Fil d'Ariane
« What do we want ? Save streets. When do we want them ? Now » ("Que voulons nous ? Des rues sûres. Quand les voulons nous ? Tout de suite") Samedi 19 novembre 2016, les femmes du collectif de la Bibliothèque féministe de Londres étaient dans la rue, parmi des centaine d’autres pour participer à « Reclaim the Night ». La marche a pour objectif de permettre aux femmes de se réapproprier l’espace public, sans crainte des violences physiques, sexuelles et verbales, de jour comme de nuit.
De tous âges, elles chantaient : « La marche des femmes a commencée, nous ne nous arrêterons pas avant d’avoir gagné le droit de vivre avec dignité. La nuit nous appartient aussi » ou encore « Le chant des femmes doit être entendu, notre courage brille à travers le monde. Nous avons tellement enduré. […] A nos sœurs qui sont prisonnières de foyers violents, vous n’êtes pas seules ! Nous nous lèverons avec vous et serons à vos côtés, jusqu’à ce que justice soit faite. »
Dans la veine de la deuxième vague féministe, et pour donner la parole aux femmes trop souvent condamnées au silence, la Bibliothèque féministe de Londres ouvrait ses portes en 1975. « Les fondatrices avaient pour ambition de donner la parole aux invisibles : les femmes irlandaises, de couleur, juives, asiatiques ou encore lesbiennes. Parmi les objectifs poursuivis à l’époque, comme l’égalité salariale ou la fin des violences sexistes, beaucoup sont toujours au centre des luttes féministes » explique Sarah, membre du collectif de la Feminist Library.
Au fil des années, dans le Sud de Londres, la bibliothèque féministe a rassemblée une collection conséquente, comprenant plus de 7 000 ouvrages et 15 000 titres périodiques. Pamphlets, poèmes, magazines, flyers, romans, livres éducatifs s’entassent sur les étagères des pièces trop étroites. L’odeur de vieux papier parfume l’établissement. Logique lorsqu’on sait que les titres les plus anciens datent de 1900. « Nous sélectionnons les livres décrits comme féministes, mais aussi ceux qui mettent en avant un personnage féminin qui encourage les femmes à s’émanciper et les poussent à l’autonomie. […] Nous agissons à la manière de la Women Press des années 1980 qui avait permis de promouvoir the Color Purple d’Alice Walker (écrivaine afro-américaine prix Pullitzer en 1983 pour cette chronique épistolaire d’une jeune Noire, ndlr) » explique Sarah.
Mais la bibliothèque féministe de Londres est bien plus qu’un lieu de lecture.
Si la Feminist Library est si importante aux yeux des féministes londoniennes, c’est en grande partie grâce au réseau qu’elle permet de constituer. Le lieu dispose de pièces consacrées aux réunions d’associations. Les « Miserable bitches » (les chiennes misérables), « The 4th wave » (4ème vague), « Polish women on strike » (Femmes polonaises en grève) et autres groupes féministes s’y rassemblent régulièrement. Si la location est payante, les membres du collectif de la bibliothèque mettent un point d’honneur à adapter les tarifs au budget de chaque association. L’essentiel est de soutenir les voix féministes. C’est d’ailleurs pour ce motif que la bibliothèque – bien qu’apolitique- s’est rapprochée du groupe récemment fondé « Women’s Equality Party » (Parti de l’égalité des femmes). « Nous avons le même but : l’empowerment (autonomisation) des femmes » explique Sarah.
L’argent est également au centre du système patriarcal dont nous essayons de nous éloigner
Sarah, membre du collectif de la Feminist Library
Certaines règles de la bibliothèque portent également l’empreinte du féminisme. : « Nous ne tolérons pas le sexisme, l’homophobie, le racisme, la transphobie, ni aucune agression verbale ou physique basée sur une quelconque inégalité, incluant le handicap, le statut socioéconomique, la sexualité, l’âge, l’éducation, les opinions religieuses ou l’identité sexuelle » rappellent les membres du collectif sur le site de la bibliothèque. Tout principe hiérarchique au sein de l’équipe est banni, car associé au patriarcat comme l’explique Sarah. Elle ajoute : « Ici, il ne faut payer à aucun moment. Si la bibliothèque est ouverte, venez, c’est tout. L’argent est également au centre du système patriarcal dont nous essayons de nous éloigner. »
Le portevoix négligemment posé sur une table, et les affiches féministes qui décorent les murs, témoignent de l’activisme de la vingtaine de membres de l’équipe de bénévoles. C’est qu’ils ont vécu une année agitée. La bibliothèque était condamnée à quitter ses locaux en mars 2016, en raison de l’augmentation du loyer de 150/100. Apres une mobilisation qui a réuni une centaine de personnes dans la rue et convaincu 15 700 internautes de signer la pétition en ligne, le « Southwark Council » (autorité locale de cette partie de Londres) a accordé un délai a la bibliothèque. Au printemps prochain, c’est dans les studios Old Kent Road (des vieux garages inutilisés transformés en espaces de travail) que les archives de la Bibliothèque féministe de Londres seront mises à disposition. On vous recommande d’aller y faire un tour. L’influence française, de Simone De Beauvoir à Virginie Despentes y est très présente.