La campagne contre le repassage des seins porte ses fruits

Une pierre chauffée dans le feu longuement appliquée sur la poitrine, c'est la torture quotidienne que subit un quart des jeunes Camerounaises. Insupportable et dangereux à long terme, cette pratique appelée "repassage des seins", inconnue jusqu'en 2006, connaît aujourd'hui un recul, grâce au travail d'associations locales.
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La campagne contre le repassage des seins porte ses fruits
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La campagne contre le repassage des seins porte ses fruits
Les pierres chauffées sont l'outil privilégié pour le repassage des seins
Tradition archaïque, le repassage des seins a pour but de retarder les signes de puberté des jeunes Camerounaises. La croyance populaire camerounaise veut que lorsque la poitrine d’une fille commence à se former, elle est sexuellement mûre. Aussi, pour réduire les risques de viol et de grossesse précoce (près d’une adolescente camerounaise sur 5 a déjà été enceinte), les mères pratiquent ce repassage des seins. Les séquelles physiques (risques d’abcès, hausse du taux de cancer du sein, impossibilité d’allaiter…) et psychologiques (traumatismes, comportement sexuel négatif) sont importantes. Elise Pierrette Memong Meno, co-fondatrice de l’Association de Lutte contre les Violences faites aux Femmes (ALVF) la compare même à l’excision :
"Cette pratique est vraiment très violente ; elle influe sur le corps et l’esprit, comme toute violence faite à un être humain. Comme pour l'excision, on mutile le corps des jeunes filles à des fins sexuelles."
Le processus varie d'une famille à l'autre, mais la pratique la plus répandue reste le repassage par les pierres. La mère place des pierres plates dans un feu. Quand elle juge leur température est adéquate, elle en retire une, se protégeant de la chaleur avec un tissu. Puis elle applique la pierre brûlante à même la peau, sur la poitrine de sa fille. La douleur est indescriptible. Cette opération peut avoir lieu plusieurs fois par jour, pendant plusieurs mois. Pas d'information sur la question avant 2006 Le repassage des seins est pratiqué dans toutes les régions, ainsi que dans ses pays voisins du Sud (Gabon et Guinée Équatoriale), et à tous les niveaux de la société. Cependant, comme le précise Mme Menong Meno :
"Dans les régions où le mariage précoce se fait, le phénomène est réduit. Au contraire, on y cherche même à accélérer la puberté des jeunes filles pour pouvoir les marier  plus vite. C’est un autre combat que nous menons à l’ALVF."
Dans un pays où les questions de sexualité et d’éducation sexuelle étaient encore tabous il y a peu, les hommes ignoraient jusqu’à l’existence de cette pratique, les mères l’exerçant en secret sur leurs filles. Il aura fallu attendre la prise de position du Réseau national des associations de tantines1 (Renata), conjointement à la GIZ (Deutsche Gesellschaft für Technische ZusammenarbeitAgence de Coopération Technique Allemande pour le Développement), et une campagne contre cette mutilation pour que les Camerounaises et Camerounais prennent conscience de son danger.
"Depuis 2006, nous menons diverses campagnes de prévention contre le repassage des seins", déclare Georgette Taku Arrey, secrétaire exécutive du Renata. "Au fil du temps, nous avons multiplié les interventions un peu partout dans le pays. Jusqu’à ce qu’on lance la campagne, le repassage des seins était considéré comme normal. C’était tabou d’en parler. Aujourd’hui, c’est différent, ça va changer, on a confiance."
Si, pour l’instant, aucune étude formelle n’a été menée sur les effets de la campagne, Mme Taku Arrey assure que la proportion de jeunes filles victimes de ces mutilation est en baisse.
La campagne contre le repassage des seins porte ses fruits
Quelques membres du RENATA
La sexualité tabou L’auditoire de ces conférences publiques est essentiellement féminine, composée de mères et d’adolescentes, venues pour comprendre ou contester.
"On a un vrai rôle d’éducation sexuelle. Il faut faire comprendre aux mères que ce repassage des poitrines ne règle absolument pas le problème de la grossesse précoce. Pour illustrer ce problème, on fait témoigner des membres de notre réseau, issues de la région où a lieu l’intervention. Des témoignages ont un vrai impact."
Car si les mères essayent de modifier le corps de leurs filles, c’est généralement parce qu’elles ont été elles-mêmes victimes de ce traitement plus jeunes. Elles reproduisent un modèle qu’elles ont subi, pensant bien faire.
"Les mères ne parlent pas de sexualité avec leurs filles. On répond à beaucoup de questions. On aide les familles à comprendre ce qui cause les grossesses précoces."
Le travail du Renata se fait en partenariat avec des structures locales, associations, les médias, les groupes religieux (encore très influents au Cameroun), les écoles. Afin de sensibiliser les camerounais de la génération future, la structure intervient aussi dans les écoles. Là, les enfants peuvent témoigner de ce qu’ils ont pu voir ou subir, et comprendre en quoi ce repassage des poitrines n’est pas une bonne chose. Cependant, depuis 2009, lors du remaniement du gouvernement et le départ de Suzanne Bomback du ministère de la Promotion de la Femme et de la Famille, le rythme des interventions et des opérations de sensibilisation a ralenti. Mme Bomback s’était intéressée au dossier du repassage des seins, et avait fait en sorte que des missions d’information soient mises en place. Lors de son départ, sa successeure Marie-Thérèse Obama n’a pas souhaité reprendre le dossier, se focalisant sur des thématiques plus traditionnelles. Depuis, le pouvoir politique s’est assez peu inquiété de la question de ces mutilations. Mais les efforts se poursuivent. Car, comme Mme Memong Meno le dit:
"Le recul de cette pratique est une bonne chose. Mais il faut qu’elle cesse définitivement. Il y a des progrès, c’est sûr, mais la diminution des filles victimes du repassage des seins n’est pas que le fait de la sensibilisation. La modernité, l’éducation, la communication parent/enfant, tous ces facteurs ont joué en faveur d’une baisse de la pratique. La scolarisation des filles a un rôle très important dans la levée de ce tabou. Par exemple, on commence à parler de sexualité et d’éducation sexuelle en famille. Par ailleurs, les filles sont plus promptes à dire « non »."
La lutte contre le repassage des seins au Cameroun se jouera donc sur deux fronts : les programmes indépendants de sensibilisation, et la scolarisation des filles. Peu à peu, les tabous se lèvent, et les mentalités évoluent. 1 - Tantines est le surnom donné aux intervenantes lors des rencontres du Renata. Ce sont des jeunes femmes qui ont subies des grossesses précoces, et qui font depuis de la prévention pour le réseau.