Fil d'Ariane
Dix mois seulement après avoir accouché, la Française Clarisse Agbégnénou remporte une sixième couronne mondiale lors des championnats du monde de judo à Doha avec sa fille à ses côtés et l'envie d'ouvrir la voie pour les autres mères-judokas.
Clarisse Agbégnénou lors des championnats du monde de Tokyo en août 2019 après sa victoire sur la japonaise Miku Tashiro en demi-finale. Elle remporte ce jour là son 4ème titre mondial. En remportera-t-elle un 5ème à Doha ?
"Est-ce que votre fille vous a laissé dormir ?", demande le journaliste de France Inter à Clarisse Agbégnénou. "J'ai pu trouver le sommeil tardivement, et finalement avec les tétées, j'ai pu dormir. Bon, elle a tété toutes les une heure et demi. Elle m'a pas vraiment laissé dormir mais elle a été tellement mignonne le jour de la compétition, je savais que j'aurais le 'revers' de la médaille", répond, le sourire dans la voix, la championne.
C'est sans aucun doute un échange inédit durant lequel une championne du monde parle de son bébé dans les médias, cela au lendemain même d'une nouvelle victoire et que l'on aurait eu bien du mal à imaginer un jour. De fait, la situation est inédite. C'est accompagnée de sa petite fille, de onze mois à peine que l'athlète est venue disputer ces championnats mondiaux à Doha au Qatar. Et c'est avec elle, non loin des tatamis, qu'elle a même disputé ses combats, car elle a pu la voir lors des pauses. Et cela jusqu'à la victoire !
Elle sera partout avec moi. Clarisse Agbégnénou, championne du monde de judo
"Elle sera partout avec moi", avait prévenu la championne de judo à propos d'Athéna née le 15 juin 2022. "J'ai le droit d'avoir ma fille et mon accompagnant partout où je le souhaite".
Partout, c'est-à-dire à l'hôtel des athlètes, dans les tribunes climatisées de l'Ali Bin Hamad Al Attiyah Arena, ou même dans la salle d'échauffement, où grouillent chaque jour les judokas, entraîneurs, sparring partners et membres du staff des équipes engagées.
Absente de la dernière édition des Mondiaux pour cause de congé maternité, la double championne olympique de Tokyo, déjà auréolée de cinq couronnes mondiales, signe au Qatar son grand retour sur la scène planétaire en préparation des JO à domicile dans un peu plus d'un an.
Clarisse Agbégnénou avec sa médaille d'or aux JO de Tokyo, le 27 juillet 2021.
Lors de l'annonce de sa grossesse en février, la judoka de 30 ans avait immédiatement donné rendez-vous pour ceux de Paris en 2024.
Au Qatar, elle a réussi à aller chercher une médaille même si sa reprise post-maternité n'a pas été de tout repos avec une blessure à un genou et surtout un conflit avec la Fédération française au sujet de son kimono.
Comme elle, d'autres femmes judokas ont récemment repris leurs carrières après être devenues mères. La Néerlandaise Kim Polling, 32 ans, a eu une petite Aurora en mai 2022 et a remporté la médaille de bronze lors du Grand Slam de Paris huit mois plus tard.
La Britannique Nekoda Smythe-Davis, 30 ans, également présente à Doha, a eu un bébé en août 2021.
Avant, je crois qu'on n'avait pas le droit d'aller dans la salle d'échauffement avant l'âge de trois ans. Je pense que ça peut être bien parce que ça peut ouvrir la porte. Clarisse Agbégnénou
Mais Clarisse Agbégnénou est pour l'instant la seule à amener sa fille jusqu'en salle d'échauffement. "C'est une première", souligne-t-elle. "Avant, je crois qu'on n'avait pas le droit d'aller dans la salle d'échauffement avant l'âge de trois ans. Je pense que ça peut être bien parce que ça peut ouvrir la porte (pour d'autres)".
"Je ne peux que remercier la fédération internationale d'avoir accepté d'avoir un bébé à la salle d'échauffement", poursuit-elle. "Comme ça si je dois allaiter, Athéna pourra venir, elle pourra être là. Maintenant comme elle grandit un peu, elle pourra aussi être dans les tribunes mais elle a au moins la possibilité de venir dans la salle d'échauffement si j'en ressens le besoin".
Une situation inédite qui suscite l'admiration de ses coéquipières. "Je trouve que c'est une femme très courageuse", dit d'elle Blandine Pont, licenciée comme elle au Red Star de Champigny. "C'est une grande championne avec un gros mental et depuis qu'elle est maman, c'est dur, c'est difficile, on le voit, il ne faut pas se le cacher. Elle le sait aussi, mais je trouve justement qu'elle redouble de courage et c'est beau à voir. Ca donne de l'envie, c'est admirable".
Si les choses ne sont pas vues ouvertement, les gens croient qu'elles ne peuvent pas être faites. Nekoda Smythe-Davis
Comme Clarisse Agbégnénou, Nekoda Smythe-Davis, mère d'une petite Ryia âgée d'un an et demi, documente régulièrement sur les réseaux sociaux son retour sur les tatamis.
"Si les choses ne sont pas vues ouvertement, les gens croient qu'elles ne peuvent pas être faites", déclarait Nekoda Smythe-Davis récemment dans une interview à la Fédération internationale.
"Une fois que l'on nous verra faire ces choix, d'autres femmes qui veulent fonder une famille verront que c'est une possibilité. Nous montrons ce dont notre corps est réellement capable. Cela me donne aussi la motivation nécessaire pour réussir. Nous montrons la voie".