Elles sont 15 dessinatrices, scénaristes aussi le plus souvent. Avec des parcours brillants ou des carrières en devenir. Des filles qui ont la pêche quand elles sont « portées » par des rendez-vous consacrés à la Bande Dessinée, en France, en Belgique, au Canada et ailleurs. Aujourd’hui c’est une galerie parisienne, Art Maniak, qui les expose et célèbre avec elles les 10 ans du Prix Artémisia.
L’accrochage intitulé
Pluri(elles), que propose cette belle galerie du 9eme arrondissement de Paris, donne à voir un feu d’artifice d’inspirations, de maîtrise, d’art de la construction de chaque case, de chaque page. L’encre de Chine, le crayon, l’aquarelle, le lavis ont les faveurs des créatrices, dont la majorité, toutes générations confondues, a opté pour le noir en blanc.
Les planches proposées aux amateurs racontent des parcours de vie, de rêve, de phantasme, de voyage. Elles puisent, pour quelques-unes, dans l’histoire familiale, liée à la guerre d’Algérie ou à la shoah. Le regard du public y retrouve l’humour corrosif que certaines « cuisinent » avec talent pour stigmatiser les relents d’inégalités homme/femme.
BD au féminin : un combat au quotidien
Toutes les planches exposées sont liées à des albums, des ouvrages qui sont en librairies, preuve que nos artistes ont convaincu des grands éditeurs comme Dargaud, Glenat, Casterman, Dupuis, Actes Sud BD, Delcourt, ou des éditeurs plus confidentiels et découvreurs de nouvelles écritures comme La boîte à bulles, Les Requins Marteaux, etc.
Est-ce à dire que la vie est belle et le fleuve tranquille pour les femmes BDéistes ? Que l’égalité des chances d’accéder au podium ou simplement aux stands des éditeurs bénéficie de toutes les attentions, notamment depuis que les responsables de
l’Association Artémisia pour la bande dessinée au féminin ont médiatisé leur ras le bol face à la sélection qu’avait opérée le Festival d’Angoulême pour son Grand Prix en 2016 ?
Petit test. Un des prochains rendez-vous de la BD aura lieu début juillet 2017 à Saint Brieuc dans les Côtes-d’Armor, en Bretagne. Et Bingo !!! La 9ème édition du Festival «
Bulles à croquer » a prévu d’accueillir 28 dessinateurs mâles pour 2 femmes. Petite consolation : l’affiche a été confiée à Julie M.
La BD, le 9ème art
Le jeune galeriste Clément Combert, qui s’est spécialisé dans la bande dessinée, a donc décidé de s’associer jusqu'au 25 juin avec Artémisia. Son enthousiasme est rafraichissant : «
je n’ai que 10 ans de moins qu’Emmanuel Macron ! ». Son professionnalisme aussi. Les trois espaces de la rue de la Grange Batelière sont magnifiques : 160 m2 sur 3 niveaux avec des murs en pierre naturelle. De quoi accueillir magnifiquement les 80 planches retenues et proposées à la vente des amateurs-trices.
Art Maniak, c’est aussi les services d’un site de vente par internet et l’expertise de Michel Coste qui a participé au choix des planches et de leur accrochage. Une double activité qui aurait le vent en poupe en matière de BD. Une planche originale vaut ici entre 300 et 1500 euros. Le prix d’une estampe, qui se révèle accessible à nombre d’amateurs.
Les 15 dessinatrices et autrices qui ont été invitées ici ont toutes un lien avec le Prix Artémisia. Elles en ont été les lauréates depuis 2007 ou ont été retenues dans les sélections finales.
Parmi elles, on retrouve la flamboyante
Céline Wagner avec quelques extraits de son album
« Frapper le sol » qui a décroché le Prix Artémisia 2017. «
Je travaille intensément à mon prochain album qui aura pour héroïne une artiste schizophrène ». Céline était au dernier festival d’Angoulême sous l’ombrelle de son éditeur Actes Sud BD. Et elle est une des deux heureuses élues de Saint Brieuc.
