Fil d'Ariane
Peter Madsen, 47 ans, a été reconnu coupable par un jury du tribunal de Copenhague du meurtre avec préméditation de Kim Wall, 30 ans, ainsi que de lui avoir infligé des mutilations sexuelles et d’avoir démembré et décapité son cadavre avant de le disperser en mer. Peter Madsen n’avait admis que l’atteinte à l’intégrité du cadavre, et a déclaré qu’il ferait appel du jugement. Il est le quinzième condamné à la prison à vie sur les dix dernières années.
Il avait toujours nié le viol et le meurtre. Mais Peter Madsen appartient bien à cette cohorte d’hommes criminels qui pensent avoir droit de vie et de mort sur les femmes. Le ministère public danois a annoncé, mardi 23 janvier 2018, que M. Madsen avait attaché et violé la journaliste avant de l’assassiner à bord du Nautilus, le submersible de 17 mètres qu’il a construit. Puis de la découper en morceaux comme il l'avait reconnu. Selon les procureurs, Peter Madsen a prémédité son geste en embarquant la scie, les tournevis et les liens qui ont été utilisés pour attacher, frapper, entailler et poignarder la jeune femme.
Les causes exactes de sa mort n’ont toujours pas été établies, mais le ministère public pense qu’elle est morte de strangulation ou après que ses veines ont été coupées. Peter Madsen a été inculpé, le 16 janvier 2017, pour meurtre et agression sexuelle.
Le 10 août 2017, Kim Wall, journaliste suédoise indépendante de 30 ans, embarque dans le sous-marin privé UC3 Nautilus avec son inventeur, le Danois Peter Madsen. Elle souhaite réaliser le portrait de ce "savant fou", célèbre dans son pays. C'est la dernière fois que la reporter sera aperçue vivante.
Le lendemain matin, Peter Madsen est secouru par un plaisancier : son sous-marin est en train de couler. La jeune femme, qui n'est pas rentrée chez elle comme prévu le 10 août au soir n'est pas avec lui. Il affirme l'avoir déposée sur les quais à Copenhague. Mais lorsque les enquêteurs s'aperçoivent qu'il a lui-même sabordé son submersible, dans lequel ils retrouvent des traces de sang de Kim Wall, le Danois change de version : elle serait morte accidentellement et il aurait jeté son corps par-dessus bord.
Une version bis à nouveau mise à mal quand le tronc mutilé de la jeune femme est retrouvé lesté par un morceau de métal le 21 août dans une baie non loin de Copenhague. Selon l'autopsie, les bras et les jambes ont été "délibérément sectionnés".
Une jeune journaliste, un savant fou, un sous-marin, un meurtre macabre... Il n'en fallait pas plus aux tabloïds pour se lancer dans des comparaisons parfois douteuses avec l'atmosphère des polars noirs scandinaves. Mais très vite, l'exercice de style s'étend à toute la presse scandinave et anglo-saxonne... qui semble ne jamais se remettre en question sur le ton adopté, comme prise d'une frénésie collective.
De nombreux médias font le rapprochement avec la série "The Bridge" qui s'ouvre sur la découverte d'un cadavre découpé à la frontière entre le Danemark et la Suède. Comme le révèle le site Slate dans un édito coup de gueule sur le traitement médiatique réservé à l'affaire Kim Wall, le journal New York Times (avec qui la journaliste avait pourtant collaboré en 2014) a jugé utile de contacter Hans Rosenfeldt, le scénariste de la série pour lui demander son avis sur le meurtre de Kim Wall. Il a indiqué préférer "ne pas commenter de vrais crimes de cette manière". Lone Theils, auteur danois d'un thriller sur la disparition de deux jeunes femmes en mer, également interviewé par le New York Times n'aura pas cette retenue : il y voit une histoire "inlassablement fascinante" où l'on découvre la vérité petit bout par petit bout "comme dans tout bon roman policier".
La BBC a été l'un des rares médias à consacrer un portrait à Kim Wall... ce qui n'a pas empêché le média de la décrire comme "pint-sized" (littéralement "de la taille d'une pinte", soit "haute comme trois pommes"), un commentaire sur son physique qui a provoqué des réactions sur les réseaux sociaux.
"Si un journaliste était mort dans des circonstances similaires, ce serait sûrement difficile de le voir décrit comme de la taille d'une pinte" twitte par exemple la journaliste @dariasolo qui enquête aussi bien sur les questions de genre que sur les crimes financiers en Russie...
"It is difficult to see how, if a male journalist had died in a similar case, he would be described as “pint-sized”." #media #women #kimwall
— dariasolo (@dariasolo) 25 août 2017
Du côté de la presse francophone aussi, difficile de trouver des titres de presse qui n'ont pas cédé à la tentation. Certains se pourvoient de commentaires sur le physique de la jeune femme, comme Paris Match qui s'interroge : "Que s'est-il passé dans le sous-marin entre le savant fou et la belle journaliste suédoise?"
