Fil d'Ariane
Au début du parcours, il y a Nikki de Saint-Phalle, avec une oeuvre toute en rondeurs et en couleurs, de la série des "nanas-maisons", dans les années 1960. A force de grandir, ses nanas ont fini par devenir maison et leur corps par s’ouvrir et faire place au visiteur, qui peut s’y réfugier et y rêver, comme dans une maison. Un film de 1966, projeté sur l'un des écrans de l'exposition, montre un couple de quinquagénaires bourgeois et guidés pénétrer dans une nana monumentale par l'entrejambe !
L'exposition prend fin avec Louise Bourgeois, autre grande artiste des années 1960, qui, avec le mariage et trois maternités coup sur coup, découvre l'enfermement domestique. Louise Bourgeois idéalisait une mère disparue trop tôt. Toute sa vie, elle la figura en araignée - autonome, protectrice, mais aussi prédatrice. Celle qui s'expose à la Monnaie est un "petit" modèle de la série "Spider" de près de 4 mètres de haut et 7 mètres d'envergure exposée dans une salle monumentale où elle se reflète dans de hauts minoirs piqués - les grands modèles, eux, sont intitulés "Maman" (!)
Autre façon de contourner l'emprisonnement dans la sphère domestique : la maison qui se déplace, "mobil-home". C'est la yourte en feutre, à la fois légère et douillette, réalisée par l'artiste turque Nil Yalter dans les années 1970 :
Entre les stars en vedette à la Monnaie de Paris, une multitudes d'autres artistes. Du monde entier, de la Chine aux Etats-Unis, en passant par l'Iran. Toutes des femmes. Entre elles, entre leurs propos, des différences, mais aussi, et surtout, des points communs qui transcendent les lieux et les époques, d'où l'organisation par thème - "une chambre à soi", "maison de poupée", "desperate housewives"... - explique Lucia Pesapane, commissaire de l'exposition :
Si seules les artistes femmes s'exposent, à la Monnaie de Paris, ce n'est pas qu'une prise de position des organisatrices de "Women House", c'est surtout que les hommes ne se sont pas - ou peu - intéressés à la sphère domestique. Depuis les années 1960, les femmes ont un regard unique sur le sujet. Les explications de Lucia Pesapane, commissaire de l'exposition :
Dans "Women House", les femmes, aussi, se réapproprient des domaines plutôt masculins, comme l'architecture. La Française Laure Tixier déploie un inventaire de maisons du monde reconstituées en feutre, matériau doux, chaud et protecteur par excellence : japonaise, art déco, déconstructiviste, bretonne, indienne... Le feutre, polymorphe et facile à teinter, exprime la protection et la malléabilité de la maison vue par une femme.
La Française Claude Cahun se représente lovée dans une armoire - son armoire personnelle. Oui, dit cette activiste de l'entre-deux-guerres, qui vivait avec une femme et s'inscrivait dans le courant surréaliste, il peut y avoir adéquation entre la femme et l'espace domestique où elle trouve épanouissement et protection. La composition est reprise par la Suédoise Kirsten Justesen, qui se représente entre une rangée de Vénus, au-dessus, et, dessous, la théière - objet de l'univers féminin s'il en est, rond et réconfortant.
► Lire aussi dans Terriennes > Chez-soi, nécessaire lieu de repli et d'émancipation
La même composition, reprise par l'Américaine Francesca Woodman, étoile filante de la photographie dans les années 1980, devient cri de détresse - la maison blessure. De son autoportrait, allongée sur une étagère, la tête cachée, émane son malaise. La série de ses petits formats poignants inscrivent la photographe dans la vacuité d'un intérieur décati auquel elle s'arrachera en se défenestrant à l'âge de 23 ans. Dans toutes ses photos, des flous, comme autant de signes de sa disparition annoncée.
Autre thématique de l'exposition, la maison de poupée, d'après le titre de la pièce de théâtre de la fin du XIXe 1879 du dramaturge norvégien Henrik Ibsen qui dénonce la relation conjugale, nous plonge dans l'espace domestique. L'Anglaise Rachel Whiteread formalise un jeu d'échec aux casiers garnis de moquette, lino, tapis... D'un côté les éléments de confort, de l'autre des instruments ménagers, ce damier véhicule l'idée d'affrontement et de stratégie, suggérant qu'il y a toujours un perdant et un gagnant dans l'espace domestique.
Une autre Britannique, Penny Slinger figure l'espace domestique comme un espace de domination de la femme : au milieu des dentelles et des rideaux pimpants, on distingue le grand méchant loup, une femme physiquement asservie, puisqu'attachée, une femme dans la main de l'homme quand elle se marie...
Faut-il s'en étonner, "Women House" attire encore davantage de femmes que d'hommes. Mais imperceptiblement, le vent semble tourner, à en croire Lucia Pesapane...