La France adopte, à l'essai, les Maisons de naissance

Neuf maisons de naissance, qui permettent à des femmes d'accoucher sans hospitalisation, ont été retenues par le ministère français de la Santé, pour fonctionner à titre expérimental. Une première en France, où la médecine obstétrique est traditionnellement assez rétive à ces alternatives.
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accouchement de romulus et rémus
"Légende de Romulus et Rémus : l’accouchement de Rhéa Silva" au musée des Beaux-Arts de Libourne - France
Musée des Beaux-Arts de Libourne
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Le jour de l'annonce avait été bien choisi. Le lendemain de Noël, le 26 décembre, un arrêté publié dans le journal officiel mentionnait la liste des neuf maisons de naissance expérimentales retenues par le ministère de la Santé, afin d'étendre la possibilité aux femmes qui le souhaitent, d'accoucher "comme à la maison". De quoi raviver la querelle entre partisanes de la médicalisation et celles de la proximité avec la "nature", la médicalisation étant vécue par ses adversaires comme violente, et son absence par les tenants de l'hospitalisation comme risquée, pour les femmes comme pour les bébés.

Les établissements étaient appelés à répondre à un appel d'offres lancé à l'été 2015, aux nombreuses règles à respecter : une sage-femme doit être "en mesure de pouvoir intervenir à tout moment, tous les jours de l'année, dans un délai compatible avec l'impératif de sécurité". Par ailleurs "lors des accouchements", deux sages-femmes doivent être présentes dans les locaux, notamment en cas de "situation d'urgence" nécessitant le transfert de la mère et de l'enfant. Enfin, la maison de naissance est tenue d'organiser les dépistages obligatoires pour tous les nouveau-nés (mucoviscidose, hypothyroïdie...) et d'informer la mère sur le dépistage précoce de la surdité permanente néonatale. Une première évaluation est prévue dans deux ans, fin 2017.

Maisons retenues pour l'expérimentation en France :
CALM-maison de naissance à Paris ainsi que des associations Premier Cri à Vitry-sur-Seine (Val-de-Marne), Maison de naissance Doumaia à Castres (Tarn), La Maison à Grenoble, Le temps de naître à Baie-Mahault (Guadeloupe), Joie de naître à Saint-Paul (La Réunion), Premières heures au monde à Bourgoin-Jallieu (Isère), Maison de naissance Alsace (MANALA) à Sélestat (Bas-Rhin), Un Nid pour naître à Nancy (Meurthe-et-Moselle).

L'expérimentation des maisons de naissance est issue d'une proposition de loi de l'UDI (parti de centre-droit), et avait obtenu le feu vert du Parlement français à la fin 2013. Il s'agit de structures tenues par des sages-femmes, à proximité immédiate d'une maternité partenaire, qui assurent le suivi des grossesses et les accouchements. Seules sont admises dans ces maisons les grossesses sans pathologie particulière. Ont donc été sélectionnées sept "maisons" en France métropolitaine (deux en Ile de France, une en Languedoc-Roussillon-Midi-Pyrénées, deux en Provence-Alpes-Côte d'Azur, deux en Alsace-Champagne-Ardenne-Lorraine, une à la Réunion, une en Guadeloupe).  

Un "premier pas" aussitôt salué par l'l'Association nationale des sages-femmes libérales (l'une des seules expressions où le féminin domine, on dit un sage-femme…) : "Enfin l’expérimentation de maisons de naissance en France ! Nous sommes sur le point de voir se réaliser ce pourquoi notre profession, et particulièrement l'Association Nationale des Sages-femmes Libérales, s'est fortement engagée depuis une vingtaine d’années. (.../...) Cependant, certaines questions restent en suspens, notamment le tarif de l’assurance qui sera demandé aux sages-femmes et plus largement, la possibilité d'assurer l'ouverture puis le fonctionnement des structures avec les budgets alloués. L'autorisation d'expérimenter sur neuf sites n'est qu'un premier pas."

Méthode douce, arguments durs

Mais en lisant la fiche Wikipedia consacrée à ces lieux, on y apprend que la polémique ne partage pas seulement la médecine et certaines sages-femmes ou parents, mais aussi, au sein même de ceux qui prônent cette "méthode douce", entre celles et ceux qui exigent de situer les maisons de naissance "appellation contrôlée" hors d'un périmètre hospitalier et les autres qui préfèrent qu'elles soient rattachées à une maternité classique, en cas de complication, les premiers accusant les deuxièmes d'usurpation d'identité : "La définition du terme « Maison de Naissance » a fait l'objet de nombreux débats dans le monde francophone, qui tournent principalement autour des modes de gestion et de la localisation de ces établissements. En avril 2006, le Collectif interassociatif autour de la naissance (CIANE) a insisté sur le fait que cette appellation soit réservée à des établissements situés en dehors du périmètre d'un hôpital ou d'une clinique, conformément à son usage dans d'autres pays. Le terme « Maisons de Naissance » a fait l’objet d’un dépôt à l'Institut national de la propriété industrielle (INPI) en 1999 par un groupe national de travail regroupant la Fédération Naissance et libertés, l’Association Nationale des Sages-Femmes Libérales, L’Organisation Nationale des Syndicats de Sages-Femmes et l’Union des Syndicats de Sages-Femmes11. Ce groupe, détenteur de la définition du terme, serait légitimement habilité à poursuivre en justice ceux qui usurpent cette appellation."

