En 2016, Kimia Alizadeh gagne la médaille de bronze en Taekwondo à Rio.
Depuis, elle enchaîne les victoires. Parcours d’une sportive qui, malgré les contraintes imposées par son pays, s’est hissée au niveau mondial avant d’annoncer qu'elle quittait définitivement l’Iran.
« J’ai répété tout ce qu’ils m’ont ordonné de dire, et eux ont mis mes médailles au crédit du respect du voile obligatoire ».
Samedi 11 janvier 2020, Kimia Alizadeh, célèbre taekwondoïste iranienne, met fin aux rumeurs : via son compte Instagram, elle annonce avoir quitté définitivement l’Iran. La jeune femme, médaillée de bronze aux Jeux Olympiques de Rio alors qu’elle n’avait que dix-huit ans, ne se présentera pas aux prochaines sélections sous la bannière de la République islamique.
Je fais partie des millions de femmes opprimées en Iran avec qui ils [le régime iranien] jouent depuis des années.
Kimia Alizadeh
Émus, des milliers de fans expriment alors leur soutien à la championne. Sur Instagram, la jeune femme n’a pas caché sa douleur en annonçant sa défection.
« Je commence par bonjour, au-revoir, ou condoléances ? » demande-t-elle, avant de décrire son ras-le-bol, avec véhémence :
« Je fais partie des millions de femmes opprimées en Iran avec qui ils [le régime iranien] jouent depuis des années ». Faisant allusion au hijab, obligatoire pour toutes les femmes dans l’espace public en Iran, et donc dans le sport, elle affirme avoir
« porté tout ce qu’ils m’ont dit de porter » et « répété tout ce qu’ils m’ont ordonné de dire ». Pour elle, seuls
« l’hypocrisie, l’injustice, le mensonge et la flatterie » règnent au sein du système politique iranien. Un système qu’elle perçoit comme étant la cause de son départ.
La situation est très difficile pour elle, ça se ressent à l’entraînement.
Mohammed El Boujjoufi, entraîneur de Kimia Alizadeh
Actuellement aux Pays-Bas, Kimia Alizadeh assure ne rien vouloir
« d’autre au monde que le taekwondo, la sécurité et une vie heureuse et saine ». Selon son nouvel entraîneur, Mohammed El Boujjoufi cité par l’AFP, la sportive
« souhaite d’abord reprendre ses esprits avant de penser à la suite », notamment au pays qu’elle voudra représenter aux JO de Tokyo cet été.
« La situation est très difficile pour elle, ça se ressent à l’entraînement. Mais c’est une professionnelle, et elle est passionnée », explique Mohammed El Boujjoufi.
Championne du monde et modèle
Kimia a longtemps été un symbole pour les Iraniennes souhaitant se lancer dans une carrière sportive de haut niveau. Jeune, pleine de ferveur, elle véhicule l’idée que malgré les fortes contraintes présentes dans le monde sportif iranien, une femme peut se hisser au niveau de championne du monde. Au point même que Hassan Rohani, durant sa campagne présidentielle, invoquait le nom de la sportive -l’appelant « ma fille Kimia » - pour attirer le vote des femmes, comme le relatait le
Financial Times en 2007.
La très grande popularité de la taekwondoïste s’explique en partie par son parcours. Propulsée d’une banlieue de Téhéran aux projecteurs des stades olympiques, Kimia Alizadeh ne vient pas d’un milieu particulièrement privilégié. Avec une mère femme au foyer et un père brodeur, elle a grandi à Karadj, une petite ville de classe moyenne en banlieue téhéranaise. Mais la sportive voulait une « vie différente, pas comme les autres ». À sept ans, elle s’inscrit à l’unique salle de gym de sa ville, qui ne proposait que des cours de taekwondo. Si les arts martiaux n’étaient pas le dada de Kimia, à force de le pratiquer, le taekwondo finit par se révéler à elle.
Il y a un vrai manque de médailles dans le sport féminin (iranien). Les miennes ont aidé de nombreux enfants à croire en eux, et les familles soutiennent beaucoup plus leurs filles.
Kimia Alizadeh
En un an, elle concourt aux championnats nationaux et remporte la médaille d’or. Depuis, la sportive a remporté pas moins de huit médailles, dont six d’or. À quinze ans, elle jouit déjà d’une renommée mondiale. Mais ce sont les JO de Rio de Janeiro en 2016 qui marquent un tournant dans la carrière, et dans la pensée de Kimia Alizadeh. Jusqu’alors, elle ne prêtait pas vraiment attention à l’impact que pouvait avoir son parcours sur les jeunes filles de son âge. Seulement, en devenant la première femme d’Iran à gagner une médaille olympique, la prise de conscience s’impose.
« Il y a un vrai manque de médailles dans le sport féminin [en Iran]. Les miennes ont aidé de nombreux enfants à croire en eux, et les familles soutiennent beaucoup plus leurs filles [qui sont dans le sport] maintenant », confiait-elle il y a trois ans au
Financial Times.
Manque de sponsors et défections en série
Pendant plus d’une décennie suite à l’instauration en 1979 d’une République islamique en Iran, les femmes n’avaient pas accès aux compétitions sportives internationales. Dans les années 1990, sous la pression de l’opinion publique et d’un travail de longue haleine des militantes féministes, toujours présentes, les autorités permettent enfin aux femmes de participer aux XIe Jeux asiatiques. Sous certaines conditions : les femmes ne peuvent pas montrer de nudité et doivent porter le voile. Conséquence, le champ des sports autorisés se rétrécie considérablement. Initialement, seul le tir à l’arc est autorisé, mais petit à petit, d’autres domaines passent dans le vert. Désormais, les femmes peuvent concourir aux mondiaux pour les arts martiaux, l’aviron, l’escrime ou encore les échecs.
Malgré ces avancées, l’égalité entre femmes et hommes athlètes est loin d’être atteinte. D’une part à cause de la pression exercée par les familles pour dissuader les filles de poursuivre une carrière dans les sports. D’autre part à cause des contraintes, notamment vestimentaires, imposées aux femmes par le régime, qui exclut de facto plusieurs sports, comme la natation. Siavosh*, féru d’actualité sportive iranienne, joint par téléphone, soulève un autre problème :
« Les sportives de haut niveau vont souvent avoir du mal à trouver des sponsors. Il y a un vrai manque de sponsors, car il y a peu de volonté de soutenir des femmes ». D’autant que, à en croire les dires de Kimia Alizadeh, la pression des autorités va jusqu’à s’exercer sur la liberté d’expression des athlètes.
De fait, de nombreuses sportives à l’instar d’Alizadeh ont choisi de quitter le pays. Pour n’en citer que quelques-unes, Mina Alizadeh, ex-membre de l’équipe nationale d’Aviron, a choisi de rester à Prague en 2009 où son équipe se trouvait pour les championnats mondiaux. Ou encore Raheleh Asemani, taekwondoïste, partie s’installer en Belgique depuis plusieurs années.
Une démarche que soutient Faezeh Hashemi Rafsanjani, militante et femme politique défendant les droits des femmes, ayant siégé au Parlement iranien de 1993 à 2000. Dans une déclaration sommant le gouvernement iranien à entreprendre des réformes, relayée par la
BBC Persian le 13 janvier 2020, elle réplique :
« Je pense que ces actes de désobéissance civile sont très importants et doivent se généraliser à tous les corps de métier. Le changement a un coût et pour qu’il y ait des réformes, il faut supporter ce coût ».
*Le prénom a été changé