Combat pour la liberté

La détermination intacte des militantes iraniennes

Image
Sepideh Gholian et Nazila Maroufian

Sepideh Gholian et Nazila Maroufian sortant de prison (montage twitter)

Partager4 minutes de lecture

Les femmes subissent de cruels abus dans les prisons iraniennes. Cela ne les empêchent pas d'en sortir avec une détermination intacte, tête nue ou slogan contre le gouvernement aux lèvres, tandis que les autres chantent la résistance derrière les barreaux.

13 août 2023 : la journaliste Nazila Maroufian sort de la prison d'Evine, à Téhéran, après plus d'un mois de détention, et publie une image d'elle tête nue sur les réseaux sociaux. "N'acceptez pas l'esclavage", poste-t-elle sur X et Instagram, avec une photo d'elle faisant le signe de la victoire.

Tweet URL

La militante est alors de nouveau arrêtée et transférée à la prison pour femmes de Qarchak, près de Téhéran, dont les conditions de détention sont régulièrement dénoncées, selon Human Rights Activists News Agency (HRANA).

Le 16 août, Nazila Maroufian, annonce sur les réseaux sociaux avoir été relâchée. Elle s'interroge : "Regrettes-tu d'avoir posté la photo après ta libération ? Admets-tu que tu as commis une erreur ?"  "Non, je n'ai rien fait de mauvais", conclut la jeune femme de 23 ans, publiant une image similaire d'elle la tête découverte, portant une chemise blanche, un bras levé avec le V de la victoire et un bouquet de fleurs dans l'autre main.

Ses jours de liberté sont désormais comptés. Le 30 août, Nazila Maroufian est encore une fois arrêtée pour ne pas avoir porté de voile dans un lieu public et "publié ses photos sur les réseaux sociaux", précise l'agence de presse Tasnim.

Tweet URL

Nazila Maroufian, arrêtée pour "propagande contre le système"

En octobre 2022, Nazila Maroufian interviewe Amjad Amini, le père de Mahsa Amini, dont la mort en détention a déclenché une vague de manifestations sans précédent, qui a emporté tout le pays, tous sexes et ethnies confondus. Des centaines de personnes, dont des membres des forces de sécurité, ont été tuées. Des milliers de manifestants ont également été arrêtés, accusés par les autorités de participer à des "émeutes" fomentées par les pays occidentaux.

Dans l'interview publiée sur le site d'information Mostaghel Online, Amjad Amini accuse les autorités d'avoir menti sur les circonstances de la mort de sa fille, arrêtée parce qu'elle n'aurait pas porté correctement son voile sur la tête. Les autorités imputent sa mort à un problème de santé, alors que la famille et des militants affirment qu'elle a reçu un coup à la tête en détention.
 

Basée à Téhéran mais originaire de Saqez, la ville natale d'Amini, dans la province du Kurdistan, Nazila Maroufian a été arrêtée une première fois en novembre 2022, puis libérée, déclarant qu'elle avait été condamnée à deux ans de prison avec un sursis pendant cinq ans pour "propagande contre le système" et "diffusion de fausses nouvelles".

Tweet URL

Sepideh Gholian : slogans contre Khamenei

Le cas de Nazila Maroufian fait écho à celui de la militante et journaliste Sepideh Gholian, 28 ans, arrêtée en mars 2023 quelques heures après être sortie de prison au bout de quatre ans d'incarcération – tête nue, scandant des slogans contre le guide suprême iranien, Ali Khamenei. "Khamenei le tyran, nous te traînerons sur le sol !", lançait-elle, cheveux au vent, défiant le code vestimentaire strict imposé aux femmes en Iran.

Tweet URL

Selon l'Agence de presse des militants des droits humains (HRANA) basée aux Etats-Unis, Sepideh Gholian a été immédiatement réarrêtée alors qu'elle rentrait en voiture avec sa famille à leur domicile de Dezful, dans la province du Khouzestan, dans le sud-ouest du pays. La HRANA n'avait pas d'information sur le lieu de détention de la jeune femme ni sur les accusations à son encontre.

Interpellée pour la première fois en 2018 lors des grèves à la raffinerie de sucre d'Haft Tappeh, dans l'ouest de l'Iran, Sepideh Gholian avait été brièvement libérée sous caution en octobre 2019. La militante en faveur des droits des travailleurs avait de nouveau été arrêtée en janvier 2019 et condamnée à purger une peine de cinq ans de prison pour atteinte à la sécurité nationale.

Tweet URL

Le calvaire des Iraniennes en prison

En cellule, Sepideh Gholian a décrit, à travers des lettres et des messages envoyés à ses soutiens, les abus auxquels sont soumises les femmes dans les prisons en Iran. Beaucoup de femmes détenues en Iran ont été arrêtées bien avant le mouvement de protestations déclenché le 16 septembre 2022 par la mort en détention de Mahsa Amini. Mais leur nombre n'a fait qu'augmenter après la répression des manifestations. 

