Fil d'Ariane
Quelques heures après l'annonce du retrait de la candidature du président Biden à l'investiture démocrate, l'actuelle vice-présidente Kamala Harris apparaît à beaucoup la femme de la situation. Défenseuse du droit à l'avortement, juriste aguerrie, femme et afro-américaine, Kamala Harris sera-t-elle celle qui peut battre Donald Trump ?
La vice-présidente Kamala Harris arrive à un événement de campagne, mercredi 17 juillet 2024, à Kalamazoo, Michigan.
Une forte personnalité, des éclats de rire communicatifs, mais aussi des interrogatoires serrés au temps où elle exerçait les fonctions de procureure générale et une solide expérience dans les branches législative, judiciaire et exécutive du pouvoir... Voilà ce qui a fait la différence pour Kamala Harris : le 7 novembre 2020, l'élection de Joe Biden était annoncée et elle devenait la première femme, la première Afro-américaine et la première personne d'origine asiatique à accéder à la vice-présidence des Etats-Unis.
Quatre ans plus tard, Joe Biden, affaibli par l'âge, renonce à sa réélection, laissant le champ libre à Kamala Harris, 59 ans. Lancée dans la course à l'investiture démocrate en vue de la présidentielle de novembre 2024 avec une nette avance sur d'éventuelles rivaux, l'actuelle vice-présidente pourrait écrire une nouvelle page de l'histoire américaine en devenant la première présidente des Etats-Unis.
Soutenue par Joe Biden à l'investiture du Parti démocrate, Kamala Harris l'assure : "Je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour unifier le Parti démocrate – et unir notre nation – pour battre Donald Trump". Elle salue le renoncement du président à sa réélection : "un acte désintéressé et patriotique". Dès l'annonce de sa candidature, les soutiens se manifestent, nombreux.
Cela ne garantit pas que le parti démocrate l'adoubera lors de la convention qui se tiendra le 19 août 2024, mais elle part clairement favorite. Reste à savoir qui elle choisira comme colistier ou colistière...
Quelques heures seulement après l'annonce du retrait de Joe Biden et de son soutien à sa vice-présidente, le 21 juillet 2024, le groupe de levées de fonds démocrates ActBlue annonce avoir enregistré sa plus grosse collecte en une seule journée pour la présidentielle américaine de 2024 : "A 21 heures (01H00 GMT), les sympathisants de base avaient collecté 46,7 millions de dollars (42,8 millions d'euros) via ActBlue suite au lancement de la candidature de la vice-présidente Kamala Harris. Il s'agit de la plus grande journée de collecte de fonds du cycle 2024", indique sur le réseau social X le groupe qui facilite la collecte de fonds en ligne pour les candidats démocrates.
Occupant un poste par nature ingrat, la vice-présidente Kamala Harris a fait des faux pas, notamment au début de son mandat, sur des questions délicates de diplomatie et d'immigration. La presse américaine a aussi parfois jugé qu'elle manquait d'envergure - ce que ses partisans expliquent aussi par des biais sexistes.
Le magazine Vogue avait dû se défendre d'avoir, peu après l'élection de 2020, choisi pour sa couverture une photo de la vice-présidente en baskets, plutôt qu'un portrait plus formel, qui aurait davantage mis l'accent sur sa fonction.
La vice-présidente n'a pas la réputation d'une femme particulièrement empathique et indulgente, même envers la communauté noire. Au Sénat, elle s'est fait connaître pour ses interrogatoires serrés, au ton parfois glaçant, lors d'auditions sous haute tension. Son passé de procureure pèse aussi, à commencer par ses initiatives visant punir durement de petits délits qui, selon ses critiques, affectent surtout les minorités.
A la rencontre des électeurs, son image chaleureuse contraste aussi avec une certaine rigidité, fleurant parfois le manque d'authenticité. De la Caroline du Sud au Michigan, des électeurs noirs et progressistes déplorent sa réputation de dureté. "Elle est perçue par certains, surtout chez les jeunes noirs, comme faisant partie du problème, pas de la solution", soulignait David Barker, professeur en sciences politiques à l'American University, avant l'élection de 2020
La principale intéressée prend pourtant soin de cultiver une image décontractée, aidée en cela par son conjoint Doug Emhoff, avocat à l'expression amicale, père de deux enfants, qui est aussi le premier Juif dans ce rôle. Marié à Kamala Harris depuis août 2014, le Second Gentleman a été l'un des grands relais de la Maison Blanche dans la lutte contre l'antisémitisme.
Sur les réseaux, le couple feint par exemple de se chamailler autour du basket : il est fan de l'équipe des Lakers de Los Angeles, elle des Warriors de San Francisco. Kamala Harris, surnommée "Momala" dans sa famille recomposée, est aussi férue de cuisine. Lors d'un voyage officiel à Paris, elle s'était rapidement échappée pour acheter des casseroles en cuivre.
