La Francophonie Avec Elles : "avec 220 euros, c’est une femme qui s’intègre à l’emploi"

On n'arrête pas une affaire qui marche ! Depuis son lancement en 2020, le "Fonds La Francophonie Avec Elles" a permis d'accompagner 80 000 femmes dans 29 pays de l'espace francophone sur la voie de l'autonomisation économique. Etat des lieux avec Michèle Balourd-Quidal, chargée de l'unité égalité femmes-hommes à l'Organisation Internationale de la Francophonie.

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Fonds Francophonie Avec Elles

Depuis la création du "Fonds La Francophonie Avec Elles", en 2020, près de 80 000 femmes en ont bénéficié ; l'initiative est reconduite pour les trois prochaines années.

© OIF
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"Avec 220 euros, c’est une femme qui s’intègre à l’emploi et accroit substantiellement ses revenus", lit-on sur le site de l'Organisation Internationale de la Francophonie, car "pour l'OIF, ces investissements modestes peuvent transformer durablement la vie de milliers de femmes et de communautés entières".

Eliane, Juliana, Cécile, Sylvanie... Derrière ces prénoms, autant d'histoires de vie en mutation, comme pour près de 80 000 autres femmes qui ont pu bénéficier, comme elles, du fonds depuis sa création, il y a quatre ans. 

Pas question que l'aventure s'arrête : sur les trois prochaines années, la 5e édition du "Fonds La Francophonie Avec Elles" s'est dotée d'une enveloppe budgétaire de 2,5 millions d’euros. Ce qui permettra d’accompagner près de 7 586 femmes à travers la mise en œuvre de 36 projets dans 29 pays de l’espace francophone.

Carte Fonds Avec Elles
©Organisation internationale de la francophonie

Lancée le 8 mars 2024, cette dernière édition a reçu 1813 projets. Avancée notable : la participation accrue des petits États insulaires, avec 11 projets sélectionnés, illustrant l’attention portée à ces pays souvent sous-représentés. "Le fonds va agir, et transformer la vie des femmes", se félicite Michèle Balourd-Quidal, chargée de l'unité femmes-hommes à l'OIF qui, sur le terrain, va à la rencontre des bénéficiaires de cette aide. Rencontre.

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Michèle Balourd-Quidal

Michèle Balourd-Quidal est née en Martinique. Petite fille, elle rêvait de faire des études à la Sorbonne, ce qu'elle a fait. Devenue économiste, elle poursuit son cursus en obtenant un MBA au Canada, puis un master en affaires internationales et diplomatie. Son intérêt pour la défense des droits des femmes lui vient de sa grand-mère qui était membre de l'Union des femmes de la Martinique. Elle a rejoint l'OIF en 2021.

© IM/ Terriennes

Terriennes : ce fonds lancé au moment de la crise du COVID, qui avait particulièrement impacté et fragilisé les femmes sur le plan économique, reste-t-il nécessaire aujourd'hui ? 

Michèle Balourd-Quidal : Oui, c'est un fonds pour accompagner, soutenir, dont la mise en œuvre se fait via les organisations de la société civile locale. C'est important parce que, comme aime dire la Secrétaire générale (de l'OIF) Louise Mushikiwabo : "Nous sommes la francophonie du dernier kilomètre, la francophonie de proximité". Nous agissons dans les zones les plus reculées de l'espace francophone, et ce aussi grâce à notre réseau de représentation extérieure. 

Ce fonds va soutenir l'activité économique des femmes. Souvent, les femmes ont une activité économique, mais elle reste totalement informelle. Ce fonds va venir aussi renforcer les capacités des femmes, que ce soit en termes de formation, en matière d'agriculture, d'artisanat, de commerce. 

90 % des femmes ont vu leurs revenus multipliés par trois. Michèle Balourd-Quidal

Le fonds va venir aussi contribuer à la dynamique du groupe. On a beaucoup de groupements, de coopératives qui se créent, ainsi que des associations pour l'épargne. Tout cela permet aux femmes d'accéder à leur premier financement, ce qu'elles n'ont pas nécessairement. L'accès à la terre, l'accès au financement, c'est là aussi la réussite du fonds. 

Le fonds va agir, et transformer la vie des femmes. Il va leur permettre d'être autonomes, d'augmenter leurs revenus. Une enquête a été menée, qui montre que 90 % des femmes ont vu leurs revenus multipliés par trois. Voilà qui leur permet de subvenir à leurs besoins, d'augmenter le stock alimentaire de leur foyer. Elles peuvent scolariser leurs enfants, accéder aux soins. Et cela aura aussi une influence sur l'ensemble de la communauté, puisque ce sont des communautés toutes entières qui parfois deviennent plus prospères.

Un fonds pour les femmes, certes, mais aussi pour tous si on peut dire !

Accompagner les femmes, c'est un bon investissement. Un investissement gagnant, pour elles, mais pour tout le monde. Pour tout le monde, parce que les entreprises qui sont gérées par des femmes sont plus pérennes. Les entreprises gérées par les femmes sont beaucoup plus viables que les entreprises gérées par les hommes après trois ans. Quand une femme devient cheffe d'entreprise, les bénéfices qu'elle engrange, elle va les réinvestir dans l'entreprise, alors que les hommes vont les investir dans d'autres types de dépenses.

