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Un récent rapport d’Amnesty International le rappelle : la Guinée est le deuxième en Afrique à pratiquer le plus de mutilations génitales féminines. Les mariages forcés et les viols y sont aussi très nombreux.
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En octobre 2022, le Forum de la jeune fille guinéenne, à l’initiative du Club des jeunes filles leaders de Guinée (CJFLG), a été l’occasion pour sa présidente, Kadiatou Konaté, de rappeler l’importance du rôle de la justice pour la protection des filles et des femmes, et de réaffirmer la résilience des Guinéennes. Entretien.
Forum de la jeune fille guinéenne, Guinée Conakry, le 14 octobre 2022.
Terriennes : Le Forum a rassemblé plusieurs ONG et organisations de la société civile guinéenne, ainsi que des acteurs et actrices politiques. Parmi eux, la ministre de la Promotion féminine, la ministre du Budget et le représentant du ministère de la Justice. Quels messages souhaitiez-vous leur faire passer ?
Kadiatou Konaté : la ministre de la Promotion féminine, de l'Enfance et des personnes vulnérables, Aïcha Nanette Conté, est l’une de nos portes-voix au sein du gouvernement. Seulement son ministère a besoin de fonds pour mener davantage d’actions en faveur de la protection des droits des filles et des femmes en Guinée. D’autant que la problématique des violences basées sur le genre prend de l’ampleur ces dernières années dans le pays.
Le professeur Hassane Bah, invité du forum, a indiqué recevoir dans son cabinet 12 victimes d’agression sexuelle par jour sur 30 patientes. Imaginez leur nombre par semaine ! Le premier médecin légiste du pays a également raconté soigner de plus en plus de cas d’enfants et de bébés violés. Ces faits sont très graves pour notre communauté, car ils touchent et détruisent la vie de milliers de jeunes filles en Guinée.
Dans votre discours d’ouverture, vous avez dénoncé une banalisation des violences basées sur le genre dans la société guinéenne…
Tout à fait. Ces violences tendent à se banaliser d’abord parce que le gouvernement ne fait pas assez d’efforts en termes de prise en charge, de construction de centres d’accueil et d’accompagnement des victimes. Surtout, le harcèlement sexuel survient à tous les niveaux, du haut sommet de l’Etat jusqu’en bas. Les gens n’en parlent pas et cela finit par se normaliser.
Aujourd’hui, nombreuses sont les jeunes femmes à croire que pour obtenir un emploi, il faut coucher avec le patron. Même si elles ne veulent pas. Dans les milieux intellectuels aussi, la promotion canapé est très répandue. A l’école, on parle même de "transmission des notes par le sexe" : les filles couchent avec leurs professeurs pour être notées. On pense que c’est normal, mais c’est une agression. Les filles refusent ensuite d’étudier, craignant de devoir offrir leur corps.
Le mariage précoce, l'excision, le viol… Des pratiques punies par la loi mais encore ancrées dans la société.
Kadiatou Konaté
Si ces violences de genre tendent à se banaliser, c’est aussi parce que peu d’auteurs sont appréhendés. Lorsqu’ils le sont, beaucoup sont libérés après un ou deux mois – classement sans suite, désistement… – alors que le Code pénal guinéen punit le viol de réclusion criminelle de 5 à 10 ans. Ce n’est pas normal, et c’est ce qui explique en grande partie la recrudescence des agressions.
Au tribunal ad hoc de Dixin, se tient le procès du massacre du stade du 28 septembre 2009. Parmi les victimes, des centaines de femmes violées. Peut-il s’agir d’un signal fort contre l’impunité des auteurs de violences sexuelles ?
Ce procès qui s’est ouvert le 28 septembre dernier, à Conakry, était très attendu par les victimes. Depuis plus de treize ans ! Cela prouve bien qu’avec de la volonté politique, on arrive à faire avancer les choses. Je n’avais que 8 ans au moment du massacre, mais j’ai rencontré des survivantes. Certaines ont besoin de justice pour s’apaiser. Pour cela, elles ont brisé le silence autour de la stigmatisation des victimes de violences sexuelles. La honte doit changer de camp. Si la deuxième édition de notre Forum a pour thème "Violences sexuelles en Guinée, quelles issues ?", c’est pour interpeller les politiques et maintenir un échange. Car même s’ils renouvellent leur engagement, ce n’est pas assez. En Guinée, la lutte contre les violences basées sur le genre devrait être une priorité.
