, elle raconte comment elle a retrouvé par hasard cette oeuvre magistrale de l'artiste lors d'une vente aux enchères.
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— Typhaine D (@TyphaineD_) September 17, 2022
Tout de suite, le regard aiguisé de la restauratrice a reconnu l'ambiance, le sujet, la touche de Marguerite Jeanne Carpentier, car ses parents connaissaient l'artiste et collectionnaient ses oeuvres. Et pourtant, rien, aucune signature, aucun document n'attestait l'authenticité du tableau. C'était compter sans l'aide des techniques modernes : "La lumière infrarouge m'a permis de détecter les premières lettres de son nom, même si un doute pouvait encore subsister. Alors j'ai mené l'enquête, dans les archives, et retrouvé une photo où l'on voit l'artiste dans son atelier avec Jupiter et Antiope."
Qui est capable de rayer une signature ? Pour Marion Boyer, cela ne fait aucun doute : un antiquaire, un propriétaire ou quelqu'un d'autre a sciemment voulu dissimuler l'origine de l'oeuvre pour tromper d'éventuels acheteurs et faire monter les prix en la vendant comme un tableau du 18ème siècle. "Parce que c'est une belle peinture, donc elle attire, mais signée d'une femme, une artiste non suivie, non documentée, ça ne fonctionne plus. Mieux vaut un tableau anonyme que d'afficher la signature d'une inconnue."
A sa mort, en 1965, Marguerite Jeanne Carpentier n'avait pas d'héritier et ses oeuvres ont été dispersées. "Voilà comment une peintre talentueuse disparaît si personne ne s'investit pour écrire des livres, faire des inventaires, la présenter dans des musées et des expositions," explique Marion Boyer.
Elles ont écrit, elles ont peint, elles ont sculpté, elles ont composé, mais l'histoire ne les retient pas.
Marie Guérini
En ces journées du matrimoine, la restauratrice ouvre son atelier au public pour montrer comment elle remet Marguerite Jeanne Carpentier à la hauteur de son talent : "J'enlève ce vernis jaunâtre qui ne lui correspond pas pour révèler les véritables couleurs du tableau, puis je vais découvrir au scalpel la date et sa signature". C'est l'un des 23 projets portés par l'association HF pour l'égalité hommes-femmes en Île-de-France pour présenter des autrices, compositrices, sculptrices, peintres, comédiennes ou architectes inconnues en mettant leurs oeuvres en scène. Pour découvrir partout des histoires aussi étonnantes que celle de Marguerite Jeanne Carpentier.
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— Nous Toutes 27 (@NousToutes27) September 16, 2022
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L'histoire de Marguerite Jeanne Carpentier, s'exclame Marie Guérini, coordinatrice HF, en dit long sur la manière dont les femmes ont si souvent été effacées de l'histoire : "Une signature effacée sciemment ? C'est toujours la même histoire des femmes que l'on veut invisibiliser... Les femmes ont existé tout le temps. Elles ont écrit, elles ont peint, elles ont sculpté, elles ont composé, mais l'histoire ne les retient pas."
Les journées du Matrimoine rendent aux artistes la place dont elles ont été spoliées dans l'Histoire. La censure des réseaux sociaux à la "La bible du Vagin" en dit long sur les tabous. Et un coup de coeur aux Soeurs de la Perpétuelle Indulgence, au crédo pas très catholique. pic.twitter.com/5wVVe1v5b7
— TERRIENNES (@TERRIENNESTV5) September 19, 2019
Cette absence totale des femmes du passé dans les collections d'arts, les livres d'histoire ou les ouvrages scolaires a été mise en lumière par l'autrice et comédienne Aurore Evain, dont les écrits révèlent que "matrimoine n’est pas un néologisme. C’est un terme qui a existé au 16ème siècle. Quand un couple se mariait, il déclarait son patrimoine et son matrimoine. Aujourd’hui on parle de patrimoine pour évoquer les biens culturels de l’Etat, qui sont masculins dans la majorité des secteurs culturels. L’histoire du théâtre est quasiment masculine jusqu’au début du 20e siècle. L’idée est de faire ré-émerger le matrimoine, c’est-à-dire les biens culturels des femmes et de parler plutôt d’un héritage culturel qui serait composé à la fois de patrimoine et de matrimoine.
Au-delà de l'héritage des femmes du passé, nos contemporaines restent très sous-représentées dans la plupart des domaines de la vie artistique, comme le montrent ces statistiques compilées par l'association HF pour l'égalité des hommes et des femmes.
En 2019, pour la deuxième année consécutive, les journées du matrimoine se sont attachées tout particulièrement à mettre en lumière des femmes qui ont marqué l'histoire de l'architecture sans jamais paraître au grand jour. Gae Aulenti, qui a recomposé l'intérieur du musée d'Orsay ; Hélène Jourdain, à qui l'on doit la rénovation de la halle Pajol, à Paris, dans une définition à la fois moderne et écologique du bâtiment ; Edith Girard, qui a fait beaucoup pour redéfinir le logement social dans les années 1980. Qui les connaît ? "Très peu de femmes ont leur agence d'architecture à elle, que ce soit à Paris ou ailleurs. Ce sont les hommes dont on parle et dont on retient le nom, car ce sont eux qui signent, même s'ils sont accompagnés d'une ou deux architectes femmes," constate Marie Guérini.
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