"La musique, ma force" : Sorella Pambu, lauréate de "Chante en français"

Lauréate du concours "Chante en français", la jeune Congolaise Sorella Pambu revient de loin. Abandon, enfance à la rue, violences sexuelles ... Aujourd'hui, elle chante pour dompter la souffrance, pour sensibiliser à la maltraitance contre les enfants et les femmes, et pour donner du courage à ceux qui ont vécu la même histoire qu'elle. Rencontre.

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Sorella Pambu

Sorella Pambu en juillet 2024 à Villers-Cotterêts, en France.

Frantz Vaillant
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Sorella Pambou est une artiste congolaise née à Kinshasa en 1997. Elle se produit sur scène dans des festivals et travaille comme aide éducatrice dans une structure qui s'occupe des enfants des rues. Des enfants qui ont connu les mêmes souffrances qu'elle, qui a passé deux ans dans la rue avant d'être recueillie par une ONG et de pouvoir retourner à l'école.

Depuis mi-juillet 2024, la jeune artiste a rejoint la France, où elle est accueillie à la maison des artistes de Villers-Cotterêts, à deux pas de la cité internationale de la langue française, un lieu unique dédié aux cultures francophones. 

Chante en français

Sorella Pambu, Sarah de son nom de scène, est l'une des cinq lauréates du concours "Chante en français", un concours mondial lancé sur Instagram par le ministère des Affaires étrangères. Pour concourir, il suffisait de chanter en français et de mettre en ligne sa prestation. 

Plus de 300 personnes ont tenté leur chance ; cinq jeunes femmes ont remporté un prix qui peut donner un coup de pouce à leur carrière débutante : une résidence artistique à Villers-Cotterêts, avec une vedette de l'émission The Voice, l'enregistrement d'une chanson dans un studio, et une prestation à Spa, en Belgique, à l'occasion des Francopholies.

Cette jeune Congolaise, qui a connu la rue après avoir été accusée de sorcellerie par l’Eglise et ses parents, est aujourd’hui un modèle d’espoir pour les filles avec qui elle partage le même passé. De sa voix chaude et pure, aux accents rauques, elle chante la solitude, la détresse, le déracinement. "Il y a eu une période de ma vie où j'étais seule, j'étais sans personne, sans famille. J'étais censée me débrouiller alors que j'étais toute petite, dit-elle d'une voix étranglée de douleur. Mais je suis obligée d'en parler pour l'effacer, pour encourager et fortifier les autres qui sont encore dans cette situation que, moi j'ai vécue il y a des années."

Sorella Pambu avait 5 ans quand elle a été séparée de sa mère. Elle n'a jamais connu son père. Aujourd'hui, elle n'a que peu de souvenirs de sa petite enfance, mais "il y a des choses qui, aujourd'hui, ne partent pas, qui restent en moi." Parce qu'à cet âge-là, Sorella était victime d'abus sexuels du mari de sa mère. "Quand cette histoire a éclaté, c'était moi la fautive, puis je suis devenue la sorcière. Ils m'ont amenée à l'église et les pasteurs ont confirmé que j'étais une vraie sorcière. Alors ma mère m'a abandonnée dans une église. Elle n'est jamais venue me voir"

C'est la pauvreté qui pousse les parents a faire davantage confiance au pasteur qu'à eux-mêmes, qu'à leurs enfants. Sorella Pambu

Beaucoup de jeunes femmes comme elle ont connu le même cauchemar, les mêmes souffrances, dit-elles : "Au centre, on était nombreux, chaque enfant avait son histoire, mais c'était pareil, la même histoire de sorcellerie." Aujourd'hui, Sorella Pambu est convaincue que "c'est la pauvreté qui pousse les parents a faire davantage confiance au pasteur qu'à eux-mêmes, qu'à leurs enfants."

A la rue

Aux mains des religieux, Sorella subit un traitement cruel, qu'elle accepte, persuadée d'être une sorcière, comme les adultes le lui ont dit. "On m'a tapée, on m'a brûlée avec des bougies rouges et puis on me donnait un gobelet d'eau salée. Tous les matins, j'ai bu de l'eau salée, pour me débarrasser de la chair humaine que j'avais soi-disant avalée. Forcée à jeûner, elle ne mange presque pas. 

Et quand on veut la marier, elle ne peut pas le supporter. Elle s'enfuit, se réfugie dans la rue : "On dormait dans des caniveaux, sous des tables sur le marché à Kinshasa. Et puis, il y avait de la violence, c'était dur." 

Viols

Arrêtée par la police, sans qu'elle sache pourquoi, Sorella se retrouve dans un cachot à Kinshasa, où ses amies sont violées devant elle. Elle aussi a subi des agressions sexuelles dans la rue, une nuit où elle cherchait un endroit où dormir sous une pluie battante. Avec d'autres filles, elle a croisé un gang de garçons qui les ont violées à tour de rôles. "Après, j'étais devenue une autre personne, j'étais petite, j'avais 8 ans, mais j'étais devenue une grande personne qui devait se prendre en charge elle-même", se souvient-elle.

Dorénavant, c'est la colère qui l'anime : "J'ai fait tout ce que j'avais envie de faire, j'ai volé tout ce dont j'avais envie, j'ai fumé, j'ai pris des comprimés. C'était pour essayer un peu d'oublier, pour être calme, parce qu'il y a des choses que je ne supportais pas."

Puis les femmes qui vendent au marché l'orientent vers un centre d'accueil catholique pour les enfants des rues, où elle peut à nouveau aller à l'école. Sorella grandit, entre au lycée ; elle est alors confiée à une famille d'accueil.

