Derrière cet intitulé, se cache la souffrance de plusieurs centaines de Kenyanes, victimes de viols et d'agressions sexuelles lors des violences post-électorales de 2007-2008. Dans un nouveau rapport, Human Rights Watch dénonce l'échec du gouvernement kényan à apporter une aide de base et des réparations à ces victimes de viol.
Fatma avait 17 ans quand elle a subi dans son domicile à Nairobi un viol collectif commis par trois hommes. Ils accusaient sa famille d’héberger des hommes appartenant à une tribu « ennemie ». Fatma a cessé d'aller à l'école suite au viol, et a expliqué que ses voisins stigmatisent son fils parce qu'il est né d'un viol.
Achieng avait 16 ans, sa soeur 18 quant des agents des Services Généraux sont venus chez elle. Ils ont demandé leurs noms, puis sans dire un mot, ils ont asséné un coup de machette à leur père, sur le cou. "Ils nous ont giflées et je crois que j'ai perdu connaissance. Quand je suis revenue à moi, j'ai réalisé que j'avais été violée. Nous sommes restées dans la maison pendant trois jours avant de réussir à appeler à l'aide, avec le cadavre de mon père qui gisait là", raconte la jeune femme. Sa sœur est tombée enceinte à la suite du viol et a eu un enfant. Toutes deux ont arrêté l'école faute d'argent. "Le viol m'a gravement affectée. C'est en moi, et cela refuse de disparaître…", ajoute-t-elle.
Apiyo a aujourd'hui 53 ans. Son corps lui rappelle chaque jour le drame qu'elle a vécu : victime d'un viol collectif perpétré par quatre hommes qui l'ont d'abord battue jusqu'à ce qu'elle perde conscience, son mari a été tué dans ses violences. "Je saignais et mon corps tout entier me faisait mal. Plus tard, j'ai réalisé que de l'urine coulait toute seule… Encore aujourd'hui, je ne me sens pas en paix. Mon corps n'est plus le même. Si je suis pressé, l'urine coule toute seule. Parfois j'ai des sécrétions sales et malodorantes qui sortent de mon vagin."
Les témoignages se succèdent, plus terribles les uns que les autres, avec comme fil conducteur, les stigmates d'une blessure irréparable.
Au total, 163 femmes et jeunes filles ont été interrogées par l'organisation Human Right Watch. Neuf victimes masculines, ainsi que des témoins de viols et d'autres violences ont aussi été entendus pour établir ce rapport publié mardi. Un rapport de 104 pages intitulé « “I Just Sit and Wait to Die”: Reparations for Survivors of Kenya’s 2007-2008 Post Election Sexual Violence » (« “J’attends simplement de mourir” : Réparations dues aux victimes des violences sexuelles post-électorales de 2007-2008 au Kenya »).
Victimes oubliées
Au delà de ces événements, Human Rights Watch tient aussi à attirer l'attention sur l'abandon dont sont victimes, bien des années plus tard, les victimes de ces violences. La plupart des survivantes manquent toujours cruellement de soins médicaux, ce qui les empêche de travailler ou de suivre une éducation, renforçant encore la pauvreté et la faim dont elles souffrent. Le gouvernement a récemment promis des réparations, qui devraient être définies en consultation avec les victimes de violences sexuelles, afin de garantir la pleine intégration de ces dernières dans tous les programmes.
Cela a été un choc de découvrir le nombre de survivantes qui sont malades, vivent dans la pauvreté et sont stigmatisées, ignorées, et souvent rejetées au lieu de recevoir de l'aide du gouvernementAgnès Odhiambo (chercheuse senior sur l’Afrique auprès de la division Droits des femmes à Human Rights Watch)
Les violences qui ont éclaté après l'élection présidentielle contestée de 2007 se sont manifestées notamment par des massacres et représailles inter-ethniques, commis par des partisans des partis au pouvoir comme d'opposition, ainsi que par le recours excessif à la force par la police lors de la répression des manifestations.
Ces événements ont fait 1 133 morts et ont provoqué le déplacement d'environ 600 000 personnes. Selon les autorités, il y a eu au moins 900 cas de violences sexuelles, mais ce chiffre est probablement sous-estimé.
Le rapport de Human Rigth Watch met aussi en évidence une sorte de double peine subie par les victimes. Parmi les femmes interviewées, 37 sont tombées enceintes à la suite d'un viol. La plupart ont donné naissance à des bébés, car l’avortement est illégal et considéré comme immoral au Kenya. Ces femmes doivent souvent gérer l’ambiguïté de leurs sentiments ou leur colère vis-à-vis de ces enfants, qui subissent eux-mêmes la stigmatisation, le rejet, et les violences physiques et verbales infligées par leurs familles.
Seules quelques rares personnes ont été poursuivies pour les violences sexuelles perpétrées pendant la crise post-électorale. Les résultats d'une enquête sur les mauvais comportements des policiers au cours des violences post-électorales, y compris des cas d'abus sexuels, n'ont jamais été rendus publics.