Cela pourrait être le scénario d'une série policière scandinave
Le Monde
D'autres font l'économie de se pencher sur son histoire pour se concentrer sur celle de Peter Madsen, qui est "sans doute encore plus intrigant et romanesque" (La Voix du Nord). Les deux personnages (et le sous-marin) sont pour le Figaro le "casting du polar de l'été". Sur le site du Monde, on trouve les faits résumés en une vidéo accompagnée d'une musique digne d'une série policière et d'un texte pour le moins évocateur : "cela pourrait être le scénario d'une série policière scandinave".
Mais la palme revient certainement à Vanity Fair qui titre "En eaux troubles : Peter Madsen, l'inventeur fou au cœur du polar de l'été". Pas de mention au nom de Kim Wall dans le chapô de l'article, ni de photo d'elle... Seul Peter Madsen a droit à une photo : romanesque, retouchée, sur un fond à mi-chemin entre James Bond et Dexter. Et quand enfin après quelques lignes le nom de Kim Wall est évoqué, c'est pour associer sa disparition à "l'essence d'un bon roman".
"Cette mort est étrange, oui. Mais ce n'est pas une série télévisée" rappelle la journaliste Bhakthi Puvanenthiran dans un édito sur le site australien Crickey. Elle demande aux médias de ne pas plonger dans les clichés sur la mort des femmes. Même constat sur Twitter d'Anna Codrea-Rado, journaliste et amie de Kim Wall.
But pls don't remember her as the murdered Swedish journalist who died in a grisly horror straight out of a crime drama. Remember her work
— Anna Codrea-Rado (@annacod) 23 août 2017
"Ne vous souvenez pas de Kim Wall comme de la journaliste suédoise assassinée dans des conditions macabres (…). Souvenez-vous de son travail. Allez plus loin que les titres, informez-vous sur Kim la femme, la journaliste talentueuse, l'amie attentionnée. C'est ce qu'elle aurait fait."
"J'écris sur les hackers, les arnaqueurs, le vaudou, les vampires, les quartiers chinois, les bombes atomiques, le féminisme." Voici comment Kim Wall avait résumé sa biographie en 160 caractères sur le réseau social Twitter. Autant de sujets variés, toujours truculents : la journaliste racontait la grande Histoire à travers des séries de portraits toujours plus inattendus les uns que les autres. "Elle trouvait et racontait des histoires à travers le monde (…). Elle donnait la parole aux personnes faibles, vulnérables et marginalisées" raconte sa mère dans un hommage publié sur sa page Facebook.
Kim Wall était une femme de terrain, elle devait déménager prochainement en Chine. Pour elle, il était impossible d'être journaliste en passant son temps derrière un bureau. Ses rencontres l'ont menée à Cuba, en Ouganda, en Corée du Nord... Et pourtant, c'est à quelques kilomètres de sa ville natale, au Danemark, pays de la parité, qu'elle a été assassinée.
Citée par le journal Libération, Nadine Hoffmann, directrice adjointe de l'International Women's Media Fondation dénonce le danger couru par les femmes journalistes : "Nous savons que les femmes avec qui nous travaillons sont confrontées au danger partout dans le monde, mais de savoir que cela s'est passé au Danemark, un pays relativement sûr pour les femmes, nous rappelle que notre communauté est en danger partout. C'est un problème que le milieu médiatique ne combat pas encore assez sérieusement."
En tant que reporter freelance, Kim Wall travaillait pour des publications prestigieuses, mais elle exerçait dans des conditions précaires : comme de nombreux journalistes pigistes rémunérés à l'article, elle réalisait souvent ses reportages avant qu'on les lui commande. Au moment où elle est morte, aucun de ses multiples employeurs ne savait où elle se trouvait. Ce modèle économique pousse certains journalistes à prendre des risques ou à se rendre là où les médias n'envoient pas leurs équipes. Un double risque pour les femmes sur le terrain, qui y sont moins nombreuses que les hommes. Elles se retrouvent souvent seules face à de multiples risques : discrimination, violence. "Les femmes freelance travaillent dur pour s'assurer que leur genre ne soit pas considéré comme un handicap." explique Sruthi Gottipati dans une tribune sur les dangers auxquels sont exposés les femmes journalistes publiée sur The Guardian.
Ces conditions de travail sont régulièrement dénoncées par les femmes freelance de la profession. Dans une lettre publiée en 2013, la journaliste pigiste Francesca Borri, qui réalise des reportages en Syrie pour 70 dollars l'article dans la plus grande indifférence de ses rédacteurs en chef écrit : "Du reporter freelance, les gens gardent l’image romantique d’un journaliste qui a préféré la liberté de traiter les sujets qui lui plaisent à la certitude d’un salaire régulier. Mais nous ne sommes pas libres, bien au contraire."
Pour que Kim Wall et son travail ne tombent pas dans l'oubli, ses proches ont annoncé la création d'une bourse, baptisée "la Bourse Kim Wall", qui permettra de financer les travaux d'une femme journaliste pour "couvrir la contre-culture au sens large, ce que Kim aimait appeler "les courants de rébellion".
Pour découvrir le travail de Kim Wall : son site Internet