Les pur-es et dur-es estiment que même lorsqu'il y a un risque faible, il vaut mieux éviter la médicalisation qui aurait un effet iatrogène, c'est à dire une conséquence plus néfaste sur la santé des parturientes que le risque lui-même. On n'est alors pas étonnée que l'engouement ait été fort en Amérique du Nord, aux Etats-Unis et au Canada, dans la foulée du mouvement hippie, au tournant des années 1970. Aux États-Unis, le premier "birth center" a été fondé en 1975, à New York. Sur le site de la Fédération de ces "birth centers" (plus d'une centaine aujourd'hui), l'internaute est accueilli par des images d'Epinal : une petite graine qui germe, un petit garçon qui pratique manie avec enthousiasme le vecteur d'échographie sur le ventre de sa maman, et aussi une maman, un papa,  une sage femme, sainte trinité de la naissance réussie.
 

birth center
Image d'accueil sur le site américain des "birth centers" (centres de naissance)
capture d'écran


En Europe, les pionniers ont été les Suisses, les Belges, les Allemands, les Autrichiens ou les Suédois, le "vivre au plus près de la nature" d'influence germanophone étant sans doute passé par là.

La France semble avoir pris pour modèle le Québec, où "actuellement dix maisons sont  rattachées à des centres de santé et des services sociaux sous l'autorité du ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec." Il existe déjà, dans l'hexagone un collectif de ces MDN qui a porté le projet français.

Pour moi, la douleur était nécessaire
Margot

France Inter, radio publique nationale, a donc consacré un long reportage à cette nouveauté en France, en allant à la rencontre de quelques femmes qui ont choisi "Comme à la maison", l'une des structures parisiennes retenues, adossée à la célèbre clinique des Bleuets, pionnière dans des méthodes nouvelles pour l'accouchement sans douleur, et qui propose ce service alternatif de naissance, depuis 2008. Margot, jeune maman leur a manifesté son enthousiasme sans réserves : "Ici vous avez un grand lit deux places, quelques fauteuils et puis il y a une grande baignoire, pour pouvoir se mettre dans l’eau, prendre un bain pendant le travail. (.../...) Un coureur cycliste qui vient de monter le Mont Ventoux, il a eu mal parce qu’il a fourni un énorme effort mais la douleur elle était accessoire, elle venait avec le processus. Donc pour moi l’accouchement c’est la même chose."

Mais le plus intéressant a suivi la diffusion. Sur la page facebook de la radio une discussion en dizaines de messages s'est engagée. "Toutes les grossesses ne se passent pas bien... heureusement qu'il y a les hôpitaux sinon mon fils et moi serions morts aujourd'hui... personne ne peut savoir si pbl il y aura (moi 2e grossesse compliquée alors que 1ère normale). Après je suis d'accord…" écrit, consensuelle, Virginie Dufour. I‪rene Pergent‬ lui répond : "Virginie Dufour en France, tout en étant "surmédicalisé" nous avons un taux parmi les plus "mauvais" des pays d'Europe occidentaux... Regardons ce qui se passe en Belgique ou aux Pays Bas où il y a beaucoup d'accouchements en MdN et même...à domicile".
‪Maëlig Littlewarrior‬ lance alors : "Et encore une fois chacun y va de son petit exemple personnel....France nombriliste et conservatrice bonjour! Et pour ceux que ça étonne encore, oui la médecine est un gros business et oui les hôpitaux sont des machines à fric!". Et ‪Cassis Himidi‬ de tenter de réconcilier tout le monde  "Très serieusement pourquoi toujours se borner à de tristes dichotomie??! Que chacun fassent comme bon lui semble il n'y a pas de bonnes ou de mauvaises façon d'accoucher!"

B‪eatrice Eymard-rey‬ est moins tolérante : "Vous me faites mal : savez vous quelle est l'espérance de vie des femmes en Afrique? La mortalité péri natale de l'enfant et de la mère ? Les obstétriciens et pediatre sont la heureusement en France pour assurer leur sécurité au prix de responsabilités." ‪Céline Lhuillier‬ enchaîne : "Moi pareil grosse hémorragie donc heureusement que j étais en clinique sinon je ne serai plus là non plus donc attention à vous." Tandis que ‪Rachel Frgs‬ lui répond, très catégorique : "Vos hémorragies n'auraient peut-être pas eu lieu si vous aviez accouché en maison de naissance." Etc, etc, etc…

Effectivement, les possibilités doivent être multiples. En ce qui me concerne, je n'aurais jamais pu imaginer accoucher de mes deux filles ailleurs qu'à l'hôpital. Ma meilleure amie a préféré le faire à la maison. Et dans tous les cas, ne vous faites aucune illusion : sans anesthésie péridurale, vous le sentirez passer !

