La compassion des "first ladies" pour les enfants migrants séparés de leurs parents aux Etats-Unis

Lorsque les mots de Melania Trump ont été rapportés, lorsque les anciennes premières dames, y compris une Républicaine pure et dure, ont lancé leur appel, le monde entier a applaudi : enfin, il se passait quelque chose aux Etats-Unis contre la séparation des enfants de leurs parents migrants. Serait-ce grâce à elles que Donald Trump est revenu sur cette mesure ? 
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migrants enfants séparations
Des enfants immigrants vus depuis l'extérieur d'un ancien centre de formation du Job Corps où ils sont regroupés, à Homestead, en Floride. De ceux-là, on ne sait s'ils ont franchi la frontière en tant que mineurs non accompagnés ou s'ils ont été séparés de leur famille. 
AP Photo/Wilfredo Lee
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Auraient-elles gagné  ? La voix de ces first ladies, et derrière elles celle d’un nombre croissant de citoyen.nes américains ont fait  fléchir Donald Trump. Ce mercredi 20 juin, le président américain a signé un nouveau décret, cette fois pour annuler la séparation des enfants migrants de leurs parents. Mais le nouveau décret, rédigé à la hâte, bourré de coquilles, est loin d'infléchir la politique "tolérance zéro" imaginée par l'administration trumpienne.  Et ne dit rien des plus de 2000 enfants déjà arrachés à leurs familles, qui pour l'heure restent dans leurs centres de rétention, sans solution... 

Plus de séparation mais demande de détention allongée pour les mineurs

Alors, certes, les enfants de familles de migrants interpellés à la frontière ne seront désormais plus séparés de leurs parents ou tuteurs légaux mais placés avec eux dans des centres de rétention, en attendant que les autorités statuent sur leur sort. Or ces procédures peuvent prendre des mois, voire des années. Et le ministre de la Justice Jeff Sessions va donc tenter de faire modifier une décision de justice qui interdit la détention pendant plus de 20 jours d'enfants, même en famille. Toutes les premières dames, passées et présente, remonteront-elles au front pour empêcher cela aussi ?

Il y eut d'abord Melania Trump. Pas directement, mais dans les mots de sa directrice de la communication, Stephanie Grisham. Ces derniers temps, l'épouse du président américain se fait de plus en plus discrète. On ne sait donc si ces paroles, elle les a réellement prononcées. Mais Stephanie Grisham l'a affirmé au micro de CNN : "elle déteste voir des enfants séparés de leur famille et espère que les deux camps du Congrès pourront enfin tomber d'accord pour faire aboutir une réforme réussie de l'immigration. Elle pense que nous devons être un pays qui respecte toutes les lois mais aussi un pays qui gouverne avec coeur". 

Pensées réelles ou virtuelles

Cette phrase réelle ou fictive, tout le monde ou presque l'a prise au premier degré. Elle était un signal que la Première Dame désapprouvait la politique de son époux à l'encontre des migrants, celle qui consiste entre autres, à séparer les enfants de leurs parents. Les analystes ont développé, écrivant ou disant que cette femme était d'abord une mère, avec un coeur gros comme ça, qui ne supportait plus tant de malheur. 

Ce malheur on pouvait l'entendre dans une vidéo, des sons seuls sur une image noire, les cris et les pleurs des enfants arrachés à leur famille, venus pour la plupart d'Amérique centrale : "Mami !" ou encore "Je ne veux pas qu'ils arrêtent mon père, je ne veux pas qu'ils l'expulsent". Mais on y entend aussi la voix du douanier s'exclamer en riant presque : "Eh on a un orchestre ici, ce qui nous manque juste c'est le chef d'orchestre". Presque 8 minutes de désespoir et de cynisme...  
L'enregistrement a été obtenu par ProPublica. "Pure player" (uniquement sur Internet), le média se décrit ainsi : "Révéler les abus de pouvoir et les trahisons de la confiance des citoyens par le gouvernement, le monde des affaires et d'autres institutions, en utilisant la force morale du journalisme d'investigation pour stimuler les transformations de la société par la mise en lumière continue des actes répréhensibles. ProPublica est une rédaction indépendante à but non lucratif, fondée sur le journalisme d'investigation et une force morale. Avec une équipe de plus de 75 journalistes, ProPublica couvre tout l’éventail de sujets tels que le gouvernement, la politique, les affaires, la justice pénale, l'environnement, l'éducation, la santé, l'immigration et la technologie..."

