La leçon de cinéma de Jane Campion

Une maîtresse de cinéma sur tous les angles. Jane Campion a reçu l'Oscar de la meilleure réalisation pour son western The Power of the dog,  et devient la troisième femme, seulement, à être ainsi distinguée depuis la création de l'académie en 1929. La réalisatrice néo-zélandaise continue d'imprimer sa marque dans l'histoire du cinéma au féminin. Elle reste la seule à avoir obtenu deux Palmes d'or à Cannes : la première en 1986 pour son court-métrage Peel, alors qu'elle était inconnue, et la seconde en 1993 pour La Leçon de piano. 
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Jane Campion, 67 ans, marque de son empreinte l'histoire du cinéma au féminin en enchaînant les récompenses et les premières. Battant un record avec 12 nominations aux Oscars pour son dernier film The Power of the Dog, une première pour une cinéaste. Elle a été sacrée meilleure réalisatrice. 
©Photo by Jordan Strauss/Invision/AP
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Ce n'est pas faire injure à Jane Campion que de qualifier son oeuvre de cinéma de femmes. Dans la biographie que le New York Times lui consacre, le quotidien américain remarque que la production de la cinéaste néo-zélandaise "est unifiée par des représentations édifiantes des vies de femmes qui sont, par certains côtés, hors du commun des mortels. Le cinéma de Campion explore ce qui fait que ces femmes sont différentes, et les répercussions de leur refus - ou incapacité - à se conformer aux normes. C'est pour cela que Campion a été qualifiée de metteuse en scène féministe, un qualificatif qui ne parvient pas cependant à cerner les dilemmes de ses personnages et la profondeur de son travail."

The Power of the Dog où le masculin-féminin

En septembre 2021 à l'occasion de la Mostra de Venise, Jane Campion présente en première mondiale The Power of the Dog, avec Benedict Cumberbatch et Kirsten Dunst en tête d'affiche, où elle obtient le Lion d'argent du meilleur réalisateur. Le film poursuit sa belle carrière mondiale : il est présenté au Toronto international film festival puis au Festival du nouveau cinéma de Montréal. En janvier 2022, le film ressort gagnant des Golden Globes, permettant à Jane Campion de décrocher le prix de la meilleure réalisation et du meilleur film dramatique.
Le film, mis en ligne sur la plate-forme Netflix, est qualifié de chef d'oeuvre, mais peut aussi diviser les critiques perçu comme froid et pour ses lenteurs. Il est adapté du roman de Thomas Savage, dont l'histoire se déroule dans un ranch du Montana au début du XXe siècle. On y suit la vie de leurs propriétaires, deux frères, dont le cours des choses va être bouleversé à l’arrivée de la nouvelle épouse d’un des deux hommes et de son fils, issu d’un précédent mariage. Jane Campion renouvelle le genre du western, sur fond d'anti-masculinité toxique. 
Finalement, l'Académie lui décerne l'Oscar de la meilleure réalisation, faisant d'elle la troisième femme à être récompensée dans cette catégorie, un an seulement après Chloé Zhao (et Kathryn Bigelow Démineurs). Petite déception sans doute pour l'équipe du film et notamment le fabuleux Benedict Cumberbacht, nommé dans la catégorie du meilleur acteur. Le film nommé dans pas moins de 12 catégories, un record pour un film réalisé par une femme, ne repartira qu'avec une seule statuette, le jury lui a visiblement préféré CODA, adaptation américaine de la comédie française La famille Bélier, cette fois interprétée par des acteurs et actrices sourds et muets. 

C’était la deuxième fois que la cinéaste néo-zélandaise concourrait pour le titre de la meilleure réalisation (la première fois étant pour La leçon de piano en 1968). Une première pour une femme dans l’histoire de la prestigieuse cérémonie créée en 1929. 

Une leçon de piano , inoubliable et magistrale

La réalisatrice a aussi bien travaillé pour la télévision que pour le cinéma. Et il est clair qu'un fil invisible relie la veuve muette Ada MacGrat, l'héroïne de la magistrale Leçon de piano, palme d'or à Cannes en 1993, à Robin Griffin, la détective tourmentée de la série télé Top of the Lake.

Le fil tisse la sexualité des femmes, la violence qui s'exerce à leur encontre par certains hommes quasiment sortis des cavernes, que ce soit au XIXème ou au XXIème siècle, mais aussi en contrepoint la force de ces femmes, souterraine, constante et la beauté des hommes qui ne se laissent pas prendre aux codes de la virilité dominante.
Et il n'est pas anodin que la vieille louve solitaire de Top of the lake interprétée par Holly Hunter (qui fut aussi la veuve de la Leçon de piano)  rappelle si singulièrement la silhouette de la réalisatrice...

Une réalisatrice "de nature insolente"

Jane Campion, 67 ans, est née en Nouvelle Zélande, à Waikenae, une ville au nom maori, à 60 kms au nord de la capitale Wellington. Cette nature insolente, ces paysages de mer et de montagne, on les retrouve dans tous ses films, personnages à eux seuls.

Elle grandit dans une famille propice au chemin qu'elle s'apprête à suivre : sa mère Edith est actrice et écrivaine, son père Richard metteur en scène de théâtre et d'opéra. Elle étudiera entre l'Océanie et l'Europe, s'engageant résolument vers le 7ème art, après des détours par l'anthropologie et la peinture. Avec un premier emploi à l'Union australienne des femmes cinéastes, une prémonition en quelque sorte.

Diplômée en 1984 de l'Ecole de cinéma australienne, elle reçoit en 1986 une première récompense, à Cannes déjà, pour un court métrage, Peel, compte rendu d'un événement ridicule qui fait basculer une famille, et réalisé alors qu'elle poursuivait encore ses études.
 
Mais c'est avec son deuxième long métrage Un ange à ma table, qu'elle prend son envol. Récompensé à la Mostra de Venise en 1990, cette adaptation de la vie de l'écrivaine néo-zélandaise Janet Frame est le récit d'une bouleversante émancipation sociale et sexuelle, en dépit des tentatives pour faire passer l'auteure pour folle, comme en écho au sort de sa contemporaine, la sculptrice Camille Claudel, en ces temps, pas si lointains où une créatrice ne pouvait qu'être hystérique.


En mai 2014,  Jane Campion marque de nouveau le monde médiatique et cinématographique en devenant la première réalisatrice à présider le jury des longs métrages lors de la 67è édition du Festival de Cannes.

Retrouvez ici la Masterclass de Jane Campion lors du festival de Montréal ►


En 35 ans, Jane Campion a tourné neuf longs-métrages. "Il y aurait beaucoup plus d’histoires dans le monde si les femmes faisaient davantage de films" a-t-elle déclaré dans un entretien accordé au Guardian.