La journaliste russo-américaine Alsu Kurmasheva : enfin libre !

Alsu Kurmasheva a été libérée dans le cadre d'un échange de prisonniers entre la Russie et les Etats-Unis. Arrêtée au Tatarstan, la journaliste russo-américaine était condamnée à six ans et demi de prison pour diffusion de "fausses informations" sur l'armée russe. 

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Alsu Kurmasheva libre

Image non datée publiée par Radio Free Europe/Radio Liberty, dont Alsu Kurmasheva, est rédactrice en chef, pendant sa détention au Tatarstan, en Russie. 

©Claire Bigg/Radio Free Europe/Radio Liberty via AP
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Enfin libre ! Alsu Kurmasheva a retrouvé sa famille dans la nuit du 1er au 2 août 2024 après plusieurs mois de séparation. Quelques jours après sa condamnation à six ans et demi de prison ferme, elle est grâciée dans le cadre d'un échange de 16 prisonniers américains contre 10 russes négocié par Joe Biden avec Vladimir Poutine par le truchement de la présidence turque.

Alsu Kurmasheva

Alsu Kurmasheva accueillie par sa famille : Pavel, Bibi et Miriam Butorin, à base aérienne d'Andrews le 1er août 2024. 
 

AP Photo/Manuel Balce Ceneta

Prison ferme

D'ordinaire, même dans les affaires jugées à huis clos, l'audience du verdict est annoncée à l'avance par les tribunaux. Ce ne fut pas le cas pour cette affaire, selon les proches de la journaliste Alsu Kurmasheva, alors que la Russie exerce une répression tous azimuts des critiques du Kremlin et de son offensive en Ukraine. "Vendredi, la condamnation d'Alsu Kurmasheva a été prononcée. Six ans et demi", prononçait le le 22 juillet 2024 sur un ton laconique Natalia Losseva, porte-parole du tribunal de Kazan, au Tatarstan, une république du centre de la Russie.

Dissuader les journalistes

L'ONG Reporters sans frontières dénonçait cette condamnation qui "illustre le niveau inouï d'arbitraire atteint par une justice russe aux ordres du Kremlin qui vise à dissuader les journalistes de se rendre en Russie et à faire pression sur les Etats-Unis".

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Le verdict a également suscité la colère de Radio Free Europe/Radio Liberty (RFE/RL), un média financé par les Etats-Unis depuis l'époque de la guerre froide, qui émet depuis Prague. Alsu Kurmasheva a rejoint RFE/RL en 1998 et travaille pour son service en langues tatare et bachkire. Elle couvre ces minorités ethniques de Russie peuplant en particulier le Tatarstan et le Bachkortostan, des régions de la Volga et de l'Oural. "Ce procès secret et cette condamnation sont une parodie de justice. La seule conclusion juste serait la libération immédiate d'Alsu", s'indignait Stephen Capus, président de RFR/RL. 

Sa famille n'a pas été informée de la date du procès ni des 'preuves' de la 'culpabilité' d'Alsu. Pavel Butorin

"Mes filles et moi savons qu'Alsu n'a rien fait de mal. Et le monde le sait aussi. Nous avons besoin qu'elle rentre chez elle", écrivait le mari de la journaliste, Pavel Butorin, sur X. Il avait lui aussi dénoncé le "secret" imposé par la justice russe sur cette affaire, "bien qu'Alsu ne soit pas accusée d'espionnage ou de trahison". Il soulignait aussi que "sa famille n'a pas été informée de la date du procès ni des 'preuves' de la 'culpabilité' d'Alsu".

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Alsu Kurmasheva est l'une des deux journalistes américain.e.s à avoir été arrêtés en Russie en 2023. Le premier était le reporter du Wall Street Journal Evan Gershkovich, interpelé en mars en plein reportage à Ekaterinbourg, dans l'Oural et condamné à seize ans de prison pour des accusations d'espionnage que la Russie n'a jamais étayées, l'ensemble de la procédure ayant été classée secrète. Il a été libéré en même temps qu'Alsu Kurmasheva à la faveur de l'échange de prisonniers du 1er août.

