A l’occasion d’une conférence à Madrid, elle devait s'absenter d'Iran pour trois jours. C'était en 2009 juste avant l'élection présidentielle. Depuis, Shirin Ebadi n'a jamais pu remettre les pieds dans son pays. Haute comme trois pommes, l'avocate iranienne reste menacée de mort au pays des mollahs. Quand on lui demande où elle vit aujourd'hui, elle répond ironique : « Dans le monde des aéroports ». De l'humour pour oublier la souffrance et la séparation avec sa famille. UN MARI TORTURE Sa soeur a été emprisonnée et souffre depuis d'une fragilité cardiaque. Son mari, lui, a été torturé. Il a été poussé à faire des avoeux et à dire de son épouse qu'elle était un agent de l'Occident. Mais face à ces pressions, Shirin Ebadi ne fléchit pas : « Malgré mon amour pour ma famille, je n arrêterai pas mon combat », déclare t-elle de sa voix claire et ferme. Aujourd'hui, elle porte beaucoup d'espoir dans les révolutions arabes. A ses yeux, le soulèvement en Syrie contre le régime de Bachar el-Assad est stratégique : il peut avoir des répercussions directes sur l’Iran. « Dans la région, seul le pouvoir iranien soutient ce régime en lui envoyant des armes pour l'aider à tuer les Syriens. Pourquoi ? Parce qu’il redoute la contagion. Soyez certains que si la démocratie s'installe dans la région, elle arrivera jusqu’en Iran. » LE FEU SOUS LES CENDRES Depuis la répression sanglante des manifestations qui avaient éclaté en juin 2009 pour dénoncer la fraude électorale et la réélection du président Ahmadinejad, le vent de la révolte ne souffle plus sur l'Iran. Par sa mobilisation pacifiste, le mouvement Vert n’est pas parvenu à déstabiliser le pouvoir et ne semble pas prêt à recourir à la violence. « Les Iraniens, rappelle Shirin Ebadi, ont déjà vécu une révolution islamiste et huit ans de guerre contre l'Irak ». Mais ils ne sont pas complètement résignés. « Un frémissement existe encore même s'il n'est pas visible. C'est le feu sous la cendre et la cendre se disperse facilement », avertit, en verve, l’avocate. Dans les rues de Téhéran, des initiatives plus discrètes et ponctuelles ont remplacé les rassemblements de masse. « Les Iraniens savent faire preuve d'ingéniosité pour contourner la censure et la répression, explique la prix Nobel de la paix. Par exemple, des jeunes hommes issus des classes supérieures se sont mis à nettoyer les pare-brise des voitures pour provoquer une discussion avec les automobilistes sur la situation économique du pays. Ils ont aussi organisé des batailles amusantes avec des pistolets à eau. Mais là, le pouvoir n'a pas laissé faire et a arrêté une centaine de personnes. » LES COMPLICITES DE L'OCCIDENT Dans ce contexte, que peut faire l'Occident ? Pour Shirin Ebadi, la réponse est simple : « La lutte pour la démocratie doit être menée par chaque peuple. La seule chose que l'on demande à l'Occident, c'est de ne plus soutenir les dictateurs. Où les dictateurs cachent-ils l'argent de la corruption ? Dans des banques en Afrique ? Non, en Europe », réplique la militante des droits de l'homme qui n'a pas manqué l’occasion de dénoncer la dernière « complicité » du gouvernement français. « Pour rendre plus difficile la captation de Voice of America et la BBC en persan, des radios indépendantes très écoutées par les Iraniens, le régime a demandé à la société Eutelsat, qui gère la retransmission de ces médias, de les transférer sur un autre satellite. Ce que la société a fait. Or elle est tenue à 30% par l'Etat français. Pourquoi l'Etat français n'a t-il rien à dit ? »