Il est aussi démontré que plus les femmes vont participer à la vie économique, plus les économies seront prospères. Les sociétés, les pays, les états pourront mieux faire face aux défis majeurs qui s'opposent à eux.

Il s'agit bien sûr d'un soutien financier, mais pas seulement ? 

220 euros en moyenne, c'est le montant qui est investi par femme et par mois. Je vais vous prendre l'exemple d'une femme que j'ai eu la chance de rencontrer moi-même au Congo Brazzaville au mois de juin dernier pour montrer l'impact humain de ce fonds. Cette femme de 40 ans a quatre enfants. Avec la COVID, elle avait tout perdu. Elle fait partie des premières bénéficiaires. 

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On l'a rencontrée quatre ans après pour voir la transformation. Elle a acquis une parcelle de terrain et a exploité le bois qui était sur ce terrain. Puis elle a racheté une parcelle beaucoup plus grande. Aujourd'hui, elle est productrice de manioc. Elle a multiplié ses revenus par 10 et elle emploie des saisonniers. Et bien sûr, avec tous les autres effets sur sa vie de famille, sur la scolarisation de ses enfants et toutes les autres opportunités économiques auxquelles elle peut avoir accès aujourd'hui.

Aujourd'hui, elle nous dit : "Ma vie de famille est totalement apaisée. Je ne subis plus de violences domestiques de la part de mon mari." Michèle Balourd-Quidal

Cette aide leur permet d'exister en tant que chef de famille, en tant qu'entrepreneures, actrices de leur vie en fait. Ce fonds leur redonne confiance. On interroge aussi les enfants quand on les rencontre sur les terrains et ils sont fiers. Fiers que leur mère ait cette activité. 

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Ce fonds va aussi avoir une influence sur la vie familiale. Parfois, il y avait des violences domestiques du fait de la pauvreté, de la misère. Et ces violences se sont réduites. On va prendre l'exemple d'Éliane que j'ai rencontrée au Burundi, à la frontière avec la RDC. C'est une zone très, très reculée. Et donc cette mère de quatre enfants avait des problèmes dans son couple. Elle a eu un premier soutien pour une plantation de piments à contre-saison, qui permet de vendre plus cher ces piments. Avec ses revenus, elle a créé une petite unité de fabrication de briques qui lui a permis de construire sa propre maison. Et avec son mari, ils vont aussi vendre des briques. Aujourd'hui, elle nous dit "Ma vie de famille est totalement apaisée. Je ne subis plus de violences domestiques de la part de mon mari".

Le 11 octobre est la journée internationale du droit des filles. Chaque année, on se rend compte que des millions de filles à travers le monde et donc aussi dans l'espace francophone, ne sont toujours pas scolarisées. Comment l'OIF agit-elle sur ce terrain-là ? 

Aujourd'hui, 24% des filles n'ont pas accès à l'éducation ; 62 millions de femmes sont obligées de quitter leurs études ou sont déscolarisées précocement en raison de violences domestiques ou de mariages précoces, mais aussi des rôles imposés par la société. C'est une vraie préoccupation pour l'OIF au niveau de l'espace francophone, notamment en Afrique subsaharienne. L'objectif, c'est de renforcer l'accès à l'éducation et d'agir sur tous les paramètres, sur tous les facteurs qui pourraient permettre justement un meilleur accès à l'éducation.

Tout d'abord, agir sur les stéréotypes. L'OIF a élaboré une norme 'éducation égalité'. C'est un outil pour tous ceux qui font les manuels scolaires, depuis ceux qui les conçoivent jusqu'à ceux qui les éditent, pour que les documents, les manuels scolaires soient exempts de stéréotypes et que les petites filles puissent se projeter à travers ces manuels. Nous avons aussi une plateforme 'relief', qui est une plateforme de recherche, mais aussi de mise en ligne de ressources sur l'éducation.

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Comment l'OIF travaille-t-elle à l'égalité femmes-hommes ?

L'égalité entre les hommes et les femmes, ça fait vingt ans que l'OIF agit dessus. Aujourd'hui, dans l'espace francophone, nous sommes 140 millions de femmes et à l'horizon 2050, nous serons 350 millions. Donc, il y a une vraie nécessité. La question de l'égalité demeure.

Sur les 190 pays, aucun n'avait atteint l'égalité législative en matière de droits des femmes. Seulement 64 % des droits qui sont accordés aux hommes sont accordés aux femmes. Et nous sommes en deçà des espérances. Michèle Balourd-Quidal

Je vais prendre un exemple. En 2024, la Banque mondiale a fait une étude sur 190 pays : aucun n'avait atteint l'égalité législative en matière de droits des femmes. Seulement 64 % des droits qui sont accordés aux hommes sont accordés aux femmes. Et nous sommes en deçà des espérances, des projections, parce qu'on pensait qu'en 2024, nous serions à 77 %. Donc, nous ne sommes pas à l'égalité et encore moins au niveau espéré. 

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L'OIF agit sur plusieurs fronts. Elle a notamment adopté en 2018, au Sommet d'Erevan, la stratégie de la francophonie pour la promotion de l'égalité entre les hommes et les femmes pour les droits et l'autonomisation des femmes et des filles. Parmi les cinq axes d'intervention, deux priorités principales : l'éducation et l'autonomisation économique des filles, parce que ce sont des leviers essentiels pour donner confiance aux femmes, mais aussi leur donner les clés pour pouvoir accéder à d'autres droits. 

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