Fil d'Ariane
« L’idée de la Maison de la Paix était d’ouvrir un endroit spécifique pour les femmes musulmanes ou non, afin qu’elles se rencontrent, échangent et développent leur spiritualité », explique Fawzia al Rawi, notre guide soufie d’origine irakienne et autrichienne.
Il y a des choses qu’on peut vivre plus librement entre femmes seulement
Aya Annika Skattum, Maison de la paix« La majorité de nos propositions sont ouvertes à tous. Mais il y aura des ateliers réservés aux femmes comme le "Cercle des guérisseuses" ou la "Danse des femmes". En Occident nous n’avons pas vraiment l’habitude de cette séparation hommes femmes. Mais je pense qu’on en a besoin. Il y a des choses qu’on peut vivre plus librement entre femmes seulement », ajoute Aya Annika Skattum, à l’initiative de la Maison de la paix à Paris, et élève de Fawzia Al Rawi depuis 2008. A leurs côtés pour ce projet qu’elles financent avec leurs propres économies, Kahina Bahloul. Egalement présidente de l’association Parle-moi d’islam sur le web, elle tente à travers des vidéos de lutter contre les préjugés sur l’islam, dont ceux portés sur les femmes musulmanes.
L’atelier du jour porte sur le pouvoir de guérison des 99 noms divins. Un atelier alliant corps et esprit, discussions et moments de pratique. Petit à petit les langues se délient et s’établit un partage entre femmes, tissé de confessions, d'instants de rires et de larmes. Parmi les femmes présentes, Catherine, bouddhiste, mais aussi adepte depuis une dizaine d’années des enseignements de Fawzia Al Rawi : « Ce travail entre nous fait tomber toutes les barrières, toutes les peurs. Il y a une puissance féminine qui émane du groupe. Nous ressentons aussi de l’amour, de l’entraide et de la joie », atteste la sexagénaire, venue avec sa fille.
Ici en effet, mères, grands-mères, jeunes filles se retrouvent ensemble. Une rencontre inter-générationnelle indispensable pour la guide, ayant elle-même reçu une éducation soufie par sa grand-mère en Irak et ayant toujours été épaulée par des femmes durant les différents rites de passage de la vie.
« Faire des initiations, des fêtes permet de marquer et de célébrer le passage du statut de petite fille à celui de femme. Les femmes plus âgées aident la petite fille à passer dans cet autre univers, notamment à travers la danse », raconte Fawzia Al Rawi.
Danse des menstruations, du mariage ou lors de cérémonies funéraires, l’auteure montre la richesse de celles-ci dans son livre La danse des femmes (Almora, 2015). Elle y explique également comment les danses du bassin et des hanches comme la danse orientale, sexualisées et folklorisées au fil du temps, avaient à l’origine une portée symbolique et spirituelle très importante.
La danse permet une union entre la féminité et la spiritualité
Fawzia Al Rawi, Maison de la paix
« La danse permet une union entre la féminité et la spiritualité » écrit la guide et ajoute qu’elle est une pratique artistique qui permet à la femme de « communiquer avec l’éternel féminin qui l’habite, de s’accepter et d’apprendre à s’aimer ».
Ici l’atelier de « danse des femmes » trouve donc toute sa place, ainsi que la « danse derviche tourneur », enseignée par Aya Skattum, qui dirige également le dhikr du jeudi soir ainsi que la prière.
Des rôles spirituels rarement attribués aux femmes dans l’islam, comme le confirme Abdallah, la quarantaine, venu pour l’inauguration et membre d’une confrérie soufie parisienne : « Les femmes, même dans le soufisme n’ont pas toujours leur place. Les méditations dirigées par les femmes, c’est encore rare. Moi ça ne me dérange pas qu’il y ait une voix d’homme ou de femme mais je sais que cela pourrait choquer », confie-t-il.
A retrouver sur ce sujet dans Terriennes :
> A Oran, le soufisme conjugue la paix au féminin
> Ouverture d'une mosquée pour femmes au Danemark
> Féminisme islamique : oxymore ou possibilité
> L'islam et la femme, un essai de Zeina el Tibi
> Meriam, tunisienne, musulmane et FEMEN
> Paroles de musulmanes, un documentaire pour écouter celles qu’on n’entend pas
> Que disent les Musulmanes de France, un web-documentaire Terriennes
> "Hijab day" à Sciences-Po : hissez le voile !
