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A la croisée des mondes : la chanteuse turque Özlem Bulut

« Je suis bien sage, je fais ce que l’on me dit de faire… » chante la mariée en cuir et robe courte, entourée de ses musiciens. Son regard de biche et sa moue impertinente disent tout le contraire...
Ce clip n’a jamais été diffusé à la télévision dans son pays. Car sur le marché turc, explique la chanteuse Özlem Bulut, des seins siliconés et un décolleté plongeant passent mieux que l’insolence et le second degré. « Ce que l’on attend de vous, en Turquie, c’est que vous vous mettiez en retrait, que vous restiez séduisante et vouliez plaire aux hommes. Les agents turcs avec lesquelles je travaille ont aussi ce moule dans lequel ils veulent voir s’inscrire la femme. A la télévision turque, tout doit être parfait, rien ne doit dépasser, confirme özlem Bulut. Et personne ne me pose les bonnes questions ! » Invitée de Magreb Orient Express ce dimanche 7 février sur TV5MONDE, elle évoque librement les dimensions sociales et politiques de son dernier album Ask (« Amour ») :

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La chanteuse turque était l'invitée de Maghreb Orient Express ce dimanche 7 février.


Son air rebelle et mutin évoque plutôt une fille de la ville, issue de la très cosmopolite bourgeoisie stambouliote. Pas du tout. Özlem Bulut est née en 1982 dans un village du sud-est de la Turquie. Son enfance est baignée de musique traditionnelle d’Anatolie et l'on retrouve, dans son interprétation du jazz et de la pop-soul, l'influence des chansons que lui chantait sa grand-mère dans son premier album Bulut ("nuage"), sorti en 2011, et dans son nouvel album Ask.

Ce jour-là, par hasard, se tenait le concours d’entrée à l’opéra.

« Il est vrai que j’ai commencé avec quelques handicaps par rapport à d’autres, » reconnaît Özlem avec un sourire. Si elle a pu faire son chemin, c’est que sa famille l’a toujours encouragée à persévérer dans sa voie. « J’ai toujours fait de la musique. Avec mes cheveux à la Janis Joplin et mon jean déchiré, je jouais de la guitare dans la rue." Et puis un jour, soucieux de la cadrer un peu, son père l’emmène au conservatoire. « Ce jour-là, par hasard, se tenait le concours d’entrée à l’opéra. Mon père non plus ne le savait pas," se souvient-elle. L'épisode est inoubliable : parmi toutes ces jeunes filles endimanchées, c’est moi, avec mon t-shirt et mon pantalon troué qui ai été sélectionnée. J’ai toujours un peu été le mouton noir, » dit-elle dans un éclat de rire.

Cap sur Mersin, puis Istanbul, pour y étudier le chant lyrique. En 2006, Özlem décroche une bourse d'études en Autriche, où elle vit encore aujourd'hui. Elle se produit au prestigieux Vienna State Opera et au Vienna Volksoper, avant de fonder le groupe Özlem Bulut Band. Nourri d’inspirations plurielles, son style est une « çorba » (soupe), composé des berceuses de sa grand-mère, de ses expériences musicales et de l’enseignement classique du conservatoire. 
 

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La chanteuse turque était l'invitée de Maghreb Orient Express ce dimanche 7 février.


Ce n’est pas dans son village de l’est de la Turquie que la jeune femme s'est le plus heurtée aux codes que les sociétés orientales, souvent, imposent aux femmes. « Je n’ai pas grandi dans une société où les frères, les pères courent après les filles pour qu’elles se rangent, explique-t-elle.

Nous devions entrer dans le moule

Ses problèmes ont commencé à partir du moment où elle ne correspondait plus au cliché que la société dans son ensemble se faisait de la femme. "Au conservatoire, on nous bourrait le crâne en nous répétant que nous étions des perles, des talents uniques. Et que par conséquent, nous devions entrer dans le moule. Un moule qu'on impose aux artistes féminines en Turquie, mais aussi en Europe. Et moi, je n’y arrive pas. »

Elle ne se définit pas comme féministe. Pas d’engagement, non, mais elle est née rebelle, et a la ferme intention de continuer à tracer sa propre route en dehors des sentiers battus, à la croisée de l'Orient et de l'Occident, de la modernité et de la tradition.