Fil d'Ariane
Depuis sa légalisation en France dans les années 1960, la contraception est devenue essentiellement une affaire de femmes. Pourtant, peu le savent mais « les études historiques montrent qu’au niveau psychologique, les hommes ont longtemps été considérés comme responsables de la contraception. C’était quelque chose qui se transmettait de père en fils », explique Cécile Ventola, chercheure en santé publique à l’Inserm.
« Les femmes étaient quant à elles chargées de la grossesse ou de l’avortement », pousuit la jeune femme auteure d’une thèse sur la contraception masculine, lors d’une conférence donnée le 24 septembre 2015, au centre Hubertine Auclert.
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Comment expliquer ce retournement dans la culture française de la contraception ? Les femmes se sont battues pour prendre la pilule. Maintenant qu’elles y ont droit, devraient-elles porter seules la responsabilité de tomber enceintes ou non ? « Aujourd’hui, elles sont prêtes à partager avec les hommes », assure Catherine El Mghazli, conseillère au Planning Familial de Paris, également présente à la conférence.
La pilule contraceptive n’existe pas encore pour les hommes, certes, mais d’autres méthodes existent. Elles sont nombreuses et légales.
Le préservatif, considéré comme un rempart efficace contre le VIH du sida, reste le moyen de contraception privilégié par les Français. Il est utilisé par environs 15% de la population (données Ined 2010). Mais, il n’y a pas que lui. « Des méthodes contraceptives modernes existent et sont accessibles aujourd’hui en France », affirme Pierre Colin, président de l’Association pour la recherche et le développement de la contraception masculine (Ardecom).
La plus connue d’entre elles est probablement la vasectomie. Une intervention chirurgicale qui consiste à sectionner les canaux déférents transportant les spermatozoïdes. Autorisée en France depuis 2001, seulement 0,5% des Français y ont recours contre 8% en Espagne et 20% au Royaume-Uni, selon les statistiques 2012 des Nations Unies. Quant à l’Allemagne, 50 000 vasectomies sont pratiquées par an.
Plus originale, mais pas définitive, la contraception dite thermique consiste à freiner la production de spermatozoïdes à l’aide d’un slip compressant les testicules en augmentant leur température. Cette méthode a été étudiée par un Français, le Dr Mieusset, qui la prescrit au CHU de Toulouse. Le sous-vêtement a fait ses preuves, mais n’est pas encore commercialisé. « Il reste artisanal, confie Pierre Colin. Et si on ne le fait pas correctement, cela peut entraîner des gènes ou des irritations. »
Enfin, le moyen contraceptif qui se rapprocherait le plus de la pilule féminine est la contraception hormonale. Un traitement régulier qui diminue la production de spermatozoïdes en envoyant une vraie-fausse dose de testostérone au cerveau. Ce dernier arrête ensuite d’en commander la production aux testicules. Dans ce cas, il ne s’agit pas vraiment d’un comprimé, mais d’injections hebdomadaires.
« Cette méthode encore reste très confidentielle, déplore Pierre Colin. Seulement deux médecins hospitaliers la prescrivent en France, malgré un protocole validé par l’OMS et expérimenté sur 1 500 hommes depuis presque 30 ans. » La quasi totalité des médecins pensent en effet que cette contraception masculine est encore du domaine de l’expérimentation et qu’elle ne peut être diffusée ou prescrite.
Dans le processus de féminisation de la contraception, l’institution médicale joue un rôle majeur. Car, depuis qu’elle est médicalisée, la contraception est prescrite par les médecins. « J’ai remarqué deux attitudes parmi les prescripteurs, précise Cécile Ventola. Il y a d’abord les « agnostiques », ceux qui attendent de voir et les autres plus radicaux qui concluent directement à l’impossibilité naturelle des hommes. Pour eux, la compétence contraceptive est directement liée à la compétence gestationnelle, donc aux femmes. »
La contraception masculine pour en parler, il faut que monsieur soit là. Mais, monsieur, il n’est jamais là en consultation
une gynécologue
De plus, ce sont généralement les gynécologues qui abordent la question de la contraception. Or, ce domaine médical est extrêmement balisé « féminin ». « La contraception masculine pour en parler, il faut que monsieur soit là. Mais, monsieur il n’est jamais là en consultation », souligne une praticienne.