Autre membre de l’écurie Actes Sud BD :
Rachel Deville, dont le gros opuscule «
La Maison circulaire » avait été remarqué par le jury du Prix Artémisia. Depuis le début des années 90, cette dessinatrice et scénariste, admiratrice de longue date de Little Nemo, note ses rêves pour en faire la riche substance de ses récits « pour grandes personnes » ; elle scrute le comportement de ses semblables, leur singularité, leurs travers, ce qu’ils et elles cachent et dont ils et elles ne sont pas fiers ; elle se passionne pour la psychanalyse. Rachel a choisi d’exposer ici les planches correspondant à quelques-unes de ses doubles pages :
je crois qu’elles sont susceptibles de mieux capter le regard du visiteur, qui percevra ainsi les correspondances, l’architecture de mon travail » A retrouver aussi avec plaisir le talent de
Claire Braud, qui obtint pour son premier album
Mambo le Prix Artémisia 2012.
Lumière sur les fondatrices d’Artémisia
Les caves voûtées de la galerie et leur belle lumière sont dédiées aux fondatrices d’Artémisia, Chantal Montellier et Jeanne Puchol. Toutes deux (ainsi que Nicole Claveloux et Florence Cestac) signèrent en 1985, dans le Monde, un pamphlet intitulé «
Navrant » où elles stigmatisaient les dérives – qualifiées de racoleuses et sexistes - de la Bande Dessinée, en commençant ainsi : «
Navrante cette soi-disant nouvelle presse percluse des plus vieux et des plus crasseux fantasmes machos. »
Toutes deux ont aussi beaucoup publié on retrouve ici quelques-unes des planches les plus construites et les plus fortes, au dessin réaliste en noir et blanc, de «
Charonne – Bou Kadir » (Ed. Tirésias) qui valut à
Jeanne Puchol le Prix Artémisia en 2013. Il avait fallu un bon moment à cette dessinatrice, habituée à publier chez Futuropolis à ses débuts avant de collaborer avec d’autres éditeurs prestigieux, pour aborder la thématique de la guerre d’Algérie et de la tragédie de la station de métro Charonne, où des policiers avaient chargé des manifestants anti-OAS et laissé 8 morts, tous communistes, sur le pavé parisien, tant l’événement avait habité son enfance au travers des propos ou des silences de ses parents.
Jeanne travaille sur un album consacré à la fin des années 1970 et à l’émergence des radios libres, tout en continuant à chérir sa série humoristique «
Judette Camion » signée avec Anne Baraou et publiée chez Casterman, qui propose des albums aux titres évocateurs tels «
Excusez-moi d’être une fille » ou «
Avec qui je veux ».
Quant à
Chantal Montellier, porte-parole du mouvement, elle manifeste ici, à travers quelques-unes de ses planches, le mélange de dérision et de revendication qui caractérise ses prises de parole et ses collaborations militantes, avec Charlie Mensuel, Métal Hurlant, Ah Nana, etc. Les personnages qui habitent les albums de Tintin ont été revisités et féminisés, le pompon revenant à Madame Tournesol et à la Capitaine de frégate
« née de la cuisse d’Haddock » diront les machos. On ne nous dit pas si elle sera son égale dans la consommation de whisky et l’art d’inventer des injures !
Les photos de quelques stations de métro ont été revisitées par ses pinceaux, et renommées
Virginia Woolf,
George Sand ou
Louise Michel, dès lors que le plan de bataille rêvé de Silvia Radelli (
Métroféminin – 2014) permettrait de corriger le déséquilibre abyssal qui fait que 100 hommes règnent en maîtres de l’espace public souterrain parisien, pour 2 femmes. Dans un autre registre, ont aussi été accrochées des planches extraites de «
Faux sanglant », publié en 1992 chez Dargaud. La construction du dessin y est puissante et le propos militant : ’une jeune vidéaste s’y emploie à comprendre pourquoi, la peintre du 17eme siècle Artémisia, celle-là même qui inspire le Prix pour la BD au féminin, avait puisé à ce point son inspiration auprès d’héroïnes de l’histoire et des légendes agissant avec une infinie violence et une totale froideur. Telle Judith brandissant la tête d’Holopherne.
