Fil d'Ariane
La France devient le premier pays au monde à garantir la liberté de recourir à l'avortement dans sa Constitution. Historique, cette réforme largement adoptée ce lundi 4 mars 2024, a pu être gagnée au terme d'une longue bataille parlementaire.
Le Congrès réuni à Versailles doit ratifier la réforme faisant de la France, le premier pays au monde à constitutionnaliser l'IVG, une avancée historique saluée par les féministes.
"Pour 780, contre 72", l'annonce a été longuement applaudie par un Congrès debout sous les ors du château de Versailles en ce jour historique pour les droits des femmes en France. Le projet de loi inscrivant la liberté garantie de l'IVG dans la Constitution est donc adopté. "Merci pour elles", a ajouté Yaël Braun-Pivet, la Présidente de l'Assemblée nationale annonçant les résultats du vote et déclarant officiellement l'adoption du texte à la majorité des suffrages exprimés.
À quatre jours de la journée internationale du droit des femmes, cette date du 4 mars fera figure de symbole dans la longue marche des femmes pour conquérir leurs droits au cours de l'histoire mais aussi d'exemple à l'échelle internationale. "Nous serons les premiers au monde à le faire", se réjouit la Présidente de l'Assemblée nationale.
Le Congrès n'a été réuni qu'à deux reprises depuis l'arrivée au pouvoir du chef de l'Etat : en 2017 et 2018. La dernière révision constitutionnelle, elle, remonte à 2008.
L'avant-dernière étape a eu lieu mercredi 28 février 2924 au Sénat, jusque là plutôt réfractaire à tout changement. Mais malgré les réticences de certains sénateurs de la droite et du centre, majoritaires à la chambre haute, les sénateur-trice-s se sont finalement majoritairement prononcé.e.s en faveur d'une "liberté garantie" à l'interruption volontaire de grossesse, sans modifier le texte du gouvernement. La révision constitutionnelle, déjà adoptée à la quasi-unanimité par l'Assemblée nationale, a reçu le soutien de 267 voix contre 50 au Palais du Luxembourg, après plus de trois heures de discussions parfois agitées dans cet hémicycle habituellement très apaisé.
"Après l'Assemblée nationale, le Sénat fait un pas décisif dont je me félicite", a commenté le président de la République Emmanuel Macron, qui a immédiatement convoqué le Congrès des deux chambres du Parlement lundi 4 mars, ultime étape du chemin parlementaire de la révision. Le chef de l'Etat français avait pris l'engagement le 8 mars 2023 d'inscrire l'IVG dans la loi fondamentale, répondant aux inquiétudes nées de l'annulation de l'arrêt garantissant aux Etats-Unis le droit d'avorter sur tout le territoire et de la remise en cause du droit à l'avortement dans certains pays d'Europe. L'exécutif avait fait de cette réforme l'une de ses priorités, aboutissant à un texte de compromis malgré son absence de majorité dans les deux chambres.
Le ministre français de la Justice Eric Dupond-Moretti avait évoqué en ouvrant les débats au Sénat "une journée historique" pour faire de la France "le premier pays au monde à protéger dans sa Constitution la liberté des femmes à disposer de leur corps". "Les Français attendent que nous soyons tous collectivement à la hauteur de l'attente populaire, à la hauteur des combats passés, à la hauteur de la vocation universelle de la France", a lancé le garde des Sceaux. Et puis, "le Sénat a écrit une nouvelle page du droit des femmes", a-t-il enfin ajouté une fois le vote annoncé.
Le Sénat a été difficile à convaincre : les trois chefs de la majorité sénatoriale - le président du Sénat Gérard Larcher, le président du groupe Les Républicains Bruno Retailleau et celui du groupe centriste Hervé Marseille - étaient en effet opposés à la réforme.
"Les lois inutiles affaiblissent les lois nécessaires", a regretté la sénatrice LR Muriel Jourda, appelant le Parlement à "ne pas réagir sous le coup de l'émotion". Son collègue Philippe Bas a lui épinglé le "concept étrange de liberté garantie". "Une garantie, c'est une obligation. Notre crainte, c'est qu'une jurisprudence créative puisse créer un droit opposable", a repris le chef de file LR Bruno Retailleau.
L'amendement de suppression du mot "garantie" a finalement été rejeté à plus de 100 voix d'écart, tout comme une autre proposition visant à inscrire dans la Constitution la clause de conscience des professionnels de santé autorisés à refuser de pratiquer une IVG. Depuis plusieurs semaines, les sénateurs avaient été interpellés à de multiples reprises par des associations et autres collectifs des deux camps, y compris d'opposition à l'IVG.
"On l'a fait, on a réussi" : des militantes féministes crient leur joie après le vote favorable à l'inscription de l'IVG dans la Constitution. A peine le résultat annoncé par Gérard Larcher, c'est d'abord une clameur puis des embrassades parmi les militantes associatives. "Tu as pleuré toi aussi ?", dit l'une d'elles.
"C'était difficile de ne pas laisser exploser sa joie", confie Floriane Volt, de la Fondation des femmes. "On a assisté à un vote historique. Le Sénat a su entendre l'appel des Françaises et des Français", se réjouit-elle.
"C'est un symbole important" pour les associations féministes. "Inscrire l'avortement dans la Constitution c'est envoyer un message d'espoir aux féministes du monde entier. Car en France et à travers le monde, le droit à l'avortement est encore gravement menacé", estime dans un communiqué le Planning Familial.
Nous saluons ce vote même si ce ne sont pas les termes que nous espérions, nous rêvions que l'IVG soit inscrit dans la Constitution en tant que droit, plutôt qu'en tant que liberté garantie. Danielle Gaudry, membre du collectif "Avortement en Europe, les femmes décident
"C'est un symbole, un pas important", a commenté Danielle Gaudry, membre du collectif "Avortement en Europe, les femmes décident". "Nous saluons" ce vote "même si ce ne sont pas les termes que nous espérions, nous rêvions que l'IVG soit inscrit dans la Constitution en tant que droit, plutôt qu'en tant que liberté garantie". Le Haut Conseil à l'Egalité s'est réjoui dans un communiqué de "ce moment historique qui fait de la France un exemple pour le monde".
Au soir de ce 4 mars, alors que cette réforme garantissant la liberté des femmes de recourir à l'avortement est officiellement inscrite au sein de l'article 34 de la Constitution l'heure est tout à la joie de la victoire pour les droits des femmes.
Mais, mais, mais ... Le combat continue, comment tiennent à le rappeler aussi bien militantes d'organisations féministes comme représentantes politiques. L'objectif sera maintenant de faire adopter une même protection pour les femmes à un niveau européen, a lancé Mélanie Vogel à la sortie du Congrès, faisant référence notamment à la Hongrie de Viktor Orban. La sénatrice annonce vouloir déposer un projet de texte auprès de l'Union européenne. Si une barrière est tombée, d'autres pourraient suivre, ailleurs, au nom de la liberté de choix des femmes, de toutes les femmes.
Égalité salariale, lutte contre les violences sexuelles, parité, d'autres combats que celui pour le droit à l'IVG restent à mener. "Ce n'est que le début", murmure-t-on dans les rangs féministes.
"Plus important que le pas sur la lune", se réjouit pour conclure Annie Ernaux, chez nos amies de La Deferlante. Joli clin d'oeil quant aux autres territoires encore à conquérir...
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