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En Bulgarie, le meurtre d'une jeune fille tailladée par son ex a profondément choqué. Des milliers de personnes se sont mobilisées dans tout le pays pour protester contre les violences faites aux femmes et demander des lois plus répressives. Quelques jours plus tard, le gouvernement modifie son code pénal.
Des milliers de manifestants contre les violences faites aux femmes à Sofia, en Bulgarie, le 31 juillet 2023 (capture d'écran)
Il y a un mois, le corps d'une jeune Bulgare de dix-huit ans est retrouvé atrocement tailladée. Un ancien petit ami l'a coupée avec un couteau ; il lui a cassé le nez et rasé les cheveux.
Dans un premier temps, le tribunal de la ville de Stara Zagora, dans le centre du pays, saisi de l'affaire, qualifie ses blessures de "légères" et n'estime pas opportun d'ordonner l'arrestation du jeune homme. C'est seulement sous la pression d'une opinion publique scandalisée, que les autorités décident d'arrêter l'homme de 26 ans, qui nie l'agression.
Comment est-il possible qu'un tel sadisme soit qualifié de 'lésions corporelles légères' ? Emilia Stoyanova
"Comment est-il possible qu'un tel sadisme soit qualifié de 'lésions corporelles légères ?' La réaction du tribunal est choquante", s'indigne Emilia Stoyanova, 39 ans, qui travaille dans les ressources humaines. "La tolérance traditionnelle à l'égard des violences domestiques, le dysfonctionnement des institutions doivent changer" estime un autre manifestant, Ivan, qui n'a accepté de révéler que son prénom.
Selon les chiffres de la police, dix-huit femmes ont été tuées dans le pays au cours des trois premiers mois de l'année 2023, pour 37 cas de féminicides en 2018, 34 en 2017... La police recense en outre 596 cas de violences conjugales au cours des six premiers mois de 2023, contre 426 en 2022 pendant la même période. En réalité, il n'existe a pas de statistiques officielles et les militants des droits humains estiment que ces chiffres sont largement sous-estimés.
La Bulgarie compte parmi les six pays de l'Union européenne – avec la République tchèque, la Hongrie, la Lettonie, la Lituanie et la Slovaquie – qui ont refusé de ratifier la Convention d'Istanbul, adoptée en 2011 et entrée en vigueur en 2014. Ce traité international du Conseil de l'Europe fixe des normes juridiquement contraignantes pour prévenir et lutter contre les violences envers les femmes.
Jusqu'en 2005, les violences domestiques et conjugales n'existaient pas dans la loi bulgare. C'est une grande victoire des femmes bulgares que la loi contre les violences familiales entrée en vigueur cette année-là. Une loi élaborée et poussée par la société civile, à commencer par les organisations de femmes qui avaient créé des structures et des services d'accueil pour venir en aide aux victimes.
Le gouvernement adopte une législation sur la prévention de la violence conjugale, sa répression et l’assistance aux victimes. Les femmes victimes de violences peuvent désormais porter plainte et les coupables être poursuivis, traduits en justice et condamnés. Le problème est que le Code pénal bulgare ne s’applique aux violences domestiques que si elles ont un caractère "systématique".
La condition liée au caractère 'systématique' de la violence expose les victimes à des risques graves, limite les possibilités de sanctionner les auteurs et envoie à la société un message dangereux.
Dunja Mijatović
Ainsi, en mai 2022, la Commissaire aux droits de l'homme du Conseil de l'Europe, Dunja Mijatović, appelait les autorités bulgares à améliorer la protection des victimes de violence domestique : "Ce que je trouve particulièrement préoccupant, c’est cette condition liée au caractère 'systématique' de la violence expose les victimes à des risques graves, limite les possibilités de sanctionner les auteurs et envoie à la société un message dangereux, selon lequel la violence domestique serait acceptable", écrit-elle.
De plus, la Commissaire recommande une nouvelle fois aux autorités bulgares de développer d’urgence les services de soutien aux victimes de violences domestiques, qui restent très insuffisants.
La ministre bulgare de la Justice de l'époque, Nadezhda Yordanova, y répondait à l'époque par un projet de loi prévoyant la création d'une Commission nationale pour la prévention et la protection contre la violence domestique, d'une aide juridique gratuite élargie et plus facilement accessible, d'un numéro d'urgence pour les victimes de violence, d'un centre d'assistance pour les femmes en danger et de logements pour les accueillir, ainsi que d'un dispositif spécialisé de prise en charge des auteurs de violence domestique.
L'indignation générale et la mobilisation de fin juillet a conduit le gouvernement à durcir les peines pour violences : dès le 7 août 2023, la Bulgarie modifie son code pénal. Les parlementaires suppriment la possibilité d'être condamné à une peine avec sursis pour toute personne ayant infligé à une autre des "blessures corporelles légères".
Désormais, ce délit sera punissable d'une peine de prison ferme pouvant aller jusqu'à deux ans. Les élus portent également la peine de six à huit ans d'emprisonnement pour toute personne ayant fait subir à une autre des "blessures corporelles moyennes".
Les parlementaires introduisent en outre un nouveau cas de figure : toute personne engagée dans une "relation intime" et non pas seulement au sein d'une famille ou d'un couple reconnu légalement, pourra demander à bénéficier d'une protection de la justice. "C'est une absurdité juridique, estime la représentante socialiste Kornelia Ninova. Il va falloir d'abord prouver la 'relation intime'".
"Cette définition est vague et devrait être précisée", reconnaît l'avocate bulgare Adela Kachaunova interviewée par la chaîne Nova. Reste que cet amendement "apporte une protection aux mineurs qui n'étaient pas couverts par la loi".
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