Ainsi soient-elles...
Les profondeurs de la galerie sourient aussi à la dessinatrice italienne
Cécilia Capuana, proche de Fellini et qui travailla beaucoup avec son scénariste fétiche Bernardino Zapponi. Ses albums ont été publiés en Italie, en Espagne, aux Etats-Unis. Six de ses planches « historiques » aux femmes suggestives, publiées dans des magazines comme
Ah Nana ! et
Métal Hurlant entre 1977 et 1981, sont proposées ici.
Parmi les dessinatrices qui avaient figuré dans les sélections du Prix, avant le verdict final,
Thea Rojzman. Son «
Mourir-Ca n’existe pas » (Ed. La Boîte à bulles) avait obtenu une Mention spéciale l’année dernière. Ses nageurs à l’aquarelle, proposés ici, sont d’un beau lyrisme, d’une totale pureté.
Quant à
Perrine Rouillon, « gribouilleuse » à l’humour fou, elle semble portée par son physique lilliputien et son itinérance d’enfant de diplomate transportée de Tunis à Ottawa, Rabat, New York et Athènes, au point de s’amuser aujourd’hui, dans «
la petite personne » (Ed Thierry Marchaisse), son premier album, remarqué par les sélectionneurs d’Artémisia en 2017, à faire déambuler son personnage dans un monde à sa hauteur.
On retrouve ici
Catel Muller, lauréate du Prix du public à Angoulême pour «
Le sang des Valentines » (cosigné avec Christian de Metter et réédité par Casterman pour le Centenaire de la 1
ère Guerre mondiale), et Prix Artémisia 2014 pour «
Ainsi soit Benoite Groult » (Ed. Grasset). Cette artiste originaire de Strasbourg et qui publie dans des Maisons prestigieuses, sans parler de ses contributions en tant qu’illustratrice pour Libération ou que scénariste pour la célébrissime série
Un gars, une fille, témoigne d’une œuvre prolifique et riche avec son «
Kiki de Montmartre » consacré à Joséphine Baker, son album dédié à Edith Piaf ou son «
Olympe de Gouges » (Prix Madame Figaro), ou encore de sa participation à un album d’hommage à Bécassine., célébrissime héroïne bretonne qui a traversé le temps si l’on en croit les rééditions récentes de ses aventures.
Marion Laurent cumule, elle aussi, les contributions à des titres de presse comme Les Inrockuptibles, le Monde, Charlie Hebdo, et la Revue littéraire. Aux cimaises d’Art Maniak figurent des planches extraites de «
Comment naissent les araignées » qu’elle a publié chez Casterman et qui avait été sélectionné en 2016 par le jury d’ Artémisia .
Quant à
Laureline Mattiussi, elle est présente avec quelques planches bien torchées de «
L’île au poulailler » (Ed. Glénat), qui lui valut le Prix Artémisia 2010. Et avec quelques croquis très originaux de son dernier opus «
Je viens de m’échapper du ciel ». Et Fanny Michaelis au travers des dessins très épurés qu’elle a conçus pour «
Le lait noir » (Ed. Cornelius), où elle retrace l’exode de son grand père juif polonais alors qu’il avait 17 ans.
Sylvie Fontaine se remarque aux couleurs vives et au trait puissant de ses planches extraites de
« Zita », la géante polymorphe (Ed La boîte à bulles) ainsi qu’à quelques planches au propos féministe bien trempé, tandis que
Mandragore fait voyager ses lecteurs au travers de cette Inde qui a redonné, au sens propre, des couleurs à sa vie au sortir d’un séjour à l’hôpital, dans «
Ipak Yoli : Route de la soie » (Ed. L’œuf).
L’inauguration de l’exposition-vente d’Art Maniak a été l’occasion pour l’émissaire de l’Ecole nationale Supérieure d’Art et du Design de Nancy d’annoncer la création prochaine d’un Prix Artémisia dans son domaine de compétence.
Galerie Art Maniak – 10 rue de la Grange Batelière – 75009 Paris
www.art-maniak.com
Jusqu’au 25 juin 2017