Fil d'Ariane
"Je pense qu’être artiste, c’est suivre sa propre voie et avoir le courage d’être soi-même, tel qu’on est", disait Joyce Wieland. C’est ce qu’a fait, tout au long de sa carrière, cette artiste canadienne engagée et féministe.
Moi, Joyce Weyland, 1958
Née à Toronto le 30 juin 1930, Joyce Weiland fut la première artiste femme à avoir une exposition individuelle au musée des Beaux-Arts du Canada, en 1971. Puis en 1987, elle eut droit à une rétrospective au Musée des Beaux-Arts de l’Ontario. Le musée des Beaux-Arts de Montréal, à son tour, avait à cœur de braquer les projecteurs sur cette artiste, moins connue des jeunes générations, avec cette rétrospective "Joyce Wieland : à cœur battant", jusqu’au 4 mai 2025.
Elle faisait partie d'une génération d'artistes de Toronto qui avait une grande visibilité sur la scène nationale canadienne, et elle était la seule femme de ce groupe. Anne Grace, conservatrice de l’art moderne au MBAM
"Cela fait quarante ans qu’il n’y a pas eu d'exposition majeure consacrée à l'artiste, et on veut vraiment réaffirmer son importance et sa place dans l'histoire, explique Anne Grace, conservatrice de l’art moderne au MBAM. À son époque, c'était une artiste reconnue. Elle a été la première à avoir des expositions dédiées à son art. Elle est connue par une certaine génération d'artistes et par un certain public, mais on veut la faire découvrir par le public d’aujourd'hui, car son œuvre nous aide aussi à comprendre le moment présent. Elle faisait partie d'une génération d'artistes de Toronto qui avait une grande visibilité sur la scène nationale canadienne, et elle était la seule femme de ce groupe".
Joyce Wieland, La raison avant la passion, 1968. A l'époque, La raison avant la passion a retenu l’attention par son allusion directe au Premier ministre Pierre Elliott Trudeau, qui avait déclaré : "La raison avant la passion; c’est le thème de tous mes écrits."
Joyce Weiland était une coloriste de talent et une artiste polyvalente : au-delà de la peinture, elle a travaillé avec différents matériaux, du plastique, du textile. Elle a aussi, dans les années 1960, réalisé des films expérimentaux qui ont été présentés aux États-Unis, en Europe et au Japon.
"Elle se servait d’un large éventail de matériaux, et aucun de ses choix n'a jamais été gratuit, souligne Anne Grace. Il y a une remarquable continuité dans son art, continuité d'idées, de thématiques, qui se manifeste à travers différents matériaux, la peinture, le dessin, le textile… On est séduit par les surfaces brillantes, les lettres gonflées, les corps rembourrés. Et c'est à travers ces différents médiums que son message se révèle".
Les oeuvres de Joyce Wieland exposées au musée des Beaux-Arts de Montréal.
Joyce Weiland était une artiste engagée. En 1962, elle s’installe à New York avec son mari, Michael Snow, où elle va vivre une décennie. Cette vie aux États-Unis la fait réfléchir aux différences entre les identités canadiennes et américaines. Une réflexion qu’elle illustre dans son art et qui résonne fort aujourd’hui, alors que les relations entre le Canada et les États-Unis sont entrées dans une ère de tensions extrêmes depuis l’arrivée à la Maison Blanche de Donald Trump.
Si on veut sauver la planète, ce sont les femmes qui devront s’en charger. Joyce Wieland
"Elle était à New York dans les années 1960 et c’était une décennie assez mouvementée, souligne Anne Grace. Elle a notamment protesté contre la guerre du Vietnam. C’est cette expérience d'avoir vécu aux États-Unis qui a nourri sa vision de ce que c'était d'être Canadienne." Exemple : La courtepointe d’eau, composée de 64 carrés dans lesquels on voit des fleurs d’Arctique brodées d’une manière très délicate, avec beaucoup de finesse.
La courtepointe d’eau, Joyce Wieland, 1971
Mais sous chaque fleur, on voit la reproduction de pages d’un livre de James Laxer qui parle de la politique canadienne pour se fournir en pétrole et autres ressources énergétiques aux États-Unis. "C’était un point de vue écologique qui parlait de l'importance de prendre soin des ressources naturelles et de s'assurer que le Canada n'était pas exploité par les États-Unis". Une préoccupation toujours d’actualité alors que Donald Trump lorgne vers les ressources naturelles du Canada, ses réserves d’eau douce – 20% des réserves mondiales – son hydroélectricité, son pétrole, ses minéraux critiques.
"Si on veut sauver la planète, ce sont les femmes qui devront s’en charger", disait Joyce Weiland. Dans son engagement politique, l’artiste a rapidement embrassé les causes du féminisme et de l’écologie. "Elle disait qu’elle voulait faire honneur à l’artisanat, parce que les matériaux et techniques dont elle se servait, le tricot, la courtepointe, la broderie, c’étaient les femmes qui en faisaient traditionnellement," relève Anne Grace. Elle disait aussi "les sujets entourant la condition féminine ainsi que ma propre féminité sont progressivement devenus le territoire de mon art".
C’est à travers ses différents choix, son attitude envers la politique et l’écologie, que l’on entend sa voix féministe. Anne Grace
Selon la commissaire, si son oeuvre ne traite pas nécessairement de sujets féministes en tant que tels "c’est à travers ses différents choix, son attitude envers la politique et l’écologie que l’on entend sa voix féministe. Elle avait cette préoccupation de penser au futur de la planète, le lien entre les espèces humaines, les animaux, et cette nécessité de bienveillance envers notre planète. C’était vraiment central, surtout dans la deuxième partie de sa carrière".
Experiment with Life, Joyce Wieland, 1983
Les œuvres que Joyce Weiland a produites sur l’Arctique sont un bel exemple de cet engagement écologique. Elle s’intéresse à cette région du grand Nord canadien dans les années 1960, alors que la guerre froide entre les États-Unis et l’URSS en font une zone stratégique. Elle va créer deux de ses plus grandes courtepointes qui parlent de l’urgence de protéger cet endroit à l’écosystème riche mais fragile. Et l’Arctique reste un sujet chaud de notre actualité agitée tant sur le plan politique qu’environnemental, car le grand Nord canadien est l’une des régions de notre planète qui se réchauffe le plus dans le monde.
Pour Anne Grace, il ne fait aucun doute que Joyce Weiland a marqué l’art canadien : "Elle a surtout exploré des territoires qui n'étaient pas encore reconnus dans le monde de l'art, non seulement les matériaux, mais aussi les sujets tels que l'écologie, la menace de l'impérialisme américain".
Son regard, la façon dont elle se sert des objets, des matériaux, nous permet de réfléchir à toutes sortes d’idées reçues. Anne Grace
La commissaire tient à rappeler qu'elle était vraiment le seul artiste à se préoccuper de ces sujets. "Son regard, la façon dont elle se sert des objets, des matériaux, nous permet de réfléchir à toutes sortes d’idées reçues, mais surtout, c'est l'exploration des territoires qui l'intéressait, notamment l’Arctique, c’est son regard sur le monde avec un point de vue politique et écologique qui a marqué son art".
L’exposition se termine avec la présentation de la dernière décennie de production Joyce Weiland, dans les années 1980. Des tableaux très colorés et absolument magnifiques, avant que la maladie d’Alzheimer ne l’emporte en juin 1998. "Elle avait un esprit vif. C’est une artiste qui nous étonne, qui nous fait réfléchir", conclut Anne Grace.
Oeuvres de Joyce Wieland exposées au musée des Beaux-Arts de Montréal, au Québec.
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