Une flamme noire Joyce Mansour, son nom hors des cercles littéraires ne parle à personne, ou presque. Pour redécouvrir cette écrivaine, il a fallu attendre que Marie-Francine Mansour sa belle-fille, docteur en histoire de l’art et diplômée de l’école du Louvre, lui consacre une thèse et une somme : «
Une vie surréaliste. Joyce Mansour, complice d’André Breton ». Sur la couverture, une photo en noir et blanc. Celle d’une femme au long visage, frange courte et bouche généreuse ponctuée d’un grain de beauté dont le regard s’échappe. Une beauté qui fleure les seventies, robe à ramages, épais cigare entre les doigts. Joyce Mansour au temps de sa splendeur.
Née dans une riche famille cosmopolite (grand-père d’origine syrienne qui transite par l’Angleterre et fait fortune en Egypte), elle vivra toute sa vie dans l’opulence et l’entêtante compagnie de la camarde «
Un nœud mauvais entre l’amour et la mort » comme le dit sa biographe. Sa mère meurt d’un cancer foudroyant alors qu’elle a 15 ans. Elle en a à peine 18 lorsque son jeune mari de 21 ans disparaît, 6 mois après leur mariage. La poésie devient «
comme un exorcisme personnel » pour cette hypocondriaque que la maladie inspire et terrifie. Elle n’écrira plus que sur l’avilissement du corps, la vieillesse, l’amour dans sa trivialité : humeurs, poils, sécrétions.
Pourquoi tu n’écris pas sur les abeilles et les fleurs ? En 1949, Joyce Mansour épouse en secondes noces un égyptien de 12 ans son ainé, Samir Mansour. Bien que sa famille désapprouve son union avec ce séducteur patenté, la jeune femme retrouve la joie de vivre. Ses démons, elle les garde dorénavant pour elle. Et le papier.
Dans ces années 50, la bourgeoisie égyptienne éclairée vit à l’heure des salons littéraires. On s’y rencontre entre diplomates, artistes et intellectuels. Le surréalisme arrive au Caire par le biais de George Henein, journaliste (
il lança alors le premier quotidien surréaliste Don Quichotte) et poète lié avec André Breton. Il fait son entrée dans les salons cairotes où Joyce Mansour le découvre.
Son premier recueil de poèmes « Cris » paraît en 53. Il jette comme un froid dans la bonne société cairote. D’ailleurs, s’il y est lu, il n’est pas imprimé en Egypte mais en France par Pierre Seghers, éditeur de tous les grands poètes du XXème. Son père abasourdi l’interroge : «
Pourquoi tu n’écris pas sur les abeilles et les fleurs ? » Cette inconnue de 25 ans, fraiche et enthousiaste a la prose incandescente, torrent de mots qui célèbrent furieusement l’amour et la mort, le plaisir et la souffrance, l’angoisse et le désir. «
Si je n’écrivais pas, dit Joyce Mansour,
j’aurai le physique de ce que j’écris. C’est une espèce de conjuration. »
En Egypte, à la fin des années 50, ce n’est pas la littérature mais la politique qui agite le microcosme tout autant que le peuple. L’Egypte sous souveraineté britannique vit ses dernières heures. Renversé en 1951, le roi Farouk s’exile. Un an plus tard, le général Gamal Abdel Nasser prend le pouvoir. Ses réformes jettent dans l’exil nombre de membres de l’intelligentsia d’origine étrangère. Dont Samir et Joyce Mansour, britannique de naissance. Le couple s’établit dans un de ses appartements à Paris.