Kamala Harris met volontiers sa famille en avant : elle avait d'ailleurs choisi sa soeur Maya pour diriger sa candidature à la primaire en 2019.
Comment osent-ils dire à une femme ce qu'elle peut et ne peut pas faire de son propre corps. Kamala Harris
En 2022, Kamala Harris a pris avec ferveur la défense du droit à l'avortement, remis en cause par une Cour suprême marquée par les dernières nominations de Donald Trump. "Certains dirigeants républicains essaient d'instrumentaliser la loi contre les femmes. Comment osent-ils ? Comment osent-ils dire à une femme ce qu'elle peut et ne peut pas faire de son propre corps ?", s'indignait-elle après que la plus haute juridiction du pays avait annulé la garantie fédérale du droit à l'avortement.
Notre dossier → Droit à l'avortement aux Etats-Unis : une affaire publique
Sa forte déclaration sur le droit à l'IVG, alliée à la campagne énergique menée depuis un an par Kamala Harris à travers le pays, ont relancée son image et sa popularité. Aujourd'hui candidate à la Maison Blanche, Kamala Harris promet de se battre pour le droit à l'avortement : "Nous allons nous battre pour le droit à disposer de son corps en sachant très bien que si Trump en a l'occasion, il promulguera une interdiction de l'avortement dans chacun des Etats", déclare-t-elle dès son premier événement de campagne, le 22 juillet 2024.
La vice-présidente Kamala Harris en campagne à Wilmington, le 22 juillet 2024.
Dès 2019, candidate à la primaire, Kamala Harris avait promis de "mener le réquisitoire" contre Donald Trump. Elle prenait alors de front celui qu'elle qualifie de "prédateur sexuel" et "propriété des banques". "Je ne suis pas seulement prête à affronter Trump, je suis prête à le battre" tweetait-elle déjà. Une profession de foi qui, cinq ans plus tard, alors qu'elle se retrouve en première ligne face à lui, prend une autre dimension.
Toujours en quête de surnoms moqueurs pour ses opposants, Donald Trump l'a appelée "Kamala l'hilare" ("Laffin' Kamala"), en référence à son rire tonitruant, tandis que son équipe de campagne la décrit comme une gauchiste invétérée. En 2020, l'ancien président qualifiait la démocrate de "monstre" et de "femme colérique", des termes renvoyant à des stéréotypes racistes sur les femmes noires. Et pourtant, interrogé à l'époque sur la possible nomination à la vice-présidence de Kamala Harris, Donald Trump admettait qu'elle : "serait un bon choix".
La vérité, pour Ian Sams, porte-parole de Kamala Harris en 2019, c'est que : "Donald Trump n'a absolument aucune idée de comment gérer ou qualifier Kamala Harris... Il est déconcerté par les femmes fortes comme elle et, entre autres raisons, cela en ferait un choix très solide de vice-présidente".
Quatre ans plus tard, celle qui est désormais candidate à la Maison Blanche n'a pas baissé les armes face à Donald Trump : "Avant d'être vice-présidente et sénatrice, j'étais procureure générale de Californie. Avant cela, j'étais une procureure qui s'attaquait aux prédateurs, aux fraudeurs et aux tricheurs. Avec Donald Trump, je sais à qui j'ai à faire", lance-t-elle sur X.
En 2020, Joe Biden s'était engagé à choisir une femme comme colistière dans la course à la Maison Blanche. Dans le sillage de la vague de colère provoquée par la mort de George Floyd, il avait aussi plusieurs fois souligné qu'il envisageait des candidates afro-américaines. Populaire chez les électeur.trice.s noir.e.s, à qui il devait en bonne partie sa victoire à la primaire démocrate, puis à la présidence des Etats-Unis, ce vétéran de la politique savait que leur mobilisation était clé pour tout candidat briguant la Maison-Blanche.
Son choix s'était alors porté sur la sénatrice Kamala Harris, une femme déjà aguerrie en politique et forte d'une réputation de procureure intransigeante : "J'ai l'immense honneur d’annoncer que j'ai choisi Kamala Harris, combattante dévouée à la défense courageuse des classes populaires et l'une des personnes les plus compétentes au service de l'Etat, pour colistière", déclarait Joe Biden le 12 août 2020.
Let’s go win this, @KamalaHarris. pic.twitter.com/O2EYo6rYyk
— Joe Biden (@JoeBiden) August 12, 2020
Dès l'annonce officielle de sa candidature, Kamala Harris déclarait : "Joe Biden peut rassembler les Américains, car il a consacré sa vie à se battre pour eux. Président, il saura construire une Amérique à la hauteur de nos idéaux... Je suis honorée d'être sa colistière et candidate à la vice-présidente, et je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour qu'il prenne la tête du pays."
