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#Kutoo : les Japonaises se rebellent contre le diktat des talons hauts

Des dizaines de milliers de Japonaises expriment leur ras-le-bol de l'obligation tacite de porter des talons au travail : le mouvement #KuToo veut lutter contre ce qu'elles considèrent comme une discrimination sexiste. Pour le gouvernement, en revanche, porter des talons est "professionnellement nécessaire et approprié". Au Japon et sur la Toile, la polémique enfle.

Au départ, Kutoo est un jeu de mots. Alliant kutsu (chaussure) et kutsuu (douleur), il fait écho au mot-dièse #MeToo qui avait provoqué un véritable tsunami sur les réseaux sociaux, mais n'avait trouvé qu'un écho modéré au Japon. Le mouvement #Kutoo est né du ras-le-bol des Japonaises soumises à ce diktat implicite de féminité qui consiste à toujours porter des talons hauts au travail - un style de chaussure qui peut être extrêmement pénible et douloureux à supporter, sans compter le mal de dos qu'il peut provoquer à la longue.

Pourtant, dans beaucoup d'entreprises nippones, sans talons aiguilles, point de salut. Car si les règlements internes des entreprises et administrations ne forcent pas explicitement les femmes à porter des escarpins, la pression des responsables hiérarchiques est omniprésente. "De nombreuses femmes m'ont dit qu'elles voulaient travailler dans des secteurs où porter des talons est obligatoire, mais qu'elles avaient dû y renoncer parce que leurs pieds ne supporteraient pas la douleur", explique la jeune actrice Yumi Ishikawa. A l'origine de cette initiative, elle aussi a subi l'obligation de porter des talons hauts lorsqu'elle travaillait dans une entreprise de pompes funèbres.


Dans la foulée du mouvement qui s'enclenche sur les réseaux sociaux, la dessinatrice Rika Asakawa imagine un personnage armé de gants de boxe tentant de mettre KO cette tradition pour libérer les femmes lasses de voire leurs pieds en sang à la fin de la journée. Encore un code de beauté défini par des hommes. Il est vrai que les Japonais, eux aussi, obéissent à des canons vestimentaires, mais ils sont moins douloureux ou sexistes.

Ce genre de pratique "ne doit pas être imposée à toutes les femmes, mais le fruit d’un choix individuel”, explique l’initiatrice du mouvement aux médias. Le mot-dièse #Kutoo fait mouche au Japon, retweeté plus de 30 000 fois. Plusieurs femmes ont même posé sur les réseaux des photos de leurs pieds traumatisés et blessés après une journée de travail dans ces chaussures inconfortables. 

L'actrice française Romane Bohringer, elle, l'a fait pendant le festival du cinéma à Cannes :
 


La campagne lancée sur les réseaux sociaux en février 2019 a débouché sur une pétition qui a recueilli près de 30 000 signatures, et vient d'être remise au ministère de la Santé et du Travail. "Il est très important pour nous de prendre conscience que nous sommes traitées de façon injuste. Et nous devons être en colère pour cette raison, s'insurge Yumi Ishikawa. Aujourd'hui, nous avons déposé une pétition pour demander une loi interdisant aux employeurs de forcer les femmes à porter des talons, ce qui est de la discrimination sexuelle et constitue un harcèlement", explique-t-elle.

Un constat qui laisse le ministre du Travail apparemment insensible. Hostile à une loi favorable aux femmes, il a provoqué la polémique en suggérant que la pression imposée aux collaboratrices pour porter des escarpins à talons ne pouvait être assimilée à du harcèlement à partir du moment où elle est nécessaire dans le cadre professionnel et conforme aux normes acceptées. Il ajoute néanmoins que "tous les employés doivent se sentir bien... Les critères devraient être les suivants : est-ce nécessaire pour le travail ? Est-ce raisonnable ? Est-ce conforme aux normes sociales ?" Il précise toutefois qu'obliger une femme à porter des talons alors qu'elle est blessée peut être considéré comme du harcèlement.​


Très remontés contre les commentaires du ministre, des internautes appellent, ce jeudi, Takumi Nemoto à relever le défi de porter une journée entière des escarpins à talons pour mieux appréhender le sujet. Le ministère n'a pas donné suite.

Les japonaises espèrent que leur démarche connaîtra le même succès qu'en Ontario et en Colombie-Britannique. En 2017, ces provinces du Canada ont interdit aux entreprises de forcer leurs employées à porter des talons hauts, qualifiant cette pratique de dangereuse et discriminatoire.