En famille 

Elle a peur. Elle est méfiante, mais finit par se résoudre à être placée. Elle n'a pas le choix si elle veut que sa scolarité soit prise en charge. "Je tenais vraiment à continuer les études, et puis le monsieur de la famille était mon éducateur." Dans cette famille à qui "elle doit tout", les choses ne se passent pas très bien. Elle s'estime exploitée, n'a pas le temps pour ses études.

Et puis ses rapports avec le père de famille dérapent : "Il me faisait des avances en me disant que j'étais belle, que j'avais une belle taille et que j'étais intelligente..." Et puis un jour, il lui propose de faire ses exercices d'informatique sur son ordinateur. "Tu sais, dans mon ordinateur, il y a des films X, lui dit-il. Tu as grandi, chacun dans la vie a des choses qu'il ne dit à personne, c'est un petit secret". Commencent les attouchements sur une Sorella sidérée. Dès qu'elle entend quelqu'un entrer dans la maison, elle s'échappe et va raconter au père du centre d'accueil ce qui s'est passé. Elle a peur qu'il recommence avec d'autres enfants. "Il a dit qu'il allait trouver la solution, mais rien..." L'éducateur est resté à son poste. Ce n'est qu'à la fin de ses études que Sorella quitte la famille d'accueil pour aller travailler.

Musique : la guérison

Sorella redécouvre la musique au centre d'accueil. "Avant, je ne voulais plus chanter, se souvient-elle, parce que les gens disaient que les démons chantaient, et j'avais peur qu'ils chantent à ma place. Quand je suis arrivée au centre, il y avait une chorale où j'ai commencé à chanter." Ainsi retrouve-t-elle le goût de la musique qui, depuis, ne l'a plus quittée. 

Malgré tout ce qu'on a vécu. On a le droit de vivre, d'avoir une nouvelle vie, de se lever et de dire ça va, et puis la vie continue. Sorella Pambu

La musique, c'est sa force, explique-t-elle, "parce que la musique me permet de tout dire, de me sentir libre. Il y a peut-être des mots qui font mal, qui font penser à certaines choses du passé, mais on doit les dire. C'est une manière aussi de s'aider, de se guérir. Ça doit faire mal, et on doit l'accepter, parce que ça fait partie de nous, de notre histoire. Et je suis fière, parce que c'est mon histoire. Je ne chante pas pour que les gens pleurent, qu'ils aient pitié de moi. Je chante pour qu'ils sentent que je ne suis pas seule, malgré tout ce que j'ai vécu".

Les larmes coulent sur ses joues, parfois, sur scène, quand elle évoque la violence et la maltraitance, mais cela la soulage, explique-t-elle. "Il y a des choses que je ne peux pas dire, mais à travers la chanson, j'y arrive. La musique me permet de transmettre quelque chose."

Musique : la transmission

A travers l'émotion que provoquent ses chansons, Sorella Pambu veut prévenir et sensibiliser ceux qui l'écoutent aux conséquences de leurs actes, qui peuvent détruire une vie. "J'ai vu mes amis morts, à cause d'accidents de circulation, des inondations... Il y a des enfants qui ne supportent pas tout cela et nous devons faire attention à ce qu'on fait à l'autre."

Sa musique est une musique d'espoir et de courage, insiste-t-elle : "D'autres ont vécu la même histoire que moi, mais ils sont aujourd'hui debout. Ils sont de grandes femmes, de grands hommes. Je chante pour donner du courage à ceux qui sont encore assis, à ceux qui pleurent. On ne peut pas rester tout le temps assis en train de pleurer. Ça ne va rien résoudre. Malgré tout ce qu'on a vécu. On a le droit de vivre, d'avoir une nouvelle vie, de se lever et de dire ça va, et puis la vie continue."

Rêves

Ce dont elle rêve par-dessus tout, c'est que les gens écoutent ce qu'elle a à dire à travers ses chansons, à travers sa musique, à travers sa voix. Elle a trop souffert de ne pas avoir été écoutée. "La musique, ou l'art en général, doit toujours laisser une trace, quelque chose que les gens peuvent retenir quand tu chantes." 

Elle rêve aussi de créer une fondation pour soutenir les femmes victimes de viols et pour aider les enfants qui ont connu les mêmes souffrances qu'elle. "J'aimerais leur donner la chance de devenir de grandes personnes," dit-elle en essuyant ses larmes. Et puis elle voudrais devenir une grande artiste, et puis, pourquoi pas, se produire partout dans le monde... "J'aimerais un jour faire un album qui parlera de moi et tout ce que j'ai vécu, de mon parcours, de tout ce que j'ai rencontré sur mon chemin. De toutes les personnes qui ont pu contribuer à mon épanouissement. Un album merveilleux qui s'appellera 'histoire'."

En français dans le texte

Parmi les cinq lauréates du concours "Chante en français", Sorella Pambu est la seule qui soit à la fois autrice, compositrice et interprète. "Chanter des chansons des autres, ce n'est pas mal, et chaque artiste est passé par là. Chanter aussi sa musique, c'est bien aussi. C'est une façon de montrer de quoi on est capable, de pouvoir dire 'j'écris, je chante, je compose'".

Chanter en français lui permet de toucher un large public. "Au Congo, je n'ai pas assez de chansons entièrement en français, estime-t-elle. Mais quand je chante, j'essaie toujours de mélanger le Lingala et le français." D'autant que le répertoire français est plus vaste et permet d'exprimer certaines choses qui n'existent pas en lingala : "Si je chante en lingala, le mot 'viol' sera en français, car je ne connais pas ce mot en lingala."

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