Réalisé par la cinéaste tunisienne Kaouther Ben Hania, "La belle et la meute" suit pendant une nuit le parcours d'une jeune femme, violée lors d'une fête à Tunis par des policiers et déterminée à porter plainte malgré les menaces et les humiliations. Un film inspiré d'une histoire vraie.
Le Pitch
"Lors d'une fête étudiante, Mariam, jeune Tunisienne, croise le regard de Youssef.
Quelques heures plus tard, Mariam erre dans la rue en état de choc.
Commence pour elle une longue nuit durant laquelle elle va devoir lutter pour le respect de ses droits et de sa dignité. Mais comment peut-on obtenir justice quand celle-ci se trouve du côté des bourreaux ?"
Le film a été sélectionné au Festival de Cannes, où il était présenté dans la section "Un certain regard" avec cinq nominations : prix d'interprétation féminine, prix de la mise en scène, prix du jury, prix un Certain Regard et prix de la poésie du cinéma.
Tourné en neuf plans séquences
Sortie en salle en France depuis mercredi 11 octobre 2017, le long métrage s'ouvre sur une atmosphère de fête: un groupe d'amies, insouciantes et élégantes, s'apprêtent dans des toilettes. Dans la salle à côté, une soirée étudiante bat son plein, garçons et filles dansent au son de la musique orientale.
Dès la scène suivante, l'ambiance change: une des jeunes femmes, Mariam (Mariam Al Ferjani) court dans la rue, en pleine nuit, terrorisée, avant d'être rattrapée par Youssef (Ghanem Zrelli), le jeune homme avec qui elle était sortie prendre l'air un peu plus tôt et qui s'efforce de la rassurer.
Il l'emmène dans une clinique privée, dans l'espoir d'obtenir un certificat médical prouvant qu'elle a été violée afin de pouvoir porter plainte. Mais à l'accueil, la réceptionniste refuse de la présenter à un médecin, sous prétexte qu'elle n'a pas sa carte d'identité, restée comme son sac à main et son téléphone portable dans la voiture des policiers qui l'ont agressée.
Leur périple nocturne se poursuit dans un hôpital public, où ils croisent une journaliste et un caméraman, puis dans deux commissariats où Mariam se retrouve confrontée à ses violeurs. Partout, elle est confrontée aux sarcasmes, aux menaces et à l'absurdité de la machine administrative. Les longs plans-séquences, entrecoupés d'ellipses, - le viol par exemple n'est pas montré -, et des lumières blafardes renforcent l'atmosphère pesante.
Inspiré d'un fait divers
"
L'idée est partie d'une histoire vraie (racontée dans le livre "Coupable d'avoir été violée" de Meriem Ben Mohamed), qui avait été très médiatisée en Tunisie" en 2012, raconte la réalisatrice, Kaouther Ben Hania.
"C'est l'histoire d'une femme qui ne se contente pas du statut de victime et qui passe à un statut de demandeuse de justice (...) on a une héroïne contemporaine." Filmographie de Kaouther Ben Hania
Courts métrages de fiction
2006 MOI, MA SOEUR ET LA CHOSE
2013 PEAU DE COLLE
Tanit d’or JCC
Documentaires
2010 LES IMAMS VONT À L’ÉCOLE
2016 ZAINEB N’AIME PAS LA NEIGE
Tanit d’or JCC. Prix Ulysse au festival Cinemed.
Longs métrages de fiction
2014 LE CHALLAT DE TUNIS
Sélection à l’ACID - Festival de Cannes. Bayard d’or de la meilleure première oeuvre au Festival francophone de Namur
2017 LA BELLE ET LA MEUTE
Sélection officielle Un Certain Regard à Cannes.
A fur et à mesure que la nuit avance, Mariam, qui au départ
"a un côté oie blanche",
"se découvre face à l'épreuve", explique la réalisatrice.
Pour Kaouther Ben Hania,
"cette histoire est à la fois cruelle du point de vue de Mariam mais aussi paradoxalement anodine du point
de vue de la police, des hôpitaux. Il s’agit de leur lot quotidien".
"Des victimes comme Mariam il y en a tous les soirs. Le décalage entre ces deux attitudes, la tragédie personnelle et la froideur des institutions, dessine le ton du film", explique-t-elle.
La comédienne Mariam Al Ferjani, le visage défait, exprime avec justesse la peur ressentie par son personnage tout au long du récit, mais aussi son opiniâtreté, lèvres serrées et regard affirmé, quand elle refuse de parapher le retrait de sa plainte rédigée par des policiers. Si l'héroïne n'est pas politisée, son compagnon d'infortune, le jeune Youssef, l'est en revanche beaucoup plus. Il va la soutenir et
"la pousser sur le chemin" pour faire valoir ses droits, dit Kaouther Ben Hania.
Une lutte contre la "banalisation du mal"
"Le film est à cet égard un constat de cette 'banalisation du mal' non seulement
en Tunisie mais dans le monde entier", estime la réalisatrice, en faisant référence au
documentaire "The Hunting Ground" réalisé en 2015 par Kirby Dick, qui traite du cas des viols dans les prestigieuses universités américaines, telles Columbia ou Harvard, où les victimes féminines ne parviennent pas à trouver justice au sein de l’administration de leur campus.
"La belle et la meute est plus un film sur le diktat de l’institution que sur le viol. C’est pourquoi le viol est commis par des policiers, autrement dit ceux qui incarnent le monopole de la violence symbolique dans la société. Les sociétés modernes sont en effet construites sur cette idée que les individus sont protégés par ces fonctionnaires", souligne-t-elle.
Mais les difficultés d'une femme violée à se faire entendre et à déposer plainte "
ne sont pas propres à la Tunisie", rappelle la réalisatrice. Les débats sur les abus policiers sont en revanche peut-être plus vifs qu'ailleurs dans la jeune démocratie, depuis la révolution de 2011 qui a mis fin à la dictature de Zine el Abidine Ben Ali.
LA BELLE ET LA MEUTEUn film de Kaouther Ben HaniaFrance, Tunisie – 2016
Titre original : Aala Kaf Ifrit
100 min – Scope
Avec Mariam Al Ferjani, Ghanem Zrelli, Chedly Arfaoui, Noomen Hamda, Mohamed Akkari, Anissa Daoud, Mourad Gharsalli
Produit par Habib Hattia, Nadim Cheikhrouha/ CinéTeléFilms, Tanit Films
Inspiré du livre : "Coupable d'avoir été violée" de Meriem Ben Mohamed, avec la collaboration
d’Ava Djamshidi. Publié aux éditions Michel Lafon.