Ksenia Sobtchak, la candidate qui secoue, un peu, la présidentielle russe

Ksenia Sobtchak crée la polémique en Russie : fille du mentor de Poutine et ex-vedette de la téléréalité, avec quel objectif se présente-t-elle aux élections du 18 mars 2018 (dont le grand gagnant est connu d’avance) ? En dépit de la méfiance qu’elle suscite, des agressions et insultes auxquelles elle doit faire face, la jeune femme au caractère bien trempé tient son pari : celui de dénoncer les réalités de la Russie d'aujourd'hui. Et notamment celles qu’affrontent les femmes au quotidien.
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Ksenia Sobtchak lors d’un meeting à Moscou le 1er décembre 2017. Comparée à Ioulia Tymochenko (la leader de la révolution orange en Ukraine) par ses sympathisants, la candidate doit encore faire ses preuves. 
(c) Alexandra Domenech
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Au meeting de soutien à Ksenia Sobtchak à Moscou, en ce mois de décembre 2017, l’ambiance est jeune et branchée. Des étudiantes, qui constituent une grande partie des supporteurs ce soir, font des selfies avec des pancartes stylisées, distribuées sur place : « Contre Poutine », « Contre les mensonges », « Contre la censure », ou encore « Contre les guerres ». Sur scène, la candidate, oratrice charismatique, fait un discours sur la Russie de demain, où « l’être humain sera la valeur principale de l’Etat ». A la question « Est-ce que vous voulez du changement ?! » la foule lui répond avec un « Oui !! » enthousiaste.  
 
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 Que Dieu te protège, qu’il ne t’arrive rien de mal », s’inquiète une supportrice pour la sécurité de la « candidate de la glasnost ». Et pour cause : Sobtchak sera insultée et attaquée dans la rue, et pas qu’une fois.  
(c) Alexandra Domenech

Ksenia Sobtchak, paradoxe ambulant

A côté de ses sept concurrents, qui, pour une bonne partie, sont les mêmes depuis plusieurs scrutins, Ksenia Sobtchak est une candidate très atypique. C’est une femme, elle n’a que 36 ans et elle est moderne : pendant qu’elle parcourt le pays, son mari s’occupe de leur fils.

Sobtchak pourrait incarner le changement, si sa candidature ne soulevait pas autant de questions. Elle est la fille de l’ex-mentor de Poutine, ancienne star de la téléréalité, engagée dans l’opposition depuis 2011 : sa candidature a-t-elle été « montée » pour diviser l'opposition (avec son leadeur, Alexeï Navalny, rendu inéligible) ? Ou est-ce un simple « coup de comm’ » pour cette ex-vedette de la télé ? 

La candidate est la première à admettre qu’elle est « un personnage ambivalent ». Mais elle affirme que son objectif ne pourrait pas être plus clair : les élections, avec l’accès aux chaînes étatiques qu’elles offrent, sont l’occasion de dire ce qui se passe dans le pays. « Il faut crever l’abcès », affirme-t-elle dans une interview à la radio indépendante Écho de Moscou. 

Un par un, Ksenia Sobtchak s’attaque aux interdits, aux points les plus sensibles de la société russe. Ce qui lui vaut nombre d'agressions verbales mais aussi physiques durant la campagne. Dont la dernière en date le 4 mars 2018, après un violent débat avec l'ultra-nationaliste Vladimir Jirinovsky. 

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Sur cette photo distribuée par le service de presse de la candidate à la présidence russe Ksenia Sobchak, on la voit marcher avec un policier après avoir été, insultée, arrosée et jetée à terre lors d'une agression à Moscou, le dimanche 4 mars 2018. L'agression est survenue après un débat télévisé houleux avec le leader nationaliste Vladimir Jirinovsky
(c) via AP

Hommage appuyé aux journalistes tuées Anna Politkovskaïa et Natalia Estemirova

Lors de sa première conférence de presse, en octobre 2017, elle fait défiler des portraits de prisonniers politiques détenus en Russie et inconnus du grand public. Plus tard, sur la principale chaîne de télévision nationale, elle conteste le statut de la Crimée, dont le rattachement à la Russie est un motif de fierté collective dans le pays. 

Elle fait un voyage en Tchétchénie, en signe de son soutien au militant persécuté, Oyub Titiev. Là-bas, elle rend aussi hommage aux journalistes et militants assassinés, dont Anna Politkovskaïa et Natalia Estemirova. Au cours de cette visite, elle est insultée dans la rue par un groupe d’hommes.

Sobtchak défend le droit à l’union civile pour les couples du même sexe, alors que l’homosexualité est stigmatisée en Russie. Et elle porte plainte contre Vladimir Poutine, qui, selon elle, n’est pas un candidat éligible, au regard de ses mandats cumulés. Sa demande rejetée, elle fait appel. Sans succès.

La cause des femmes 

La condition des femmes en Russie est un autre tabou que lève Ksenia Sobtchak.
Lors d’une table ronde qu’elle anime sur sa chaîne Youtube sur le thème "Les femmes et les hommes sont-ils égaux en Russie ?", des militants dressent un bilan inquiétant : « Le droit à la vie et à la santé des femmes est en péril ». Ils dénoncent les pressions exercées sur les femmes par la société russe, pour qu’elles ne portent pas plainte pour violence conjugale, pour qu’elles n’avortent pas, pour qu’elles fassent plusieurs enfants (alors que 70% des personnes sous le seuil de pauvreté sont des femmes, et surtout des mères célibataires).

