Fil d'Ariane
Durant sa carrière, Keitany a vu de nombreuses jeunes athlètes, comme Tirop, batailler pour tenter d'équilibrer leur vie sportive exigeante avec les attentes et pressions sociales, autour du mariage et de la maternité notamment, tout en étant le principal soutien financier de leur famille élargie.
Selon la quadruple lauréate du marathon de New York, beaucoup de ces jeunes femmes qui se sont consacrées à leur sport dès le plus jeune âge, n'ont pas l'éducation nécessaire pour gérer leurs finances, les exposant à être utilisées comme des "vaches à lait" par des conjoints cupides. "Elles se rendent compte quand il est trop tard que leur investissement leur échappe et elles sombrent dans la dépression", explique l'athlète à la retraite, mère de deux enfants.
Comme pour Tirop, née dans une famille paysanne de la vallée du Rift, le succès sportif constitue pour de nombreux Kényans le moyen de sortir de la pauvreté. Ils s'investissent dans des camps d'entraînement, lieux qui échappent souvent aux règles et connus pour être des foyers de dérives sexuelles.
Il y a tellement de loups là-bas qui attendent pour s'attaquer à ces filles.
Telga Lourope, ancienne athlète
Deux camps dans la vallée du Rift ont été fermés ces dernières années par la Fédération kényane d'athlétisme (AK) pour avoir prétendument exploité des jeunes femmes. "Il y a tellement de loups là-bas qui attendent pour s'attaquer à ces filles", souligne Tegla Loroupe, ancienne détentrice du record du monde du marathon, aujourd'hui âgée de 48 ans.
Des agents payent les familles pour les convaincre de "forcer les filles à abandonner l'école prématurément et à participer à des courses à l'étranger", ajoute-t-elle. "Les jeunes athlètes ne peuvent pas gérer la renommée et l'argent qui leur arrivent si soudainement", estime Wilfred Bungei, champion olympique 2008 du 800 m qui conseille désormais des athlètes en difficulté après avoir lui-même combattu l'alcoolisme.
Avec une carrière brillante, une famille et des investissements commerciaux lui assurant sa retraite, Mary Keitany est un rare exemple de réussite à la fois personnelle et professionnelle. Pour l'ancienne athlète de 39 ans, qui n'a commencé à courir qu'après la naissance de son premier enfant, il faut d'abord que cesse la pression omniprésente sur ces femmes.
Certains hommes ne font qu'attendre pour tirer profit de leur travail, ça devrait être sanctionné.
Mary Keitany, ancienne athlète
"Une femme athlète est censée avoir des enfants, se battre rapidement pour perdre du poids, se remettre en forme et reprendre la compétition afin de mettre de la nourriture sur la table pour toute la famille", affirme-t-elle: "Certains hommes ne font qu'attendre pour tirer profit de leur travail, ça devrait être sanctionné."