Une tragédie sonore à hauteur d'enfants minuscules, presque des bébés, appuyée par  des photos dont une en particulier, celle d'une fillette de deux ans, alarmée par la fouille de sa mère. Sa désespérance a fait le tour des réseaux sociaux et des médias comme Time Magazine, devenant le symbole des enfants séparés, et pourtant comme nous l'apprend l'AFP, elle n'avait pas été enlevée à sa mère. Time a maintenu sa Une, parce que pour  son rédacteur en chef Edward Felsenthal : "La photographie du 12 juin de la petite Hondurienne de 2 ans est devenue le symbole le plus visible du débat sur l'immigration actuellement en cours aux Etats-Unis et il y a une raison pour cela". 
Unes enfants migrants
A gauche la Une de Time, à droite cette du New Yorker, les Etats-Unis de Donald Trump à l'heure de la crise des enfants de migrants, 21 juin 2018, en deux Unes
 

Trump "reste à la place qui lui a été assignée 

Mais Mélania se soucie-t-elle des images, ou de la réalité ?  Pas sûr, comme répond Daniel Schneidermann, directeur d'Arrêt sur images (également un "pure player" de vidéos et émissions), "Non, Melania Trump ne sauvera pas l'humanité. A regarder de plus près, la dissidence de la Première dame est moins évidente. Melania Trump juge cruelle la séparation des enfants et des parents ? Mais son mari n'a pas tweeté autre chose.  'Les démocrates forcent la séparation des familles à la frontière avec leur agenda législatif horrible et cruel', a-t-il tweeté vendredi. (.../...) En fait, Melania Trump ne fait rien d'autre qu'appuyer la politique de son mari. Dans cette même intervention reprise par tous les medias du monde, mais dans un passage qui ne figure qu'à la fin des dépêches, elle ajoute espérer 'que les deux camps du Congrès pourront enfin tomber d’accord pour faire aboutir une réforme réussie de l’immigration'. Elle se tient sagement à la place qui lui a été assignée.
first ladies migrants
Hillary Clinton, Michelle Obama, Roselynn Carter et Laura Bush quatre premières dames qui se rappellent à Donald Trump pour tenter d'infléchir sa politique migratoire, mais surtout vis à vis des enfants... 
AP Photo
Mais le monde entier pense pourtant que Melania Trump se dresse contre l'injustice. Parce qu'elle est une femme, une épouse, une mère ?  C'est sans doute les mêmes évidences qui soustendent les applaudissements après l'initiative de quatre autres mais anciennes First Ladies. Les démocrates Rosalynn Carter, Hillary Clinton et Michelle Obama, mais aussi la très républicaine et quasi muette autrefois Laura Bush, ont chacune à leur tour fait savoir à l'administration Trump ce qu'elles pensaient de ce volet spécifique de la "tolérance zéro" concernant les enfants de migrants. 

La colère biblique de Hillary Clinton

S'adressant à un groupe de femmes à New York le 18 juin 2018, la candidate malheureuse contre Trump, Hillary Clinton a qualifié la séparation familiale d'"affront à nos valeurs". Elle rappelle qu'elle avait prévenu de ces dérapages pendant la campagne présidentielle de 2016 qui l'a opposée, durement, à l'homme d'affaires. Cette méthodiste pratiquante depuis son enfance a également critiqué les justifications religieuses énoncées pour appuyer cette politique rigide migratoire : "Ceux qui utilisent sélectivement la Bible pour justifier cette cruauté ignorent un principe central du christianisme. Ces politiques ne sont pas enracinées dans la religion. Ce qu'on fait en utilisant le nom de la religion est contraire à tout ce qu'on m'a enseigné. Jésus-Christ a dit 'laissez venir à moi les enfants', il ne s'agissait certainement pas de les laisser souffrir'"

