Kareen Rispal, Isabelle Hudon : entre la France et le Canada, le temps des ambassadrices

A quelques semaines près, elles auraient pu se croiser quelque-part au-dessus de l’Atlantique : Isabelle Hudon va prendre, courant novembre 2017, ses fonctions d’ambassadrice du Canada en France et Kareen Rispal, la nouvelle ambassadrice de la France au Canada, est arrivée à Ottawa le 22 juin. 
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Karen Rispaal et Isabelle Hudon
A gauche Karen Rispaal, qui représente désormais la France au Canada et réciproquement Isabelle Hudon à droite qui prend ses fonctions en novembre 2017
(c) twitter
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Deux femmes aux parcours professionnels différents, l’une femme d’affaires aguerrie et l’autre diplomate de carrière, mais qui partagent un combat commun : la lutte des femmes pour l’égalité et leurs droits. Et une première historique pour la France et le Canada : avoir deux femmes qui les représentent dans leurs capitales respectives. 

Ce poste de diplomate va m’obliger à adopter un nouveau rythme et je vais aussi devoir mettre mon impatience au défi
Isabelle Hudon, ambassadrice du Canada en France

Isabelle Hudon est la première femme à devenir ambassadrice du Canada en France, elle s’en dit honorée, mais ne se prive pas pour lancer qu’il était plus que temps que cela arrive ! Ce poste de diplomate que lui confie le Premier ministre Trudeau est une sorte de retour aux sources pour cette femme d’affaires –  elle a été présidente de la financière Sun Life, grande compagnie d’assurance au Canada.

Isabelle Hudon avait commencé sa carrière comme attachée de presse et chef de cabinet d’une ministre qui s’occupait alors de l’agence canadienne de développement international. Elle y côtoyait donc le monde de la diplomatie et des affaires internationales, avant de se lancer dans le monde des affaires. « Ce poste de diplomate va m’obliger à adopter un nouveau rythme et je vais aussi beaucoup mettre mon impatience au défi » me confie-t-elle dans un éclat de rire.  Cette fois-ci, ce sont des traits de ma personnalité qui vont être mis au défi, dont mon impatience légendaire, ma volonté de vouloir faire bouger les choses rapidement. Mais ça arrive au bon moment dans ma carrière et à un bon moment géo-politique entre le Canada, la France, et L’Europe ». 

La nomination d’Isabelle Hudon par le Premier ministre Justin Trudeau à ce poste très important de la diplomatie canadienne est stratégique : la nouvelle ambassadrice va avoir pour mission de veiller au développement du CETA, l’accord de libre-échange entre le Canada et l’Union européenne qui vient d’être ratifié - et qui attire beaucoup d'opposition de la part des citoyens européens. Alors que l’ALENA, l’accord de libre-échange nord-américain qui lie le Canada, les États-Unis et le Mexique depuis plus de 20 ans est actuellement renégocié à la demande expresse du président Trump, qui ne cesse de brandir la menace de retirer son pays de cet accord, on comprend que la bonne marche de cet accord entre le Canada et l’Union européenne fasse partie des priorités du gouvernement canadien.

Le CETA au coeur de la feuille de route des ambassadrices

L’expérience et la vision de cette femme d’affaires sera des plus utiles dans les circonstances. « Ce corridor de libre-échange, ça a été très clair avec le PM et la ministre Freeland – des Affaires étrangères -, c’est la priorité numéro un, confirme Isabelle Hudon. Je pense que le Premier ministre voulait quelqu’un du privé, quelqu’un qui est habitué à nouer des liens entre les gens et je me doute aussi qu’il était non négociable pour le Premier ministre de ne pas nommer une femme. J’ai cette façon de penser comme le privé pense, ce qui est différent de la fonction publique. Je vais être entourée d’une équipe solide à la chancellerie et ce sera un mariage heureux entre leur expérience et la mienne ». 

Le développement de cet accord de libre-échange est également une priorité du côté français. Kareen Rispal, l’ambassadrice de France au Canada l’a précisé dans une conférence à Montréal le 11 octobre 2017. Déjà en place, elle a accueilli avec fierté et sororité l'annonce de la nomination de son alter ego canadienne. 


