Huit fois plus de salaire, ça veut dire huit fois plus de public ?
Billie Jean King
Une petite phrase comme facteur déclenchant. La balle de service qui va conduire la championne américaine de tennis, Billie Jean King, alors au début de sa carrière, à se battre sur le terrain et en dehors, pour revendiquer le même salaire que ses confrères mais surtout le respect pour ses consoeurs et elle-même. Puis tout au long de sa vie, et encore aujourd'hui à l'aube de ses 74 ans, à mener le match pour défendre les droits des femmes.
A l'époque, les joueuses de tennis du circuit américain ne sont pas considérées comme professionnelles. Elles sont bien moins rétribuées que les hommes, parfois donc jusqu'à huit fois moins ! Pour le grand patron du tennis américain, un certain Bill Pullman, la chose s'explique simplement,
"Les hommes sont plus captivants à regarder jouer, ils jouent plus vite, ils attirent plus de public".
A jeu égal, salaire égal
La rage au bout de la raquette, Billie Jean King va jusqu'à boycotter le prestigieux circuit américain. Avec ses coéquipières, toutes se retrouvent
illico exclues du championnat officiel. Pas question de rester en touche, elles imaginent et lancent leur propre circuit, 100% féminin (le futur WTA, ndlr), organisant une tournée de matches à travers le pays. Pour se financer, elles se trouvent un sponsor, une marque de cigarettes. Ce qui s'illustre d'ailleurs par quelques scènes savoureuses dans le film, comme lorsque la très attachante directrice du circuit, trop heureuse de décrocher ce financement, exhorte ses joueuses à fumer autant qu'elles le peuvent et dès qu'elles le peuvent, et surtout devant les objectifs des photographes :
"Fumez, fumez les filles, dans tout le pays !" Epoque révolue, à la lecture de la polémique qui agite ces jours-ci le cinéma français, dont certains voudraient voir réduite en cendres toute trace de tabac. Cette toute jeune compétition féminine sera précurseure aussi en s'autorisant de la couleur dans les tenues de tennis, jusqu'ici contraintes au virginal blanc - autant dire une révolution en soi.
Le film nous emmène sur la route de cette aventure émancipatrice dont la championne devient la figure de proue, un peu malgré elle semble-t-il, du moins au début. Celle qui l'incarne à l'écran, Emma Stone, s'essaye à effacer de son visage et de son physique tout signe d'hypersexualisation ou de féminité exacerbée. Y parvient-elle ? Au fil des images, la question ne se pose plus vraiment, on oublie l'actrice Emma pour ne voir que Billie Jean, car le ton sonne juste, même si on sait que la vraie Billie, elle, ne s'est jamais trouvée jolie. Sa vocation, elle l'a cherchée bien loin du modèle imposé de la femme américaine de l'époque, dans le tennis, quand elle a échangé petite fille ses premières balles, toute seule, face à un mur.
Car au-delà de la mission politique, c'est aussi une aventure intime que nous raconte ce film. Deux cheminements indissociables. C'est en se battant pour la reconnaissance des siennes que la sportive va aussi se découvrir, à travers un questionnement intérieur sur sa sexualité.
Mariée à un époux aimant, aux petits soins, (plus tard, une fois divorcé et remarié, il fera d'elle et de sa compagne, les marraines de ses enfants), Billie Jean King tombe sous le charme d'une jeune coiffeuse. Avec cette rencontre, racontée à l'écran sobrement, c'est elle-même que Billie Jean rencontre.
Mâle alpha clownesque
Autre combat intime, celui qui ronge l'esprit de son futur adversaire. Bobby Riggs, ancien numéro un du tennis américain en déliquescence, joueur compulsif et impénitent, qui met son couple en péril. Avide de popularité, et motivé par l'appât de nouveaux gains, le champion quinquagénaire est superbement interprété par Steve Carell, parfait dans le rôle du mâle alpha clownesque.
Au-delà de la ressemblance troublante avec le vrai Bobby Riggs, ses mimiques et ses provocs ne sont pas sans rappeller celles d'un autre mâle alpha, un certain Donald T., aujourd'hui président des Etats-Unis. Là aussi, on suit le double cheminement du personnage. Une vedette sur le retour, sous addiction, en train d'assister impuissant à la chute vertigineuse de son couple. L'histoire nous dira, qu'une fois divorcés, les époux Riggs se marieront à nouveau quelques années plus tard.
Dans
une interview accordée au quotidien français Libération, Billie Jean King confirme :
"C'est un film qui parle de l'évolution de la société et aussi des combats intérieurs que nous livrions tous à ce moment-là. Moi au sujet de mon orientation sexuelle et Bobby à cause de son mariage et de ses problèmes de jeu."Une pour toutes, toutes pour une
Bobby Riggs propose un premier pari, un match homme/femme, certain de démontrer ainsi, sinon la sienne, la supériorité physique du mâle. Craignant de se faire piéger dans une farce médiatique, Billie Jean l'éconduit. Elle a le nez fin. C'est exactement ce qui se produit, mais avec une autre championne, l'Australienne Margaret Court, qui accepte de relever le défi, une manière, pour cette religieuse conservatrice, du moins le croit-elle, de damer le pion à sa rivale. Cette dernière est la candidate idéale pour ce qu'en attendent les organisateurs :
"C'est une femme conventionnelle, elle fera ce qu'on lui dira de faire", dit l'un d'eux. Bobbie Riggs écrase la jeune femme d'un revers de raquette.
