Klaus Iohannis rejette la nomination de Sevil Shhaideh, femme et musulmane, comme Premier ministre de la Roumanie

Le nom de Sevil Shhaideh ne restera donc pas dans l'histoire de la Roumanie. Le président roumain a opposé son véto à la nomination de Sevil Shhaideh au poste de Premier ministre. Sans doute parce que la candidate des sociaux-démocrates cumulait trop de nouveautés audacieuses : femme, musulmane, Tatar.
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Sevil Shhaideh
La Première ministre Sevil Shhaideh, musulmane, issue de la minorité tatate, est la première femme à diriger un gouvernement en Roumanie.
AP Photo/Octav Ganea
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Mise à jour AFP, le 27 décembre 2016 : Le président roumain Klaus Iohannis a rejeté mardi la candidature au poste de Premier ministre de Sevil Shhaideh, proposée par le Parti social-démocrate (PSD) à la suite de sa victoire aux législatives. "J'ai bien analysé les arguments pour et contre et j'ai décidé de ne pas accepter cette proposition", a déclaré M. Iohannis lors d'une allocution télévisée, alors que la Roumanie est en quête d'un gouvernement après les élections législatives du 11 décembre. "J'invite la coalition formée du PSD et de l'ALDE à faire une autre proposition", a ajouté le président de centre-droit, sans justifier son refus. Cette décision risque de provoquer une grave crise politique en Roumanie alors que les sociaux-démocrates avaient annoncé qu'ils n'accepteraient pas de refus de la part du chef de l'Etat. Retour sur un projet avorté.

Elle aurait été la première femme musulmane à la tête d'un gouvernement d'un pays de l'UE. En Roumanie, son nom ne suscitait pourtant pas une immédiate approbation pour devenir la future Première ministre, proposée par les sociaux-démocrates et leurs alliés, vainqueurs des élections législatives du 11 décembre 2016. Parce que malgré le portefeuille ministériel du Développement régional, qu'elle aura occupé pendant six mois, la social-démocrate Sevil Shhaideh était jusque là plus habituée au labeurs obscurs qu'à la lumière médiatique.  Et aussi parce qu'elle est issue de plusieurs minorités, un condensé de mixité, qui pourrait effrayer une Roumanie, souvent présentée comme une expression des nationalismes de l'Est européen. 

L'opposition avait dit ces derniers jours craindre que Mme Shhaideh soit manipulée par M. Dragnea, qui avait notamment été son témoin de mariage avec un homme d'affaires syrien, qui a obtenu en 2015 la citoyenneté roumaine. Selon une récente enquête du site d'investigation Rise Project, M. Shhaideh aurait à plusieurs reprises affiché son soutien au président syrien Bachar al-Assad ou encore au Hezbollah libanais, allié du régime de Damas."Je ne vois pas comment Mme Shhaideh pourrait obtenir le certificat l'autorisant à avoir accès aux informations classées secret défense, émanant notamment de l'Otan", avait déclaré l'ancien ministre de la Justice Catalin Predoiu.

Femme, musulmane et sociale-démocrate

Voici donc une femme de 52 ans (curieux que malgré leur proportion majoritaire de par le vaste monde, les femmes restent considérées comme une "minorité"), musulmane dans un Etat dominé par l'orthodoxie. Femme, musulmane et sociale-démocrate, issue des rangs du parti qui a emporté les élections le 11 décembre 2016 (avec ses alliés de "L'alliance des libéraux et démocrates"), mais peu exposée jusque là, même si elle a occupé le poste de ministre du Développement régional, une fonction qui n'a rien de subalterne dans un pays modelé par les occupations diverses, et des migrations occidentales et orientales multiples. Une prétendante qui affiche une autre originalité : selon sa déclaration fiscale de 2015, obligatoire en tant que ministre, elle serait propriétaire avec son mari de trois biens immobiliers... en Syrie : à Damas, la capitale et à Lattaquié, la porte syrienne sur la Méditerranée, plutôt épargnée, depuis 2011, par la guerre civile.

Sevil Shhaideh est issue des mouvements de population qui ont imprégné la Roumanie, puisque descendante d'une famille Tatar, ce peuple turcophone et mongolophone musulman, qui domina les steppes russes entre les 13ème et 15ème siècle, avant d'être vaincu par le Tsar et de se disséminer en Europe et en Asie. Comme ceux qui choisirent la Roumanie voisine, à l'occasion de l'éclatement de la Horde d'Or au 16ème siècle, avant d'être rejoints par une migration plus tardive de ceux de Crimée. Les Tatars constituent aujourd'hui 3% de la population roumaine, et, de l'avis de tous leurs concitoyens, pratiquent un islam très 'modéré', passé à la moulinette du socialisme façon Nicolae Ceausescu.