Le coeur brisé de Laura Bush

Le même jour, Laura Bush, épouse de George W Bush, celui de la guerre à l'Irak et à l'Afghanistan, pourtant peu connue pour son ouverture concernant les questions migratoires, une femme qui ne s'exprime presque jamais sur des questions politiques, a pris la parole via le Washington Post. Rien à voir avec sa successeure actuelle : "Dimanche, ce jour que nous avons mis à part pour honorer les liens de la famille, j'étais parmi les millions d'Américains qui ont regardé ces images d'enfants arrachés à leurs parents. Au cours des six semaines qui se sont écoulées, entre le 19 avril et le 31 mai, le Département de la sécurité intérieure a envoyé près de 2000 enfants dans des centres de détention de masse ou des foyers d'accueil. Plus de 100 de ces enfants ont moins de 4 ans. La raison de ces séparations est une politique de tolérance zéro à l'égard de leurs parents, accusés de franchir illégalement nos frontières. Je vis dans un Etat frontalier (le Texas, ndlr). Je comprends la nécessité de faire respecter et de protéger nos frontières internationales, mais cette politique de tolérance zéro est cruelle. C'est immoral. Et ça me brise le cœur. Notre gouvernement ne devrait pas s'occuper d'entreposer des enfants dans des magasins convertis en camps ou de faire des projets pour les placer dans des villages de tentes dans le désert à l'extérieur d'El Paso (Texas, à la frontière avec le Mexique, ndlr). Ces images rappellent les camps d'internement des citoyens d'origine japonaise pendant la Seconde Guerre mondiale, aujourd'hui considérés comme l'un des épisodes les plus honteux de l'histoire des États-Unis. Les Américains sont fiers d'être une nation morale, d'être la nation qui envoie de l'aide humanitaire dans des endroits dévastés par des catastrophes naturelles, la famine ou la guerre. Nous sommes fiers de croire que les gens devraient être appréciés pour leur personnalité et non pour la couleur de leur peau. Si nous sommes vraiment ce pays, nous avons l'obligation de réunir ces enfants détenus avec leurs parents et surtout d'arrêter de les séparer. Les gens de tous les côtés s'entendent pour dire que notre système d'immigration ne fonctionne pas, mais l'injustice de la tolérance zéro n'est pas la solution."
La républicaine, même si elle va plus loin que Melania Trump ne remet cependant pas fondatelement en cause la politique migratoire de femeture... 

Les rappels historiques de Rosalynn Carter

Rosalynn Carter, l'aînée de la "bande", du haut de ses presque 91 ans, riche d'une histoire marquée par plusieurs guerres dans lesquelles étaient engagés les Etats-Unis seuls ou avec leurs alliés, a réagi avec ardeur à ce qui pour elle est une infâmie. « Quand j’étais première dame, je travaillais à attirer l’attention sur le calvaire des réfugiés qui fuyaient le Cambodge ou la Thaïlande. Je suis allée en Thaïlande et j’ai été témoin directe du traumatisme des parents et de leurs enfants séparés malgré eux par les circonstances. La pratique et la politique menées aujourd’hui de séparation des enfants, enlevés du soin et de l'attention de leurs parents à la frontière avec le Mexique est infâme et une honte pour notre pays. »
Et, cela n'étonnera personne, Michelle Obama a rejoint la ronde, en partageant le point de vue de la républicaine Laura Bush parce que malgré les différences "la vérité, parfois, transcende les partis" : 

