Fil d'Ariane
Au Festival d'Aix-en-Provence, la jeune femme de 33 ans dirige l’Ensemble luxembourgeois "United Instruments of Lucilin" qui interprète Les mille endormis, du compositeur Adam Maor et du dramaturge Yonatan Levy. Né à Haïfa et formé en Israël et à Genève, Adam Maor fait fusionner électronique, traitement électro acoustique de la voix, sonorités orientales et cantillation liturgique propre aux hazzanim dans les synagogues. Le librettiste et metteur en scène Yonatan Levy, né au Canada et passé par l’Université de Jérusalem, traite les réminiscences politiques à la fois avec gravité et sur le mode de la satire.
Silhouette dénouée, gestuelle énergique et simplicité naturelle, Elena Schwarz mesure sa chance : "Avec Les mille endormis, j’ai le sentiment de participer à une aventure musicale rarissime. Le projet m’est apparu d’emblée très important et d’une grande inspiration pour nous tous quant au rôle que peut jouer la musique dans la société."
Car pour Elena Schwarz, la musique compose un périmètre privilégié pour la compréhension entre les peuples, mais aussi entre les hommes et les femmes : "En tant que citoyenne, je suis très sensible à l’égalité femmes/hommes, mais aussi, plus généralement, à la reconnaissance de la diversité et du traitement des minorités.
Comme artiste, je ne me sens pas représentante d’une catégorie. Ce qui m’importe c’est que le monde de la musique évolue dans l’inclusion", explique-t-elle.
Sur la scène d'Aix-en-Provence, mille Palestiniens, grévistes de la faim, gisent endormis. C'est le Premier ministre israélien et ses services de sécurité qui, par ce biais, veulent "geler" la problématique inextricable qui n’en finit pas de miner le pays, en attente d'une solution. Mais le cauchemar s’insinue dans les esprits des adultes comme des bébés : cauchemar de deux peuples pris dans une même nasse, d’un monde politique paralysé. Cauchemar d’une communauté internationale qui veut acculer les protagonistes une fois pour toutes, songeant à coup de décrets des Nations unies à "commander" que le blé ne puisse plus pousser sur les terres arides du Proche Orient…
Ancré dans une actualité brûlante, Les mille endormis mêle peurs, désespérances et rêves aux allusions bibliques et coraniques qui hantent les imaginaires. Il fallait oser l’écrire, le composer, le produire, le conduire depuis la fosse d’orchestre. "Les mille endormis apporte une vision très intime du point de vue israélien sur la situation que vit la population, sans jamais vouloir s’exprimer à la place des Palestiniens. Au-delà de cette actualité, il permet de nombreuses projections sur des situations inextricables en Europe touchant d’autres rivages", souligne Elena, le regard toujours joyeux et intense.
Pour aborder une partition qui combine des influences aussi diverses, il fallait apprivoiser les références et la symbolique du texte. "J’ai bénéficié d’une formation initiale en Suisse très ouverte aux autres cultures. J’avais aussi eu l’occasion d’appréhender la partition et l’esprit de Beyrouth, une des œuvres précédentes d’Adam Maor, où il s’attache déjà à mettre en lumière des aspects marginalisés de récits sur le Proche Orient", explique-t-elle.
Pur produit du Festival d’Aix en Provence, cet opéra est né des rencontres de jeunes artistes organisées par son Académie d’été. Depuis plus de vingt ans, en marge des représentations, elle organise des ateliers d’écritures, des résidences et des master-classes qui, pour cette édition 2019, auront accueilli quelque 250 musiciens, toutes disciplines confondues. C'est en préparation du Festival d’Aix et grâce au réseau européen ENOA, qu'Elena Schwarz a pu rencontrer il y a plus d’un an, Adam Maor et Yonatan Levy. Ils progressaient alors ensemble, dans leurs écritures respectives. "C’était pour moi une chance extraordinaire de connaître de telles conditions de travail, de pouvoir m’imprégner et participer à un processus créatif en plein cheminement", se souvient-elle.
Un processus dont le fruit est promis à une tournée européenne et internationale - à suivre...