La candidate démocrate à la vice-présidence Kamala Harris affrontait mercredi 7 octobre 2020 son adversaire républicain Mike Pen lors d'un face-à-face télévisé très attendu, sur fond de pandémie.
Daniel Gillion, professeur de sciences politiques à l'université de Pennsylvanie, confirmait à l'époque qu'avec la soif de justice et de changement des manifestants mobilisés depuis fin mai 2020, les électeurs afro-américains "exigent une vice-présidente noire".
La sénatrice Kamala Harris avait parlé avec vigueur et passion de l'émoi qui avait saisi le pays en voyant mourir Georges Floyd : "La Loi sur la justice dans les services de police est la première étape pour que ceux qui portent un badge et une arme à feu fassent l'objet de poursuites en cas de faute et en assument les conséquences".
Ces déclarations faisaient aussi écho à sa propre expérience de femme noire aux Etats-Unis. Kamala Harris a grandi à Oakland, dans la Californie progressiste des années 1960, fière de la lutte pour les droits civiques de ses parents immigrés – un père jamaïcain professeur d'économie et d'une mère indienne, aujourd'hui décédée, chercheuse spécialiste du cancer du sein.
Elle a fait ses études à l'université Howard, fondée à Washington pour accueillir les étudiants afro-américains en pleine ségrégation, et rappelle régulièrement son appartenance à l'association d'étudiantes noires "Alpha Kappa Alpha". Elle a aussi vécu une dizaine d'années au Québec, où sa mère enseignait à la prestigieuse université de McGill, rappelait en 2020 Valérie Plante, mairesse de Montréal :
La colistière de @JoeBiden en vue de l'élection présidentielle sera @KamalaHarris, qui a vécu 10 ans à MTL, alors que sa mère enseignait à @mcgillu, et a gradué de @westmounthigh. Il s'agit d'une première nomination à ce poste pour une femme noire. Félicitations Mme la Sénatrice!
— Valérie Plante (@Val_Plante) August 11, 2020
Après deux mandats de procureure à San Francisco (2004-2011), elle a été élue, deux fois, procureure générale de Californie (2011-2017), devenant alors la première femme et la première personne noire à diriger les services judiciaires de l'Etat le plus peuplé du pays. En janvier 2017, elle a prêté serment au Sénat à Washington, où elle est devenue la première femme ayant des origines d'Asie du Sud et seulement la deuxième sénatrice noire dans l'histoire. On connaît la suite.
Tu seras peut-être la première à accomplir de nombreuses choses. Assure-toi de ne pas être la dernière. Mère de Kamala Harris
"Ma mère me disait souvent : Kamala, tu seras peut-être la première à accomplir de nombreuses choses. Assure-toi de ne pas être la dernière", disait Kamala Harris lors de sa première campagne pour l'investiture démocrate, en 2019. C'est aussi dans son enfance qu'elle a puisé le souvenir qui l'avait alors révélée. Attaquant un certain Joe Biden sur son opposition passée à une politique de déségrégation raciale qui consistait à transporter en bus certains enfants vers des écoles éloignées, et dont elle avait bénéficié, elle avait lancé : "La petite fille (dans le bus), c'était moi". Lors de son accès à la vice-présidence, elle a dédié son discours de victoire aux "petites filles" d'Amérique.
Les deux démocrates s'étaient peu à peu réconciliés et, après avoir abandonné la course à l'investiture démocrate, Kamala Harris avait soutenu Joe Biden sans réserve. Lui, de son côté saluait les qualités qu'il appréciait chez sa future colistière : "Pas rancunière", "A fait campagne avec moi et Jill", "Talentueuse", "D'une grande aide pour la campagne", "Grand respect pour elle".
Kamala Harris connaît depuis longtemps Joe Biden, qu'elle appelle parfois simplement "Joe" en public, car elle était proche de son fils, Beau Biden, décédé d'un cancer en 2015. "Lorsque Kamala était procureure générale, elle a travaillé en étroite collaboration avec Beau, se souvient le vétéran de la politique. J'ai observé comment ils ont défié les grandes banques, aidé les travailleurs, et protégé les femmes et enfants face aux mauvais traitements. J'étais fier à l'époque, et je suis fier désormais de l'avoir comme partenaire pour ma campagne", déclarait-il en 2020.
Elu 46e président des Etats-Unis, Joe Biden, qui était alors le plus vieux président américain à prendre ses fonctions, avait déjà laissé entendre que sa vice-présidente pourrait être appelée à le remplacer en cas de grave souci de santé ou de décès, et qu'elle devrait s'imposer en dauphine désignée pour l'élection de 2024. Avec l'espoir de briser, alors, l'ultime plafond de verre.
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