Plus qu'une simple défaite sportive, la rencontre se solde par une déroute dévastatrice, une pathétique pitrerie, car l'enjeu, on l'a bien compris, dépasse les lignes du terrain de tennis, il se situe bien plus bas, dans l'entre-jambes de ces messieurs pourrait-on presque dire, ce qui fait proclamer à un commentateur,
"Voilà la preuve que les femmes ne savent pas gérer la pression, et qu'elles n'ont pas à être payées comme les hommes". Une humiliation de trop pour la déjà féministe Billie Jean King, qui dans la foulée accepte de défier le champion quinqua au blason subitement redoré.
Rendez-vous est pris. Le 20 septembre 1973, l'Astrodrome de Houston affiche complet avec plus de 30 000 spectateurs, et devant 90 millions de téléspectateurs à travers le monde, record absolu pour un match de tennis.
"Regardez-la, elle marche comme un homme", s'exclame, toujours avec subtilité, le commentateur pendant le match, ajoutant
"comme elle est jolie, mais avec des cheveux plus longs et sans ses lunettes, elle pourrait se présenter à Hollywood".
Trois sets plus tard. Coup droit foudroyant et balle de match. Billie Jean King gagne. Première victoire avant bien d'autres sur le chemin de son émancipation et de celles de ses consoeurs. Ce n'est que quelques années après ce fameux match qu'elle fera son "coming out", mais elle n'aura eu de cesse au cours de sa carrière, et bien au-delà, de défendre les droits des minorités. Un match qu'elle continue de mener, non plus raquette en main, mais du haut des tribunes.
"Si rien n'est fait par nous, rien ne se fera"
(Billie Jean King)
Béatrice Barbusse, ex-handballeuse et sociologue, fut la première femme présidente d'un club professionnel masculin en France. Elle est aujourd'hui membre du conseil d'administration de la Fédération française de handball. En 2016, elle publie
Du sexisme dans le sport (Editions Anamosa)
, dans lequel elle cite l'exemple de Billie Jean King.
Terriennes : Que vous inspire Billie Jean King ?Béatrice Barbusse : Un grand respect tout d'abord. Pour elle, ce qu'elle a fait. Beaucoup d'autres auraient pu le faire, mais elles ne sont pas très nombreuses à s'être mises ainsi en avant. Car elle, jouait gros, elle a pris un risque dans un contexte, personnel, qui n'était pas facile pour elle à ce moment là. Elle a permis de mettre en place des pratiques plus égalitaires. Mais aujourd'hui encore, on a besoin de grandes dames comme elle, même s'il n'est peut-être pas question d'organiser un match tel que celui là. Je pense notamment à Serena Williams qui agit beaucoup aussi pour faire avancer la place des femmes dans le tennis.
Ce qui m'a profondément marqué dans ce film, et dans cette histoire, c'est que dans un premier temps, elle a refusé de faire ce match, ce qui l'a motivé, c'est de voir comment Margaret Court se fait laminer. Car ce qu'elle recherche elle, c'est tout d'abord le respect.
Depuis ce match, et les années 70, des combats ont été remportés sur le terrain de l'égalité femme-homme dans le sport. Mais tout n'est pas gagné ?Béatrice Barbusse : Aujourd'hui encore, il y a de grands décalages dans l'économie du sport entre sport féminin et masculin. Les niveaux de développement, d'entraînement ne sont pas les mêmes. A moins que parfois les hommes acceptent de faire des efforts pour que les femmes soient mieux rémunérées, ça arrive mais ça reste une exception.
Sur le plan sportif, il faut que le niveau des filles s'élèvent, mais cela passe aussi par les moyens, et là on part avec du retard. Sans argent, c'est plus compliqué ! Le football au féminin est resté minoritaire bien trop longtemps. Il a fallu attendre les années 2000 pour que la fédération française mette en place un plan de développement.
C'est très hétérogène selon les disciplines, selon leur histoire. Pour le tennis, il existe une économie relativement développée, qui permet pour les femmes de prétendre à l'égalité. Mais derrière ça, il y a Billie Jean King, et presque 50 ans de combat ! C'est très bien expliqué dans le film. Billie Jean King a une conscience de genre, elle a compris qu'elle appartient à un genre qui souffre d'injustice. Elle en a tellement conscience qu'elle crée, avec les autres, le premier circuit féminin.
Et puis, il faut remettre tout ça dans un contexte, partout dans le monde, les femmes commencent à revendiquer leurs droits. Et surtout, il y a eu aux Etats-Unis, le fameux "
titre IX", (amendement inscrit dans la Constitution voté en 1972 qui interdit toute discrimination sur la base du sexe dans les programmes d'éducation soutenus par l’État ndlr), qui dit "un dollar dépensé pour les garçons = un dollar dépensé pour les filles".
La problématique de l'égalité femme-homme est à l'agenda politique en France, le contexte parait aussi favorable ?Béatrice Barbusse : Billie Jean King a eu cette phrase :
"Si rien n'est fait par nous, rien ne se fera !"Aujourd'hui, il y a une conscientisation et une sororité qui commence à naître dans le sport. On a quelques personnalités, comme Laura Georges ( footballeuse internationale française ndlr) par exemple dans le foot qui accepte d'être secrétaire générale de la Fédération nationale, c'est un bon signe. Mais il y a beaucoup à faire. Exemple : dans les sports collectifs, il y a plus de 80% de syndiqués chez les hommes, et seulement 5% chez les femmes.