Minorité contre minorité en Roumanie ?

Le nom de Sevil Shhaideh proposé par les sociaux-démocrates a de quoi surprendre et il a surpris. Il est sorti du chapeau de Liviu Dragnea, le chef du PSD, en délicatesse avec la justice et qui ne pouvait donc pas postuler au poste de Premier ministre qui aurait logiquement dû lui revenir sur proposition du président Klaus Iohannis (un autre élu issu d'une minorité, celle des Saxons protestants et germanophones de Transylvanie).

Mais le président roumain n'est pas qu'une potiche sur le plan constitutionnel et il a exigé que le futur Premier ministre soit indemne de toute tache judiciaire. Ce qui vise un certain nombre de dirigeants ou figures du PSD, plus ou moins impliquées dans des affaires en cours d'instruction. De quoi agacer ses opposants sociaux-démocrates, élus, qui devront cohabiter avec un chef d'Etat national-conservateur...

« J'ai trouvé une solution qui, j'espère, sera acceptée de sorte qu'un gouvernement sera en place rapidement et que nous ayons un projet de budget approuvé pour le 15 janvier (2017) », avait donc lancé, le président du PSD.  Et Sevil Shhaideh fût.

Une proposition à laquelle le président roumain ne pouvait, en principe, guère s'opposer "parce qu'elle n'est visée par aucune poursuite et que Iohannis ne pourra donc pas trouver de raison pour la rejeter" commente Sergiu Miscoiu, professeur de Sciences politiques à l'université Babeș-Bolyai de Cluj au Nord Ouest de la Roumanie. Avant d'ajouter avec une certaine indélicatesse, peut-être  parce qu'elle est une femme : "tout le monde s'attendait à ce que Liviu Dragnea nomme un de ses proches et pas une néophyte. Peut-être pourra-t-il ainsi contrôler le gouvernement sans se mettre en avant."

Pourtant le président a d'emblée freiné des quatre fers : le jeudi 22 décembre 2016, il a annoncé qu'il désignerait "après Noël" le nom du ou de la futur-e Premier ministre, contrairement à son engagement de le faire le vendredi 23 décembre au plus tard afin que le Parlement vote la confiance dans la foulée. Pour expliquer son report, Klaus Iohannis prétendait avoir reçu "deux propositions" pour le poste de Premier ministre. Mais on peut aussi penser que le profil de Mme Sevil Shhaideh ne plaisait guère à cet ultra-nationaliste proclamé. 

Le nationalisme dans tous ses états fut d'ailleurs au coeur de la dernière campagne y compris chez les sociaux démocrates, désormais tenter de pousser Sevil Shhaideh sur le devant de la scène, pour s'exonérer. C'est ce qu'explique encore Sergiu Miscoiu : "Les sociaux-démocartes ont été accusés de faire du populisme et de jouer la carte du nationalisme et de l'orthodoxie pour emporter le scrutin législatif. Alors maintenant ils peuvent dire 'vous voyez qui nous vous proposons, elle ne vous plaît pas ?'"

Une économiste atypique ?

Paul Ivan, ancien diplomate, aujourd'hui expert roumain auprès de la Commission européenne à Bruxelles s'étonne : "ce n'est pas une politique, elle est plus perçue comme une technocrate. C'est une économiste qui a surtout officié dans sa région d'origine. Et, en plus, il n'est pas sûr que les Roumains acceptent de gaité de coeur que tout le pouvoir exécutif, présidence et chef du gouvernement se retrouvent entre les mains de minorités ethnico-religieuses."

C'est à Constanta, à l'extrême Sud-Est de la Roumanie, mais à seulement 220 kms de la capitale Bucarest, que Sevil Shhaideh a fait carrière. En réalité tout un symbole, à son image : Constanta est un port sur la Mer Noire, fruit de brassages millénaires entre l'Orient et l'Occident, qui ont fait la richesse de son histoire culturelle et de son dynamisme actuel. Deuxième métropole du pays (avec ses communes voisines), Constanta affiche aujourd'hui le plus haut revenu par habitant du 27ème Etat membre de l'Union européenne (adhésion en 2007). Et si l'économiste-administratrice Sevil Shhaideh était pour quelque chose dans cette réussite ?

Il aura donc fallu attendre quelques jours pour apprendre que Sevil Shhaideh ne rejoindrait pas ses prédécesseuses, femmes musulmanes aux plus hautes fonctions dans cette région eurasienne, la Turque Tansu Ciller, cheffe du gouvernement d'Ankara de 1993 à 1996 et Atifete Jahjagawas, présidente de la République du Kosovo d'avril 2011 à avril 2016.

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