La journaliste russe Maria Ponomarenko condamnée à six ans de prison pour un message sur l'Ukraine

Un tribunal russe a condamné mercredi à six ans de prison une journaliste qui avait dénoncé l'offensive en Ukraine sur un réseau social. Cette peine est l'une des plus longues prononcées à ce jour pour "diffusion d'informations fausses".

Image
Maria Ponomarenko
Maria Ponomarenko (détail d'une image Twitter)
Partager 5 minutes de lecture

Six ans de détention en colonie pénitentiaire. C'est la lourde peine prononcée ce 15 février 2023 par le tribunal de Barnaul, dans la région de l'Altaï, en Sibérie, contre Maria Ponomarenko, correspondante du média indépendant en ligne RusNews.

Selon le Comité d'enquête russe, chargé des principales investigations criminelles en Russie, elle est coupable d'avoir diffusé des " informations fausses " sur les forces armées russes. Cette nouvelle infraction, introduite dans l'article 207.3 du code pénal après le début de l'assaut sur l'Ukraine, a déjà été utilisée à plusieurs reprises pour condamner à de lourdes peines de prison des personnes ayant critiqué publiquement le conflit. 

Dénoncer un bombardement à Marioupol

Outre la peine d'emprionnement, il est interdit à Maria Ponomarenko d'exercer des activités journalistiques pendant cinq ans après l'avoir purgée. L'accusation avait requis neuf ans de prison pour la mise en ligne d'une publication sur le canal Telegram Tsenzury net ("sans censure", chaîne aujourd'hui fermée) en mars 2022, peu après l'offensive du 24 février 2022.

Selon l'ONG spécialisée OVD-Info, son message dénonçait le bombardement du théâtre de la ville ukrainienne de Marioupol, alors assiégée par l'armée russe. Elle y relatait la mort de civils qui se cachaient dans le théâtre détruit par une frappe aérienne russe. Kiev avait alors accusé Moscou d'avoir tué des centaines de civils lors de ce bombardement, des accusations de crime de guerre rejetées par les autorités russes, qui attribuent l'attaque aux nationalistes ukrainiens. Douze des personnes qui ont péri dans cette attaque ont été identifiées par Amnesty International dans un rapport détaillé publié en juin 2022.

J'ai le droit de dire le mot 'guerre' parce que je suis jugée selon les lois de la censure militaire.
Maria Ponomarenko

Devant le tribunal, Maria Ponomarenko qui portait autour du cou une empreinte de l'étoile de David portant l'inscription "Militante de l'opposition, patriote, pacifiste", a déclaré qu'elle ne se considérait pas comme une criminelle. "J'ai le droit de dire le mot 'guerre' parce que je suis jugée selon les lois de la censure militaire", a-t-elle déclaré en faisant référence à l'interdiction par les autorités russes de qualifier l'invasion de l'Ukraine de 'guerre'. S'adressant au tribunal avant sa condamnation, elle aurait conclu par ces paroles provocatrices : "Un régime totalitaire n'est jamais aussi fort qu'avant son effondrement", selon le site DemocratyNow.

Tentative de suicide en détention

Arrêtée à Saint-Pétersbourg, Maria Ponomarenko, âgée de 44 ans et mère deux filles mineures, était en détention provisoire depuis le 24 avril 2022. Souffrant de trouble de la personnalité et de claustrophobie, elle estime qu'elle n'a pas reçu les soins psychiatriques nécessaires : "Je considère les conditions de détention derrière les fenêtres opaques comme de la torture. Je ne représente aucun danger pour la société. La seule personne que je peux blesser dans mon état d'hystérie et de dépression, c'est moi-même", déclarait-elle lors de l'audience au tribunal sur la prolongation de sa détention. En juillet, elle déclarait qu'on lui avait injecté des médicaments inconnus dans l'hôpital psychiatrique, où elle avait été envoyée pour un examen.

L'état psychologique de la journaliste s'étant dégradé en détention, jusqu'à la tentative de suicide, son avocat avait demandé, en vain, son transfert en établissement psychiatrique. En septembre 2022, selon OVD-Info, elle avait cassé la vitre de sa cellule qui l'empêchait de voir le soleil et le ciel, et fait une tentative de suicide en détention. A la suite de cela, elle avait été placée à l'isolement pendant une semaine, du 6 au 13 septembre 2022.

Toujours selon OVD-Info, en novembre 2022, les avocats de la journaliste avaient obtenu une assignation à résidence au domicile de son ex-mari étant donnée sa fragilité psychologique. Après une dispute avec ce dernier, fin janvier 2023, elle s'était rendue dans un commissariat et avait été à nouveau placée en détention provisoire.

Maria Ponomarenko et toutes les personnes emprisonnées en Russie pour avoir critiqué l'invasion de l'Ukraine doivent être libérées immédiatement et sans condition.
Marie Struthers, Amnesty International

Indignations

"La condamnation de Maria Ponomarenko montre qu'en Russie, dire la vérité, dénoncer un crime de guerre et demander que justice soit rendue pour le meurtre de civils est devenu une infraction grave passible d'emprisonnement. Sa condamnation est un nouvel exemple de l'injustice et du cynisme des autorités russes. Les autorités tentent d'enfermer tous ceux qui ne sont pas d'accord avec elles et d'intimider les autres pour qu'ils se taisent et détournent le regard plutôt que de risquer des années derrière les barreaux, réagit Marie Struthers, directrice du programme Europe de l'Est et Asie centrale d'Amnesty International. Maria Ponomarenko et toutes les personnes emprisonnées en Russie pour avoir critiqué l'invasion de l'Ukraine doivent être libérées immédiatement et sans condition."

Selon un message envoyé par Dmitriy Shitov, l'avocat de la journaliste, au Committe to protect journalist (CPJ), Maria Ponomarenko fera appel de sa lourde condamnation. "Les autorités russes devraient avoir honte de la condamnation à six ans de prison de la journaliste Maria Ponomarenko, dont le seul crime a été de publier des informations sur la guerre en Ukraine qui n'étaient pas conformes au récit officiel, déclare Gulnoza Said, coordinatrice du programme Europe et Asie centrale du CPJ à New York. Les autorités ne devraient pas contester l'appel de Ponomarenko ; elles devraient abandonner toutes les charges contre elle et cesser d'emprisonner les voix indépendantes."

Le CPJ a interpelé le ministère de la Justice russe, sans obtenir de réponse. Au moins 19 journalistes, dont Maria Ponomarenko, étaient derrière les barreaux en Russie le 1er décembre 2022, selon cette même organisation.