Le coeur sur la main, les femmes qui défendent la politique de Donald Trump

Dans le camp de la "tolérance zéro", celui qui met les enfants dans des supermarchés désaffectés, en première ligne, on trouve des femmes, qui crient haut et fort que elles aussi elles ont du coeur.  Ainsi nous raconte le Guardian, en pleine crise, « la secrétaire à la sécurité intérieure, Kirstjen Nielsen, a dû revenir en vitesse de la Nouvelle-Orléans à Washington pour faire face à un barrage de questions des journalistes, alors même que les Démocrates exigeaient sa démission et que le tollé atteignait une masse critique. Nielsen proclamait pourtant que l'Amérique était un pays de "compassion" et de "cœur", mais était incapable de savoir si les séparations étaient une justification de la politique de "tolérance zéro" de l'administration à l'égard de l'immigration illégale ou une conséquence involontaire d'une loi du Congrès américain. » En réalité, elle pretend que son administration ne fait qu'appliquer strictement les lois.... 

Une autre femme s'est illustrée à ce jeu de l'indéfendable : "Comme mère, comme catholique, comme femme de conscience, je peux vous dire que personne n'aime voir des bébés arrachés des mains de leur mère", a dit la proche conseillère de Donald Trump, Kellyanne Conway, sur la chaîne NBC, celle qui depuis février 2017 n'a pas son pareil pour fabriquer des "faits alternatifs".

Pour les téméraires, l'intégralité de l'entretien est à regarder et écouter ci-dessous :

Peut-être Kellyanne Conway ne verrait-elle que des fausses rumeurs dans ce rare témoignage, celui de la Docteure Colleen Kraft, présidente de l'"American Academy of Pediatrics", l’une des seules « civiles » à avoir visité un centre de rétention au Texas pour les enfants de 12 ans et moins. Elle décrit son expérience à Gayle King, d'une voix douce qui décrit cliniquement le malheur : « Les bambins que j’ai vus ne bougeaient pas comme le font habituellement des enfants de cet âge. Ils étaient très calmes. Il y avait une petite fille qui sanglotait, gémissait, frappait ses petits poings sur le tapis. Le personnel était là à côté d'elle. Elle pleurait, elle n’avait pas plus de deux ou trois ans… Elle était inconsolable. Ils lui donnaient des jouets, des livres, mais ils n’avaient le droit ni de la réconforter ni de la toucher. Et oui c’est une forme de maltraitance des enfants. Les traumatismes issus de telles situations sont irréparables pour le développement du langage, et de la motricité. »
Pour finir, au milieu de ces voix de femmes (même si on a aussi entendu des élus démocrates crier leur colère directement à l'adresse de Mr Trump), on donnera la parole à un homme, Michael Moore, le réalisateur documentariste qui traque les travers des Etats-Unis en tendant des miroirs à ceux qui la fabriquent.  

"Ah, l'Amérique ! Nous sommes passés de la séparation des bébés indiens de leurs parents (puis de leur extermination), au vol des bébés de leurs parents esclaves (puis à leur revente en esclavage), à la construction d'un pays sur le travail des enfants (travail dans des usines dès l'âge de 8 ans), à l'incarcération de bambins japonais-américains dans des camps d'internement, à la permission accordée aux prêtres d'abuser sexuellement d'enfants pendant des décennies, à faire ingérer des seaux de sirop de maïs à haute teneur en fructose dans la gorge des enfants jusqu'à ce que la moitié d'entre eux prennent part à une épidémie d'obésité infantile, à transformer nos écoles en camps retranchés de tueries parce que nous adorons nos armes plus que nos enfants --  de qui se moque-ton ? Arrêtez d'être choqués et surpris que Trump enlève des enfants hispaniques à leurs parents comme si "ce n'était pas ce que nous sommes !" Oui, c'est comme ça. Nous avons TOUJOURS été ce que nous sommes. Ne dites pas que Trump viole "nos valeurs américaines". La maltraitance des enfants est une valeur historique américaine. Sois fière, l'Amérique. Trump, c'est nous.
Michael Moore

Il y a sans nul doute d’autres pays où les mêmes mots, transposés, pourraient faire mouche... 

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