Rien ne dit explicitement dans le Coran que les femmes ne peuvent pas diriger la prière. Mais des hadiths (paroles du prophète Mohamed) interdiraient l'imamat des femmes devant une assemblée d'hommes. Cependant des divergences existent suivant les courants de l'islam. Pourtant, les femmes imams sont encore minoritaires dans le monde et montrées du doigt.
Certaines femmes, encore minoritaires dans le monde et montrées du doigt, ont osé devenir imams, soit dans des mosquées uniquement pour les femmes, mais aussi dans des mosquées mixtes. On les trouve au Danemark, au Canada, en Belgique, aux Etats-Unis en en Allemagne, et aussi des prédicatrices en Egypte.
En Turquie, Cheikha Nur Artiran est aussi une des seules femmes au monde à être à la tête d’une confrérie soufie : celle des mevlevi, fondée par le célèbre poète et penseur Rûmi au 13ème siècle.
J’élargis mon horizon. Je peux pratiquer ma foi et ma spiritualité en toute liberté
Zakia, 26 ans, avocate
Les savantes musulmanes et les mystiques dans l’islam ont pourtant toujours existé à travers les siècles, mais ont souvent été occultées. La Maison de la Paix veut donc mettre en lumière les femmes de notre temps, porteuses de spiritualité. Un projet qui réjouit le rabbin Gabriel Hagai, l'un des intervenants sollicités par la Maison : « C’est une initiative de femmes musulmanes et c’est pour moi ce qui en fait sa plus-value. Il est vraiment nécessaire de remettre à sa place la spiritualité pratiquée et enseignée par les femmes. Elle a malheureusement souvent été mise de côté par les religions patriarcales. C’est ici un islam pour des femmes, enseigné par des femmes, mais qui s’adresse à tous ».
« Je trouve cela original et positif pour l’islam, un lieu comme celui-ci et avec de telles activités », renchérit Zakia, 26 ans. La jeune avocate assiste régulièrement aux ateliers proposés par la Maison depuis son ouverture, accompagnée par quelques amies. Elevée dans la tradition musulmane, ces rôles endossés par des femmes l’ont d’abord un peu surprise, puis elle s’est habituée : « C’est encore tabou de revendiquer notre place de musulmane dans la société. Ici, j’ai appris à remettre en cause certaines habitudes ou croyances infondées et j’élargis mon horizon. Je peux pratiquer ma foi et ma spiritualité en toute liberté ».
L’émancipation des femmes ne viendra pas des religions mais des traditions ésotériques
Cheikha Amat Un Noor
Amat Un Noor est l'une des rares femmes désignées cheikha dans le monde. Terriennes l'a rencontrée lors de son passage à Paris à la Maison de la paix pour délivrer ses enseignements. Elle dirige un petit centre soufi à Lahore au Nord Est du Pakistan.
Terriennes : Comment être vous devenue cheikha ?
Amat Un Noor : Mon nom de naissance est Naila mais mon nom soufi est celui que m’a donné mon guide : Amat Un Nuur, Nour signifiant la lumière divine en arabe. J’appartiens à la confrérie soufie Hanayati. Le fondateur de notre ordre est Asrat Inayat Khan qui a apporté en Occident le message soufi d’Inde en 1910. Il a établi ensuite cet ordre en Europe et en Amérique. C’est son petit-fils qui est mon guide spirituel. Il y a quelques années il m’a désignée comme sa représentante. Aujourd’hui je suis la cheikha de cet ordre. Je vis à Lahore au Pakistan où j’ai un petit centre soufi, un peu comme la maison de la Paix ici. J’offre des enseignements quotidiens à des mourids locaux (mot soufi pour étudiant) mais aussi étrangers. J’offre des enseignements sur internet mais je donne des conférences au Pakistan et dans le monde. Je suis diplômée d’un master en philosophie comparée entre le mysticisme occidental et islamique.
Terriennes : Qu’est-ce qu’être une cheikha au Pakistan ?
Amat Un Noor : Mon statut me fait rencontrer beaucoup de difficultés et je dois admettre que je ne suis pas une personnalité publique au Pakistan. Je travaille de façon discrète, seulement avec ceux que je connais. Ce sont des précautions indispensables parce que l’atmosphère actuelle n’encourage pas les femmes à avoir un rôle spirituel important. Je n’ai quasiment jamais entendu parlé d’une autre cheikha soufie au Pakistan.
