Un espace de parole Le phénomène Desai a pris une telle ampleur que, au-delà du lectorat indien, il touche aussi les Occidentaux, pour qui des faits de société comme l'infanticide des nouvelles-nées restent aussi inconcevables dans leur barbarie qu'ils sont lointains. "
Des lectrices m'écrivent qu'elles ont vécu au sein de leur propre famille tout ce qui est décrit dans mes romans," dit Kishwar Desai. Elle se souvient de Jayla, une jeune Indienne naturalisée britannique, avec qui elle a longuement discuté : "
Ses parents avaient déjà deux filles quand sa mère est à nouveau tombée enceinte. Jayla n'avait que 13 ans, mais son père lui a dit de rester s'occuper de sa petite soeur et de la maison, pendant qu'il emmenait sa mère en Inde pour l'échographie. Si le bébé était une fille, elle avorterait. Elle s'est sentie si humiliée, si peu désirée en tant que fille, qu'elle n'a jamais pardonné à son père". Brisée, la jeune fille s'est renfermée sur son silence. Mais quand
Témoin de la nuit est sorti, il lui a soudain ouvert un espace de parole, levant la honte qui la minait d'avoir été niée dans sa propre existence.
Les hommes, touchés en plein coeur Son lecteur le plus inconditionnel, c'est son mari, un économiste d'origine indienne, qui a vécu la plus grande partie de sa vie en Angleterre. L'ampleur des maltraitances dont les Indiennes sont victimes lui est longtemps restée lointaine et étrangère, mais à la lecture de
Témoin de la nuit, touché de plein fouet par les horreurs crues et cruelles égrenées par sa tendre épouse, "
il a en a perdu le sommeil," se souvient-elle. "
Nombreux sont les hommes qui sont sincèrement touchés par mes livres, alors qu'ils n'avaient jamais vraiment réfléchi au problème. Et pourtant, ils y sont intimement liés, ne serait-ce qu'en faisant pression sur les femmes pour qu'elles enfantent des fils." Mais le déni est encore très présent, témoigne l'auteure : "
Quand je travaillais à la télévision, on me reprochait souvent de traîner l'Inde dans la boue."
Cercle vicieuxCe qui l'indigne par-dessus tout, c'est l'indifférence générale face aux nombreux cas de foeticide et d'infanticide dans les familles prêtes à tout pour avoir une descendance masculine. Au point que l'Inde, désormais, souffre du déséquilibre entre filles et garçons, ce qui, dans un cercle vicieux, ne fait qu'envenimer le problème des violences faites aux femmes. A cela s'ajoute la pauvreté des
laissés-pour-compte de l'"Inde qui gagne", qui ne trouvent plus de façon d'exister et d'affirmer leur autorité que dans des actes barbares,
écrit-elle dans le quotidien britannique the Guardian en juin dernier.