Dans une lettre déchirante publiée par la BBC en farsi en janvier 2023, elle raconte les méthodes utilisées par les personnes menant les interrogatoires pour aboutir à des confessions forcées, et les cris résonnant à travers la prison. "Aujourd'hui, les sons que nous entendons... à travers l'Iran sont plus forts que les cris des salles d'interrogatoire, c'est le son de la révolution, le son de la vérité : 'Femme Vie Liberté'", en référence au slogan scandé dans les manifestations. 

"Bella ciaio", le chant de la révolution des femmes en farsi

"Ecoutez bien : et un, deux, trois !" : un groupe de détenues de la prison d'Evin à Téhéran entament alors avec force le chant révolutionnaire Bella ciao en farsi, tandis que la fille de l'une des prisonnières les enregistre à l'autre bout du téléphone. "Une pour toutes et toutes pour une !", lancent-elles en riant et en s'applaudissant, dans un acte de défiance et de soutien au mouvement de protestation en Iran, malgré les risques encourus.

L'extrait sonore de cette conversation téléphonique, saisissant, date de janvier 2023. Il a été diffusé sur les réseaux sociaux et est devenu le symbole du courage des femmes détenues dans cette prison de Téhéran – tristement célèbre pour ses conditions extrêmement difficiles – et de leur volonté de poursuivre leur soutien au mouvement.

Nombre de prisonnières, comme la militante écologiste Niloufar Bayani, arrêtée en 2018, sont détenues depuis des années. D'autres ont passé les derniers dix ans de leur vie sous les barreaux, libérées, puis réincarcérées.

Tweet URL

Libérations médiatiques

Plusieurs femmes ont été libérées ces derniers mois, à commencer par Alieh Motalebzadeh, journaliste et défenseure des droits des femmes, dont la fille a posté le clip audio Bella ciao, et la chercheuse franco-iranienne Fariba Adelkhah, arrêtée en Iran en juin 2019 et condamnée à cinq ans de prison pour atteinte à la sécurité nationale. 

Les défenseurs des droits de l'Homme qualifient ces grâces de "coups médiatiques", d'autant que plusieurs militantes célèbres sont toujours emprisonnées, dont la militante des droits humains Narges Mohammadi, les défenseures de l'environnement Sepideh Kashani et Niloufar Bayani – condamnée en 2020 à dix ans de détention pour "espionnage" – ou encore la militante germano-iranienne pour les droits humains Nahid Taghavi.  

Les femmes ont démontré qu'elles sont les voix du changement, de la liberté et de l'égalité. 
Jasmin Ramsey

Ces femmes sont privées de liberté parce que la République islamique "tremble face à leur parole", estime Jasmin Ramsey, directrice adjointe du Centre pour les droits humains en Iran (CHRI, basé à New York). "Le foulard est un des piliers de la Révolution islamique, comme l'est la soumission des femmes. Ils détestent quand les femmes se font entendre et disent 'je peux faire tout ce que je veux !'

Les voix du changement

Narges Mohammadi, l'une des femmes ayant entonné Bella ciao, a émergé ces derniers mois comme l'une des prisonnières les plus critiques vis à vis des autorités. Elle dénonce les conditions d'incarcération à Evin et apporte son soutien aux manifestations. En décembre 2022, elle a publié une lettre ouverte depuis la prison dénonçant des agressions sexuelles subies par des détenues et évoquant des cas de viols de femmes lors de leurs interrogatoires.

"Les femmes ont démontré qu'elles sont les voix du changement, de la liberté et de l'égalité. L'une des raisons pour laquelle Narges est toujours en prison est que les autorités la craignent. Elles les fait frémir", lance Jasmin Ramsey, la directrice adjointe du CHRI.

Tweet URL

 

Nouvelle vague d'arrestations

Depuis la France, des élus, parlementaires, avocats et militants des droits humains adressent une lettre à l'ambassade d'Iran à Paris "pour exiger la libération immédiate des militantes féministes illégalement détenues" par Téhéran. Les signataires dont Laurence Rossignol, vice-présidente du Sénat, Olivier Faure, premier secrétaire du Parti socialiste, Sandrine Rousseau, députée écologiste Nupes et Dominique Voynet, médecin et ancienne ministre, déplorent l'arrestation les 16 et 17 août derniers d'une douzaine de militantes iraniennes dans la province du Gilan (nord).

Tweet URL

"Suspectées de se livrer à des activités troublant l'ordre public, elles encourent de lourdes peines, et cela, uniquement pour leurs combats en faveur de l'égalité et pour les droits inaliénables des femmes, écrivent-ils. Ces arrestations interviennent tandis qu'une vague inédite de répression sévit à l'encontre des militant.es des droits humains, et en particulier, de militantes féministes, à l'approche de la date anniversaire de la mort de Jina Mahsa Amini pour un voile mal porté".

"Par la présente, nous appelons à la libération immédiate des militantes féministes illégalement détenues et plus largement de l'ensemble des prisonnier.ères d'opinion incarcéré.es dans tout le pays", demandent les signataires de la lettre, datée du 20 août et adressée au chargé d'affaires de l'ambassade d'Iran à Paris.

Ils rappellent par ailleurs que "nul ne peut être inquiété pour ses opinions" et que la liberté d'expression est garantie "par les stipulations du pacte international des droits civils et politiques dont la République islamique d'Iran est signataire".