Ces dernières années, le mode de pensée salafiste et wahhabite a tout conquis
Cheikha Amat Un Noor
Terriennes : Combien de femmes suivent votre enseignement au Pakistan ?
Amat Un Noor : Très peu de femmes suivent mes enseignements. Le soufisme a toujours fait partie intégrante de l’histoire indo-pakistanaise, mais ces dernières années, le mode de pensée salafiste et wahhabite a tout conquis. Ce type d’idéologie est d’une rigidité à toute épreuve à tel point qu’il ne tolère aucune autre pensée. Les gens pensent que c’est la vérité ultime et sont impressionnés juste parce que ces idées viennent d’Arabie Saoudite, le symbole de l’islam avec les villes de la Mecque et Médine. En ce qui concerne le soufisme il y a des tas de conceptions erronées. Des gens pensent que le soufisme n’est pas né de l’islam, que c’est une création extérieure qui s’est ajoutée à l’islam. Ce type de malentendu doit être combattu.
Terriennes : Quand avez-vous découvert le soufisme ?
Amat Un Noor : Je n’avais pas de soufis dans mon environnement familial. Je pense que c’était vraiment mon destin. Adolescente j’étais une jeune fille sérieuse et très sensible. Les malheurs de ce monde me provoquaient beaucoup de souffrance intérieure. Surtout les douleurs des femmes. Je me disais: pourquoi les femmes sont-elles considérées comme inférieures aux hommes ? Nous venons tous d’Allah. Pourquoi les femmes sont-elles traitées de façon injuste ? Je me disais que plus tard je serai une activiste pour les droits des femmes. Mais quand j’ai commencé à faire des rêves spirituels, une autre dimension s’est ouverte à moi. Je me voyais en train de visiter certains endroits, surtout des lieux saints. L’intérêt pour ces choses a grandi en moi. Quelqu’un m’a parlé un jour du soufisme. C’est là où j’ai découvert Dieu.
Les femmes doivent subir la tyrannie des hommes à cause des mauvaises interprétations des versets du Coran et des paroles du prophète
Cheikha Amat Un Noor
Terriennes : Que peut apporter le soufisme aux femmes ?
Amat Un Noor : Le soufisme peut contribuer à rétablir l’égalité entre hommes et femmes. Dans la plupart des sociétés musulmanes contemporaines, il y a un déséquilibre flagrant et une prévalence du machisme et de la domination masculine. Les femmes doivent subir la tyrannie des hommes à cause des mauvaises interprétations des versets du Coran et des paroles du prophète. Cela me touche beaucoup et en tant que femme soufie il est de mon devoir de révéler toutes ces erreurs d’interprétations, ces incompréhensions du vrai message du Coran. Mais c’est un travail dangereux car il faut défier l’ordre établi.
Terriennes : Votre rôle spirituel vous permet-il aujourd’hui d’agir en parallèle pour la cause des femmes ?
Amat Un Noor : Oui exactement. D’ailleurs en février 2016 j’étais à Delhi. Pir Zia Inayat Khan, mon maître spirituel voulait que je sois à ses côtés pour une conférence. Il m’a présentée et a dit : « J’invite Madame la tigresse à bondir sur la scène » et il a alors raconté une histoire assez drôle. Il y a longtemps il y avait une soeur soufie, très évoluée spirituellement. Les gens disaient : « Comment peut elle être une sainte ? C’est une femme ! » Et il avait alors répondu : « Quand un tigre bondi vers vous depuis le bush vous ne lui demandez pas si c’est un mâle ou une femelle ! Vous vous enfuyez juste en couran t! ». (Rires)
Terriennes : Ces Maisons de la Paix seraient donc des espaces de liberté pour les femmes, musulmanes ou non ?
Oui absolument. Ce sont des refuges pour les femmes. Le fait qu’elles émergent, atteste de la réalité de ce pouvoir féminin. Nous avons besoin d’une renaissance de la force féminine. Ce ne sont pas les religions organisées comme elle sont qui vont permettre l’émancipation et l’épanouissement spirituel des femmes. Cela viendra uniquement des traditions ésotériques.