Jusqu'où soutenir Etats autoritaires ou dictatures au nom du féminisme : l'exemple de l'Azerbaïdjan

Lors d'une conférence organisée le 11 septembre 2014 au Sénat, à Paris, l'association féministe “la Ligue du Droit international des femmes“ soutenait le bilan de la politique menée par l'Azerbaïdjan, à majorité musulmane, en faveur des femmes. Un soutien ambigu à un État dirigé d'une main de fer. Et un débat très actuel : doit-on soutenir, au nom de la laïcité et des droits des femmes, des régimes autoritaires voire des dictatures ?
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Jusqu'où soutenir Etats autoritaires ou dictatures au nom du féminisme : l'exemple de l'Azerbaïdjan
Hijran Huseynova, présidente du Comité d'Etat de la République d'Azerbaïdjan en charge de la famille, des femmes et des enfants venue présenter la politique azéri en faveur des femmes, à la tribune du Sénat français, aux côtés d'Annie Sugier présidente de la Ligue internationale du droit des femmes
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Le tableau de la situation des femmes en Azerbaïdjan dressé lors la conférence "l'évolution du droit des femmes dans les pays voisins de l'Europe : le cas de l'Azerbaïdjan" organisée le 11 septembre 2014 au Sénat par la Ligue du droit international des femmes, est en apparence plutôt joli. Les intervenants, l'association féministe et les représentants azéris  semblent satisfaits de la politique azérie menée en faveur des femmes. Des études récentes renforcent l'image d'une société écartelée entre aspirations occidentales et traditions patriarcales, qui veut se diriger à marche forcée, menée par un Etat autocratique, vers plus de modernité. La Ligue présente l'Azerbaïdjan comme "une vitrine ou un exemple pour la communauté internationale de fonctionnement d'un pays laïc musulman en matière de stratégie sur les droits des femmes". Patricia Lalonde, responsable de l’ONG MEWA (soutien aux femmes dans les pays musulmans d'Asie centrale et du monde arabe) et chercheure à l’Institut de Prospective et Sécurité en Europe (IPSE), membre de la délégation envoyée pendant cinq jours dans ce pays du Caucase par la Ligue internationale des droits des femmes, appuie son approche sur les visites d'ONG locales et de centres d'accueil aux femmes victimes de violences, effectuées lors de ce séjour. Petites avancées et grande volonté affichée Mme. Hijran Huseynova, présidente du Comité d'Etat de la République d'Azerbaïdjan en charge de la Famille, des Femmes et des Enfants, quant à elle, affiche les bons chiffres de sa politique, fruits des mesures en faveur des femmes engagées depuis quelques années par l'Etat azéri. Le pays aurait investi près de 13 millions de dollars en 2012 pour financer cette politique. Entre 2011 et 2013, le nombre de mariages forcés aurait baissé. Le gouvernement azéri a aussi contraint à la nomination de femmes adjointes lorsque le président d'une administration locale est un homme. Résultat : 73 adjointes sur 86 administrations locales. Un progrès constaté par l'Organisation pour la sécurité et la Coopération en Europe (OSCE). Dans les structures étatiques, le nombre de femmes a aussi augmenté même si le gouvernement reste exclusivement le domaine les hommes. Dans les conseils municipaux, elles sont passées de 4% à 26% entre 2004 et 2009. Le Parlement azéri comptait 11% de femmes en 2005. Aujourd'hui, elles sont 16%, selon les données de la Banque mondiale. Un taux qui reste bien en dessous des 40% de femmes au Parlement en 1989 lorsque le pays était sous administration soviétique. Et pour cause, un quota de 33% de femmes était imposé dans les structures de l'Etat. A l'indépendance de l'Azerbaïdjan, après la chute de l'Urss en en 1991, le nombre a chuté à 4,8%. Aujourd'hui, ce riche Etat pétrolier et gazier qui cherche à se rapprocher de l'Europe, tente de rattraper ce niveau d'antan grâce aux pétrodollars investis dans la parité.
Jusqu'où soutenir Etats autoritaires ou dictatures au nom du féminisme : l'exemple de l'Azerbaïdjan
Le pre´sident syrien Bachar el-Assad et sa femme Asma et Mozah bint Nasser Al Missned en compagnie de son mari l'ex-e´mir du Qatar Hamad bin Khalifa al-Thani - photo AFP
Et les droits humains ? Cette attitude volontariste séduit l'ensemble des associations féministes françaises et afghanes présentes ce jour-là. Patricia Lalonde salue ce "pays à 80% musulmans, laïc, qui a une vraie politique et une stratégie en matière des droits des femmes". Elle ajoute  : "On a été tout à fait étonnées. D'ailleurs, vous arrivez là-bas, vous n'avez pas une seule femme voilée", tout en précisant avant cela, que ce pays, à majorité chiite, est frontalier de l'Iran, aujourd'hui au ban de la communauté internationale pour sa théocratie et le voile imposé aux Iraniennes, et dont pourtant le taux d'éducation supérieure des filles est l'un des plus élevés au monde. Ce voile quasi-inexistant dans l'espace public fait donc oublier les nombreuses atteintes aux droits humains en Azerbaïdjan. La dernière en date : l'arrestation le 30 juillet à Bakou de Leyla Yunus, militante azéri des droits humains et opposante historique du clan Aliev, au pouvoir depuis plus de vingt ans. Aucune des féministes venues à la conférence n'a évoqué ce cas. Pourtant, les droits des femmes entrent dans la catégorie des droits humains. Omission volontaire ou simple oubli ? Quand l'exemple de Leyla Yunus est mentionné à Patricia Lalonde, elle répond en cherchant ses mots : "Notre voyage en Azerbaïdjan n'a duré que cinq jours. On avait posé la question, mais c'est leurs histoires. En fait, quand j'y étais, on n'était pas au courant au sujet de cette femme (Leyla Yunus). Nous ne sommes pas allées faire un état de lieux des droits de l'Homme mais des droits des femmes. Et puis, justement c'est important que l'on parle des pays musulmans qui font des efforts pour les droits des femmes … En fait, ils sont engagés dans une lutte terrible contre l'extrémisme islamiste. C'est en filigrane tout ça. Je ne sais pas trop qui sont les gens qu'ils arrêtent. Je veux dire, ils (les membres du gouvernement azéris) luttent contre ça, ils luttent pour ne pas que ça devienne …", dit-elle en hésitant, sans finir ses phrases. Paraître moderne Ce soutien à des Etats, quels qu'ils soient, qui mènent des actions pour les droits des femmes, divise les féministes. Car, cet appui se dirige, dans les pays musulmans en particulier en ce moment, vers des "dictatures" ou des régimes autoritaires, tel l'Azerbaïdjan. Un article de Foreign Policy met justement en garde contre ces pays qui se targuent d'un "féminisme d'Etat". Le but est d'attirer la sympathie de la presse occidentale. Parmi eux : la Syrie, le Bahreïn, la Jordanie, le Qatar, le Maroc ou encore la Tunisie sous Ben Ali, l'Egypte sous Hosni Moubarak et l'Iran au temps du Shah Mohammad Reza Pahlavi. Ces pays ont mis en avant une laïcité et leurs efforts en matière d'éducation des filles par exemple. Pour symboliser cette modernité laïque, rien de mieux qu'une première dame ou une ministre dévoilée ou presque : Asma el-Assad en Syrie, Rania de Jordanie, la princesse Lalla Salma du Maroc ou encore la ministre de l'Information au Bahreïn, Sameera Rajab.

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