Vivre au sein de la société française, qui est, on va le dire, un peu plus « machiste » que la société canadienne, ne fait pas peur du tout à Isabelle Hudon, habituée à naviguer dans des flots très masculins comme celui du monde de la finance.  « Cela ne me donne pas le vertige, explique-t-elle en souriant, car il y encore des environnements très machistes au Canada, ça ne m’a jamais arrêtée ni intimidée. J’ai décidé de militer pour que les femmes aient un meilleur accès dans le domaine de l’économie non pas parce que je me sentais comme une victime mais parce que je recevais tellement de témoignages de femmes ici au Canada sur le fait qu’elles étaient très admiratives de ce que je faisais, parce que c’était si difficile pour elles. Je me suis donc sentie le devoir de les aider et de militer pour cette cause ». 

Promouvoir les femmes, tout le temps et partout

Isabelle Hudon a notamment cofondé l’organisme l’Effet A, un mouvement qui vise à promouvoir les initiatives féminines et à les aider à réaliser leurs ambitions. Quelque mille femmes ont, depuis, reçu un « diplôme » de l’Effet A. La nouvelle ambassadrice n’exclut pas de déployer cet organisme en France un jour. Isabelle Hudon a également reçu une médaille de l’Assemblée nationale pour son engagement envers la cause féminine.  « Je me compare souvent à une goutte d’eau qui tombe à la même fréquence au même endroit. Je sais que je vais créer le sourcillement chez certains. J’aime dire que les femmes ne vieillissent pas mais gagnent en maturité, alors j’ai gagné en maturité et en assurance face à mes convictions et je suis arrivée à la conclusion que oui, c’est vrai que j’ai beaucoup de courage, parce que j’assois mes convictions sur des faits, des faits indiscutables et j’ai cette ambition de faire non pas la différence mais une différence. Donc je suis prête à faire face à ces vents de face ». 

« Mes nouveaux collègues français devront s’habituer à mes commentaires et mes suggestions : par exemple si j’assiste à une rencontre avec uniquement des hommes autour de la table, je vais passer le commentaire. On ne peut pas se permettre, comme société, de contourner un bassin de talents des femmes qui représentent plus de 50% de la population, alors je vais servir les mêmes arguments à mes amis français que toujours j’ai servis à mes grands amis canadiens, poursuit-elle. Je vais aussi devenir une grande militante au sein de la fonction publique canadienne pour qu’on continue à nommer des femmes et qu’on prépare les femmes à la relève dans ce domaine ». 

La France a nommé 28 ambassadeurs depuis 1928 au Canada, et je suis la première femme. Il était temps !
Kareen Rispal, ambassadrice de France au Canada

C’est aussi une mission que s’est donnée Kareen Rispal, la nouvelle ambassadrice de France au Canada qui devient elle aussi la première femme à occuper la prestigieuse résidence de Sussex Drive à Ottawa : « La France a nommé 28 ambassadeurs au Canada depuis 1928 et je suis la première femme, j’ai donc 27 prédécesseurs et donc il était temps ! » a-t-elle déclaré lors d'une entrevue avec Mohamed Kaci le 12 octobre 2017 dans le 64' de TV5MONDE. 

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Actuellement, en France, un poste diplomatique sur 4 est occupé par une femme (50 femmes représentent la France à l’étranger sur 194 postes) c’est donc une représentation d’environ 25%. Au Canada, sur les 137 postes de chefs de mission (ambassadeurs, hauts commissaires et consuls généraux), 56 sont des femmes, 72 des hommes et 9 postes sont vacants. On parle donc d’une représentativité de 44% pour les femmes. « Une situation très comparable à la Suède, relève Isabelle Hudon et avec ma nomination, le Canada a la parité dans les pays du G7 car les postes d’ambassadeurs en Italie et Grande-Bretagne sont occupés par des femmes ». 

A retrouver sur ce sujet dans Terriennes : 

Diplomatie française cherche femmes

Le Canada a donc une longueur d’avance sur la France dans ce dossier mais la France a quand même progressé au cours des dernières années. « Le plafond de verre est en train de se briser peu à peu, assure Kareen Rispal. Cette année pour la première fois on a nommé une femme en Allemagne, grand partenaire de la France. » Sabine Sparwasser  fut l'une des premières rencontres de la nouvelle ambassadrice de France à Ottawa, dont elle s'est félicité sur son compte twitter... Sans oublier la toute nouvelle ambassadrice des États-Unis au Canada, Kelly Craft, arrivée à Ottawa dimanche 22 octobre 2017, pour prendre ses fonctions. Elle avait été choisie cet été par le président américain Donald Trump, auquel cette femme d'affaires et son mari avaient donné de généreux subsides durant sa campagne, pour représenter les intérêts de Washington à Ottawa - une première là aussi. Le Canada, terre d'ambassadrices !