156 morts, 1400 blessés et 109 cas de viols recensés. C'était le 28 septembre 2009.
Des milliers d'opposants à la junte de Moussa Dadis Camara sont massés dans le stade de Conakry, en Guinée, lorsque des militaires font irruption et ouvrent le feu. Le procès du massacre du 28 septembre 2009 s'est ouvert le mercredi 28 septembre, à Conakry. Parmi les victimes présumées, Saran Cissé. Elle dit avoir été violée par 5 membres de la garde présidentielle.
L’une des actions du Club des jeunes filles leaders de Guinée est d’apporter un soutien juridique, médical et psychologique aux victimes de violences sexuelles…
Absolument. Depuis sa création, en 2016, le Club protège les droits des filles, mais amplifie aussi leur voix avec plus de 500 jeunes membres, âgées de 10 à 24 ans, et réparties dans les huit régions administratives de la Guinée. Toutes sont des ambassadrices de la lutte contre le mariage précoce, l'excision, le viol… Des pratiques punies par la loi mais encore ancrées dans la société.
La première fois que j’ai fait annuler le mariage d’une mineure, j’avais 14 ans. Aujourd’hui, la jeune fille étudie à l’université. Elle connaît ses droits et se mariera quand elle le voudra.
Kadiatou Konaté
Le Club s’est d’ailleurs fait connaître dans les médias en interrompant des mariages d’enfants. Des personnes nous préviennent et, une fois sur place, nous sensibilisons les parents pour les convaincre d’annuler la mariage. Si ces derniers refusent, nous intervenons le Jour J et menaçons de porter plainte. La première fois que j’ai fait annuler le mariage d’une mineure, j’avais 14 ans. Aujourd’hui, la jeune fille étudie à l’université. Elle connaît ses droits et se mariera quand elle le voudra.
Pour celles qui sont rejetées par leur famille, le Club prend en charge leur scolarité. La dépendance économique joue un vrai rôle dans les violences auxquelles les filles sont confrontées. Dans la région rurale de Boké, nous avons donc mis en place un programme d’activités génératrices de revenus : les bénéficiaires apprennent la couture, la coiffure… avant de devenir auto-entrepreneuses. Sur les réseaux sociaux, à la radio et la télévision nationale, nous diffusons également des spots pour informer les jeunes de leurs droits et vulgariser les textes de loi. Les appels et messages d’appels à l’aide sont chaque semaine de plus en plus nombreux.
Vous ne vous découragez jamais ?
Le plus difficile c’est de concilier les trois : ma vie de femme de 21 ans, d’étudiante et d’activiste. Je vois peu ma famille, car je suis souvent en voyage pour porter la voix des jeunes Guinéennes. En mars dernier, j’étais à New York, au siège de l’ONU, pour intervenir dans une Commission sur l'autonomisation des femmes et filles dans le contexte des politiques et programmes relatifs au changement climatique.
Début octobre 2022, j’ai participé à la première édition de l'Agora féministe 2022, organisée par l’ONG Equipop, qui a rassemblé des féministes de l'Afrique de l'ouest francophone. Durant une semaine, nous avons échangé, appris les unes des autres et mis en place des actions collectives. Plus récemment, j’ai modéré la cérémonie d'ouverture du Dialogue régional sur l’avortement sécurisé en Afrique francophone (DASAF), à Abidjan. Je suis parfois fatiguée, mais c’est la vie que j’ai choisie de mener.
Kadiatou Konaté, 21 ans, est une activiste guinéenn,e co-fondatrice du Club des Jeunes Filles Leader de Guinée qui compte plus de 500 membres à travers le pays et a pour vocation de lutter contre les violences faites aux filles. Très engagée dans la lutte contre les violences de genre en Guinée, Kadiatou est membre du comité Ad hoc pour la mise en place du conseil national de la jeunesse avec la primature et le représentant du Système des Nations unies.
Kadiatou Konaté milite à travers son organisation pour l’éradication des mariages d’enfants, le viol, l’excision, les agressions physiques, les discriminations à travers les dénonciations, les causeries éducatives, les sensibilisations de masses, les campagnes numériques ainsi que les discussions communautaires pour toucher la communauté à la base aux côtés de l’État, des institutions et de d’autres jeunes militantes, tant au niveau national que sur Internet.
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