Outre-Manche, c’est différent. Les contraceptifs sont proposés par les médecins généralistes. « Leur approche est plus pragmatique, moins genrée », indique Cécile Ventola. Et contrairement aux médecins français, les britanniques sont rémunérés de manière forfaitaire. Ce qui implique leur désintérêt à voir les patients revenir. Ils seraient donc plus enclins à proposer des vasectomies.
« Cela ne veut pas dire que les médecins sont motivés seulement par l’appât du gain mais ce sont des choses qu’il faut prendre en compte », clarifie la chercheuse. Des intérêts économiques que cite également Catherine El Mghazli du planning familial : « Les contraceptions définitives ne rapportent rien aux laboratoires, qui dictent souvent les pratiques des médecins. A l’inverse, la pilule rapporte gros. »
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Enfin, le plus grand obstacle à la contraception masculine reste les hommes et les femmes eux-mêmes. « Le problème n’est pas que médical, a expliqué Marie-Pierre Martinet, secrétaire général du Planning familial, au quotidien Libération. Limiter la capacité reproductive des hommes fait peur : cela questionne leur rôle, celui des femmes, la fertilité, la virilité. »
Par ailleurs, nombreuses seraient les femmes à ne pas faire confiance à un homme quant à sa capacité à prendre au sérieux sa contraception. « C’est parce que les hommes ne sont pas capables de se 'contracepter' que je ne recommande pas ces méthodes. C’est impossible de compter sur eux », avancent la plupart des gynécologues interrogés par Cécile Ventola.
En plus de donner une place à la contraception masculine dans les formations initiales et continues des professionnels de la santé, l’Ardecom préconise un meilleur dispositif de prévention dans les établissements scolaires. Pour ses membres, « la contraception concerne autant les filles que les garçons, et ce n’est qu’en travaillant sur les rapports sociaux de sexe, que nous pourrons lever les freins sur l’acceptabilité et la diffusion de la contraception masculine comme féminine. »
L’association créée en 1979 a bien tenté de démocratiser ces méthodes contraceptives, en démarchant notamment le Ministère de la Santé et le Laboratoire de l’Egalité. « On pensait qu’ils pourraient nous faire un peu de publicité dans les Plannings familiaux, à l’aide de dépliants par exemple. Notre demande est restée sans suite », soupire Pierre Colin qui a essuyé le même échec auprès du Ministère de l’Education.
Parler de ces méthodes aux jeunes est intéressant, dans le sens où cela implique des rapports égalitaires dans le couple
Catherine El Mghazli, animatrice au Planning familial
Au niveau de la présentation de la contraception masculine, « la France pourrait mieux faire, conclut l’animatrice au Planning familial Catherine El Mghazli. Parler de ces méthodes aux jeunes est intéressant, dans le sens où cela implique des rapports égalitaires dans le couple. C’est quelque chose qui devrait être acquis ou banalisé. On pourrait se dire que les hommes aussi ont le droit de contrôler leur fécondité. »
Enfin, pour que la contraception masculine devienne à la mode, Pierre Colin pense qu'il faut rendre le slip chauffant « stylé ». Selon lui, « la commercialisation par de grandes marques de vêtements de slips contraceptifs sur le modèle testé à Toulouse, permettra peut-être d'ici quelques années de toucher un plus large public » et donc de développer massivement la contraception thermique.
Créateur de la marque SpermaStop et et fondateur de l’association Jemaya Innovations, Olivier Nago, très impliqué dans le choix contraceptif masculin, est à l'origine d'un boxer thermique nouvelle génération. Avec ce sous-vêtement branché, il lancera peut-être en France le mouvement. Un mouvement crucial pour lui, dont il explique les raisons.
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