Palme d'Or : anatomie d'un succès annoncé pour le film de Justine Triet

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Justine Triet, Palme d'Or 2023

Justine Triet, lauréate de la Palme d'Or pour Anatomie d'une chute, pose pour les photographes à la suite de la cérémonie de remise des prix au 76e festival international du film, le samedi 27 mai 2023.

©Vianney Le Caer/Invision/AP
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En quatre films et autant de portraits de femmes, Justine Triet, 44 ans est la troisième réalisatrice de l'histoire à décrocher une Palme d'or à Cannes. Son film Anatomie d'une chute enregistre dès sa sortie en France un grand succès populaire, il a reçu de nombreux prix à travers le monde. 

Autopsie glaçante d'un couple d'artistes dysfonctionnel, ce long-métrage retrace le procès d'une autrice allemande (Sandra Hüller) accusée aux assises du meurtre de son mari, dans leur chalet des Alpes françaises.

"C'est très ironique. Il y a une espèce de reflet du film dans la réalité. Il montre une espèce de personnage qui vit un enfer personnel commenté par l'extérieur, et moi je vis un bonheur personnel extrêmement commenté", confie la réalisatrice sur le plateau de l'émission L'invité sur TV5monde, faisant référence aux réactions provoquées par son discours lors de la remise de la Palme d'Or. 

"Je pense que c'est vraiment un film de procès, où je m'intéresse autant à la chute physique qu'à la chute d'un couple", précise-t-elle pour résumer son film. "La vie de cette femme va être sérieusement malmenée pendant toute cette histoire.", ajoute-t-elle, "une histoire d'amour c'est difficile à résumer en peu de chose et c'est pourtant ce que va tenter de faire ce procès qui va ouvrir la boite de ce couple".

Depuis sa sortie en salle en France fin août, le film affiche un large succès populaire. Avec 346.499 entrées (en incluant les avant-premières), Anatomie d'une chute fait mieux que La Vie d'Adèle (323.457 entrées en 2013) et tutoie les cartons d'Entre les murs (447.015 entrées en 2008) et de Parasite (376.842 entrées en 2019).

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"On sort le 23 août dans 300 salles et on démarre de manière spectaculaire", se réjouit sur franceinfo mardi 29 août Jean Labadie, distributeur du film. "Il a gagné le prix du public en Australie, en Nouvelle-Zélande, ce qui prouve qu’il voyage extraordinairement bien", ajoute-t-il, tout en pariant qu'Anatomie d’une chute va dépasser le million d’entrées au cinéma.

Un cinéma engagé

Née le 17 juillet 1978 à Fécamp, Justine Triet grandit à Paris. Mon père était très absent", a-t-elle raconté à l'AFP.

Ma mère a eu une vie assez complexe, travaillait et élevait trois enfants, dont deux n'étaient pas les siens. Mon père était très absent. Justine Triet

 "Ma mère a eu une vie assez complexe, travaillait et élevait trois enfants, dont deux n'étaient pas les siens. À 20 ans, elle entre aux Beaux-Arts de Paris avec la volonté de devenir peintre. Puis après deux ans d'études, elle abandonne la peinture pour se consacrer à la vidéo et au montage.

En 2007, elle réalise son premier documentaire, Sur place, un film à la marge de la vidéo, sur les manifestations étudiantes contre le Contrat premier embauche (CPE). Dans cette théâtralisation du réel, elle interroge la place de l'individu dans le groupe.

Intéressée par les grands moments de tensions sociales, elle tourne un nouveau documentaire, Solférino, pendant la présidentielle de 2007, qui va lui servir de brouillon pour son premier long-métrage. Ce sera La bataille de Solférino, qui fait sensation à Cannes en 2013, alors qu'il était programmé dans une sélection parallèle du Festival. Un an plus tard, cette "dramédie" avec Laetitia Dosch et Vincent Macaigne, tournée en pleine foule le jour du second tour de la présidentielle française, était nommée aux César 2014 dans la catégorie du meilleur film.

"Ne pas sacrifier mes ambitions"

Cette accro des séries télé voit consacrée sa réputation de réalisatrice prometteuse avec Victoria (2016), qui fait près de 700.000 entrées. Désarroi sentimental, désabusement face à l'absurdité de l'existence, le tout emmené par des dialogues hilarants, Victoria se place dans la même veine que La bataille.

Le film, porté par Virginie Efira en mère-célibataire et avocate pénaliste en pleine crise de nerfs, est nommé cinq fois aux César 2017, notamment dans les catégories du meilleur film et de la meilleure actrice.

Fidèle à ses interprètes, elle retrouve Efira en 2019 dans Sibyl : l'actrice incarne une romancière reconvertie en psychanalyste et Triet s'entoure de têtes d'affiche du cinéma français comme Adèle Exarchopoulos, Gaspard Ulliel et Niels Schneider. Le film est en sélection officielle à Cannes.

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"Une révolution sociétale féministe"

Parisienne, Justine Triet travaille en famille, co-écrivant Anatomie d'une chute avec son compagnon, le réalisateur et acteur Arthur Harari, une autre figure du cinéma d'auteur.

Je n'ai pas attendu #MeToo pour que la personne qui vit avec moi travaille presque plus que moi avec les enfants à la maison. Justine Triet

Si elle se dit "instinctive", son cinéma, qui ne laisse rien au hasard, est très réfléchi, "questionnant beaucoup les rapports entre les hommes et les femmes qui sont au centre de notre vie aujourd'hui". "Je n'ai pas attendu #MeToo pour que la personne qui vit avec moi travaille presque plus que moi avec les enfants à la maison", souligne-t-elle. "Je m'organise pour ne pas sacrifier mes ambitions".

"Anatomie d'une chute", Palme d'Or 2023

Saadia Bentaieb, à partir de la droite, Swann Arlaud, la réalisatrice Justine Triet, et l'écrivain et monteur Arthur Harari posent pour les photographes pour le film Anatomie d'une chute au 76e festival international du film, le 22 mai 2023.

©AP Photo/Daniel Cole
On a besoin de récits faits par des femmes, réalisés par des femmes, jugés par des femmes. On est encore très loin de la parité. Justine Triet

Le cinéma doit contribuer "à la révolution sociétale" féministe, estime-t-elle. "Pendant très longtemps, quand je regardais des films, je me prenais pour le garçon, je m'identifiais au rôle masculin", faute de rôles féminins forts.

"On a besoin de récits faits par des femmes, réalisés par des femmes, jugés par des femmes. On est encore très loin de la parité", ajoute celle qui a profité de la tribune mondiale offerte par la remise de sa Palme d'or pour dénoncer la façon dont le gouvernement français avait "nié de façon choquante" le mouvement contre la réforme des retraites.

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