Dans une vidéo sur les mœurs de la police (et "ces milliers d'actes de torture au nom de Poutine"), Sobtchak prend pour exemple un enregistrement d’une conversation téléphonique, glaçante. La police y refuse l’aide à une femme battue par son conjoint : « Si vous mourez, nous viendrons pour identifier le corps, ne vous inquiétez pas ». Elle est décédée à l’hôpital quelques jours plus tard.

Le politique qui se croit en droit d’expliquer aux gens (femmes ou hommes, hétéro ou homosexuels), comment ils doivent vivre, a l’air d’un idiot et d’un clown
Ksenia Sobtchak, candidate à la présidentielle russe 2018

La candidate critique le ministre de la Santé de la république russe de Tchouvachie, selon lequel une femme devient stérile après avoir eu sept partenaires sexuels. « Le politique qui se croit en droit d’expliquer aux gens (femmes ou hommes, hétéro ou homosexuels), comment ils doivent vivre, a l’air d’un idiot et d’un clown », écrit Sobtchak dans un article.

Elle prend, la défense des journalistes qui accusent un Léonid Sloutski  député de harcèlement sexuel, alors que l’opinion publique (avec  en tête le « club féminin » de la Douma) blâme les victimes. La porte-parole du ministère russe des Affaires étrangères, Maria Zakharova, a révélé elle aussi, le 10 mars 2018, avoir été harcelée sexuellement par ce fidèle de Vladimir Jirinovski, chef de file de l'un des partis d'extrême droite. Ksenia Sobtchak va jusqu'à porter plainte elle-même contre l'élu récidiviste, connu pour ses mauvaises manières faites à ses collègues fémininines. 

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Le 8 mars 2018, journée internationale des droits des femmes, fériée en Russie, un héritage de l'URSS, Ksenia Sobchak participait à une protestation d'Amnesty International contre le harcèlement sexuel, devant le parlement, munie d'une affiche sur laquelle on lit :"Députés, nous ne voulons pas de vous !". 
AP Photo/Alexander Zemlianichenko

Le sexisme, Ksenia Sobtachak en sait quelque chose

D’ailleurs, son propre cas reflète la misogynie du milieu politique russe. Parmi les nombreuses attaques qu’elle a subies, les plus virulentes sont celles du chef du parti LDPR, Vladimir Jirinovski. Lors des débats télévisés sur la première chaîne d’état, il a traité Ksenia Sobtchak de « pute » et de « femme dégoûtante ».

Apparemment, Jirinovski a franchi une ligne rouge : une partie de l’opinion publique russe, pour une fois, s’est indignée. La députée Oksana Pouchkina, soutenue par Sobtchak, a proposé le hashtag #LesFemmesEnsemble (#ЖенщиныВместе) pour se solidariser contre le sexisme.
 


Nombre de femmes, dont des célébrités, les ont suivies.  C’est la manière dont Ksenia Sobtchak défie le patriarcat qui a séduit Maroussia, 20 ans. Elle s’occupe de la logistique au QG de la candidate. « Ksenia est courageuse, elle ose dire des choses que personne d’autre ne dit, parce que les gens ont peur pour leur réputation ».
 

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Maroussia travaille au QG de Ksenia Sobtchak. Pour elle, la candidate est un exemple rare d’une femme politique russe qui lutte contre le patriarcat au lieu de le renforcer
(c) Alexandra Domenech

La défiance des féministes 

Mais en dehors de son cercle de supporteurs, Ksenia Sobtchak a du mal à inspirer confiance. Y compris chez les femmes. Difficile pour elle de se défaire de son image de « fille de » et de vedette d’une émission abrutissante (qu’elle a pourtant quittée il y a six ans).

La communauté féministe l’attend au tournant. Ainsi, l’activiste féministe et LGBT Bella Rapoport lui reproche d’avoir pris, l’année dernière, la défense de la compagnie aérienne Aeroflot, qui pratiquait la discrimination vis-à-vis de ses hôtesses de l’air. « Son attitude dans cette affaire ne fait que confirmer qu’elle représente les élites et ne va pas défendre mes intérêts », raconte à Terriennes la militante.

On dirait un bulldozer, une tueuse en jupe, elle va les écraser tous !
Irina Khakamada, ancienne candidate à la présidentielle (2004)

Certaines se laissent tout de même convaincre, peu à peu. C’est le cas de la libérale Irina Khakamada, deuxième femme dans l’histoire russe à se présenter à la présidentielle, en 2004. Sceptique au début, elle lançait en octobre 2017 que "personne ne croyait à cette candidature", même si elle la soutenait déjà, Deux mois plus tard, dans une émission sur Écho de Moscou, face au journaliste Alexeï Narichkine qui se demande si Ksenia Sobtchak n'est pas un jouet du Kremlin, ne cache plus son admiration pour l’audace de la seule candidate d'opposition : « On dirait un bulldozer , une tueuse en jupe, elle va les écraser tous ! ».

La candidate sait qu'elle ne gagnera pas cette présidentielle, acquise à Vladimir Poutine. Un internaute s'est amusé à marquer la différence entre probabilités mathématiques et chances réelles de l'empporter. "Mathématiquement, cela donne une probabilité sur 8. Politiquement parlant, 1 sur 110 millions 864 228."
 

Qu'à cela ne tienne. Sobtchak affirme qu’elle va continuer la politique et se présentera à nouveau en 2024. Tiendra-elle la route dans cette lutte pour l’évolution des consciences qu’elle a entamée, qui s’annonce lente et longue ?

 

Le comte Instagram de Ksenia Sobtchak reflète son parcours atypique : à l’aise sur le terrain en tant que femme politique (elle est engagée dans l’opposition depuis 2011), et dans l’univers de la mode (elle a été la rédactrice en chef de l'édition russe - et est encore présentée comme telle sur le site général du journal -, du très courru magazine L'Officiel).