Historiquement le Quai d’Orsay était un ministère masculin, longtemps réservé aux hommes. Les premières femmes admises après la seconde guerre mondiale n’avaient pas le droit de servir à l’étranger
Kareen Rispal

Kareen Rispal a conscience du rôle de modèle dans lequel elle se glisse aussi avec ses nouvelles fonctions de diplomate, même si elle n'est pas la seule : « J’ai été nommée première femme ambassadrice en Amérique du Nord. Nous avons aussi une femme en Russie, à l’Otan et dans des pays en guerre ou dangereux. Atteindre 44%, pourquoi pas ? Mais Il faut voir qu’historiquement le Quai d’Orsay était un ministère masculin, longtemps réservé aux hommes et que les premières femmes admises après la Seconde guerre mondiale n’avaient pas le droit de servir à l’étranger ! Il a fallu faire des efforts pour attirer des femmes dans ce monde très réservé aux hommes, alors que les conditions de travail, l’expatriation régulière  et les crises ne plaident pas en faveur d’une vie où privé et profession sont difficilement compatibles surtout si on a de jeunes enfants. Heureusement la société évolue, les parents sont aujourd’hui beaucoup plus investis et de façon égalitaire dans l’éducation des enfants et leur mode de vie. Les femmes travaillent fréquemment, ont une carrière. Au sein du ministère nous avons donc beaucoup travaillé à trouver les solutions pour permettre à la fois de travailler et d’avoir une vie de famille (travail à domicile, convention pour permettre l’emploi du conjoint, charte du temps de travail…). Et puis il faut que les femmes se mobilisent, s’entraident. Qu’elles renforcent leurs réseaux, qu’elles cessent d’attendre qu’on leur propose un emploi d’encadrement, mais qu’elles le demandent. Elles doivent être dans l’initiative. Elles doivent faire entendre leur voix. Mais je suis convaincue que seule une politique extrêmement  volontariste est susceptible de faire bouger les lignes. J’ai longtemps été contre les quotas, mais je pense que sans cible chiffrée on n’avancera pas assez  ou pas assez vite, que les vieux réflexes reprendront le dessus. Alors est-ce que moi j’ai été nommée parce que je suis une femme ? Comme dirait ma plus jeune fille  "peut-être mais pas seulement… !" »

On a la même saine impatience de voir les choses changer mais aussi de contribuer au changement. Et on sait également qu’on a besoin de solidarité dans cette cause, solidarité entre les hommes et les femmes mais surtout entre les femmes
Isabelle Hudon

Kareen Rispal a dû laisser son siège au Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes (HCEFH) en partant pour Ottawa. « Mais j’ai évidemment à cœur de défendre plus que jamais cette parité, tient-elle à préciser, et voyez-vous je ne peux m’empêcher d’avoir le réflexe de toujours compter le nombre de femmes et d’hommes lorsque j’assiste à une réunion de travail, à une conférence ou un événement. On ne se refait pas ! Et puis je crois que chaque haute fonctionnaire a son style, sa façon de porter sa mission. Moi j’ai choisi l’humour et l’impertinence ( cf son blog « la parité m’a tuer », ndlr). Il faut que les représentantes se renouvellent, insufflent leurs idées  et fassent bouger les lignes chacune à leur tour ».

Kareen Rispal va donc continuer à sensibiliser ses interlocuteurs, porter le message, appeler à ne pas relâcher les efforts, « Prochainement nous organisons une conférence à l’ambassade sur la diplomatie et les femmes (y a-t-il une diplomatie féministe ?). De même dans le cadre des rencontres Jacques Cartier, j’ai participé à un panel sur les femmes, l’entreprise, et les politiques publiques. Je compte saisir toutes les tribunes qui me seront offertes. Le président Macron en a fait un axe majeur de sa politique. Je suis là à mon niveau pour porter ce message aussi » déclare-t-elle. 

On comprend bien pourquoi la complicité a été immédiate entre les deux ambassadrices quand elles se sont rencontrées : « On a la même saine impatience de voir les choses changer mais aussi de contribuer au changement. Et on sait également qu’on a besoin de solidarité dans cette cause, solidarité entre les hommes et les femmes mais surtout entre les femmes » conclut Isabelle Hudon. Une profession de foi qu'elle décline à longueur de posts sur son compte twitter où elle se définit "Ambassadrice désignée du Canada en France, militante pour l’ambition féminine".