Accouchement Frida Kahlo
Henry Ford Hospital, le lit volant, oeuvre de Frida Kahlo, 1932, réalisée après son accouchement raté
Wikiart

"La France est un pays où l'hospitalo-centrisme est très marqué"
Entretien avec Marie-Josée Keller, Présidente du Conseil National de l'Ordre des Sages-Femmes, réalisé par l'AFP

Qu'est-ce qu'une maison de naissance ?

C'est un lieu d'accueil des femmes enceintes et de leur famille dans la mesure où la grossesse, l'accouchement et le post-partum restent dans le cadre de la physiologie, c'est-à-dire l'absence de pathologie. Les sages-femmes en assurent la responsabilité médicale, en toute autonomie et conformément à leurs compétences légales.
Les femmes pouvant y être admises sont au préalable sélectionnées et ne doivent présenter aucune pathologie et aucun risque avéré. Après l'accouchement, les femmes ne sont pas hospitalisées et rentrent chez elles quelques heures après, la sage-femme venant ensuite à leur domicile.
Les maisons de naissance sont en lien direct avec le service d'obstétrique d'un établissement de santé afin de favoriser une collaboration efficace, notamment en cas de transfert.
Par ailleurs, elles offrent une alternative permettant de respecter le choix des femmes qui souhaitent accoucher dans un environnement moins standardisé.
Ces structures sont prévues pour accueillir un nombre raisonnable de naissances par année, afin de lui conserver un caractère intime, familial et convivial.

Quel est le rôle des sages-femmes dans les maisons de naissance ?

A la différence d'une maternité, la maison de naissance repose sur un suivi personnalisé de la patiente : l'accompagnement global.
Ce concept permet d'associer une femme à une ou deux sages-femmes pendant la grossesse, l'accouchement et après. Le jour de l'accouchement, la sage-femme connaît ainsi parfaitement le dossier médical de sa patiente, ce qui représente une garantie supplémentaire de sécurité. Elle est également parfaitement informée de son projet de naissance, ses attentes ou ses craintes et peut ainsi l'accompagner de façon très personnalisée. Les femmes apprécient beaucoup cette relation de confiance qui se tisse avec la sage-femme et qui leur permet de vivre ces moments de façon très intime et respectueuse.

Pourquoi la France, à la différence de nombreux pays, a mis tant de temps à mettre en place les maisons de naissance ?

La naissance est un phénomène profondément émotionnel et personnel mais qui a également une dimension sociale, culturelle et historique. La France est un pays où l'hospitalo-centrisme est très marqué, il faut du temps pour que ce système évolue et que l'on puisse concevoir la naissance hors de la maternité.
Parallèlement, le positionnement des sages-femmes représente un réel frein à l'émergence des maisons de naissance car malgré nos compétences et le caractère médical de notre profession, nous peinons à être reconnues. Certains regardent avec méfiance les maisons de naissance, structures où les médecins ne seront pas présents, alors que dans les salles de naissance des maternités, le principe est identique : la patiente ne voit un médecin qu'en cas de complication.

Ces structures sont-elles attendues ?

Les maisons de naissance répondent notamment à une demande fondée sur l'insatisfaction que ressentent certaines femmes par rapport à la prise en charge dont elles ont bénéficié. Plusieurs enquêtes ont été menées sur ce thème. Ainsi, une étude du CIANE (Collectif interassociatif autour de la naissance), conduite en 2012 révélait notamment que parmi les femmes ayant formulé des souhaits sur le déroulement de leur accouchement, 37% estimaient que leurs demandes n'avaient pas été respectées. Les souhaits exprimés, pourtant simples, portaient principalement sur la liberté de mouvement, un accompagnement personnalisé de la douleur et l'épisiotomie.
Nous savons que les maisons de naissance répondront aux souhaits de nombreux couples et nous espérons qu'elles auront un impact plus large, démontrant que les femmes ont le droit de formuler des choix, quels qu'ils soient, pour la prise en charge de leur grossesse et de leur accouchement.

Comment va se dérouler cette expérimentation ?

Cette expérimentation va durer 5 ans et une évaluation sera conduite par l'Agence Régionale de santé compétente après deux années de fonctionnement de chaque maison de naissance. En revanche, aucune autre maison de naissance ne pourra ouvrir ses portes durant cette période. Il faudra attendre la fin de l'expérimentation pour espérer voir ce mode de prise en charge se généraliser dans toute la France.