Il est clair qu'elle est injustement détenue car elle est Américaine et une journaliste qui ose faire son travail, deux choses intolérables pour Moscou. Stephen Capus, président de RFE/RL

Fausses informations sur l'armée russe

D'après les médias Baza et Tatar Inform, la journaliste était poursuivie pour la diffusion de "fausses informations" sur l'armée russe, un crime passible de quinze ans de prison ferme. En cause, sa participation à la publication d'un livre intitulé Dire non à la guerre, 40 histoires de Russes opposés à l'invasion russe de l'Ukraine

Alsu Kurmasheva a été arrêtée en octobre 2023 à Kazan, la capitale de la république du Tatarstan : "Il est clair qu'elle est injustement détenue car elle est Américaine et une journaliste qui ose faire son travail, deux choses intolérables pour Moscou", dénonçait déjà Stephen Capus. 

Alsu Kurmasheva au tribunal

Alsu Kurmasheva, rédactrice en chef de Radio Free Europe-Radio Liberty, dans la cage de verre de la salle d'audience de Kazan, en Russie, le 23 octobre 2023. 

©Photo AP/Vladislav Mikhnevski

Privée de passeport

Agée de 47 ans, la journaliste, qui réside d'ordinaire à Prague avec son mari et ses deux filles adolescentes, s'était rendue en Russie pour le 20 mai 2023 pour des raisons familiales, mais elle n'avait pas pu en repartir, ses passeports américain et russe lui ayant été confisqués. Un tribunal russe avait dans un premier temps décidé de la maintenir en détention provisoire sous l'accusation de non-enregistrement en tant qu'"agent de l'étranger", une infraction passible d'une peine de cinq ans de prison.

Alsu Kurmasheva et son avocat

Alsu Kurmasheva écoute son avocat lors d'une audience au tribunal de Kazan, en Russie, le 31 mai 2024. Le tribunal avait ordonné qu'elle soit maintenue en détention au moins jusqu'au 5 août, dans l'attente du procès.

AP

Pressions et répression

Depuis, son employeur n'a eu de cesse de demander sa libération immédiate. Selon des groupes de défense des droits humains, sa détention constituait un nouveau seuil dans la campagne russe contre les médias indépendants, qui s'est considérablement intensifiée depuis l'offensive déclenchée en février 2022 par la Russie en Ukraine.

La persécution d'Alsu Kurmasheva est un exemple de la répression incessante contre le journalisme et le droit à la liberté d'expression en Russie. Marie Struthers, Amnesty International

"La persécution d'Alsu Kurmasheva est un exemple de la répression incessante contre le journalisme et le droit à la liberté d'expression en Russie, estimait Marie Struthers, directrice d'Amnesty International pour l'Europe de l'Est et l'Asie centrale. Cela marque également une escalade alarmante dans le harcèlement des professionnels des médias, car c'est la première fois que ce délit est utilisé pour cibler directement une journaliste en raison de ses activités professionnelles."

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Echange de prisonniers

Washington soupçonnait Moscou de procéder à des arrestations injustifiées de citoyens américains pour pouvoir les échanger contre des Russes détenus en Occident. Des accusations que Vladimir Poutine ne nie pas. De fait, au terme du plus grand accord d'échange de prisonniers entre Russes et Occidentaux depuis la guerre froide, le président américain Joe Biden et sa vice-présidente Kamala Harris ont accueilli en personne trois des détenus libérés par la Russie, dont Alsu Kurmasheva, Evan Gershkovich et Paul Whelan. Ils ont atterri sur la base militaire d'Andrews, près de Washington.

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L'accord d'échange a abouti, d'un côté à la libération de 16 personnes détenues en Russie et au Bélarus, et de l'autre de 10 Russes incarcérés aux Etats-Unis, en Allemagne, en Pologne, en Slovénie et en Norvège. A la Maison Blanche, entouré des familles des Américains libérés, le président Joe Biden a salué les "décisions courageuses et audacieuses" d'alliés européens qui ont permis cet échange "historique", louant la coordination de la Turquie et les "concessions importantes" faites par l'Allemagne – à commencer par la libération de l'agent du FSB Vadim Krassikov.

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Parmi les autres personnes libérées figurent deux collaboratrices d'Alexeï Navalny, Lilia Tchanycheva et Ksenia Fadeïeva, ainsi que l'artiste Alexandra Skotchilenko, arrêtée en 2022 en Russie pour avoir remplacé des étiquettes de prix de supermarchés par des messages dénonçant l'offensive contre l'Ukraine.

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