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Elles furent traitées de tous les noms. « Traînée, pouffiasse, paillasse à boches… et plus tard : tondues ». Des dizaines de milliers de femmes, coupables (ou suspectées) de « collaboration horizontale » avec l’ennemi allemand pendant la deuxième guerre mondiale, ont souffert toute leurs vies. En France, en Belgique, au Danemark ou en Norvège, elles n’ont eu que des vies de misère. Jamais pardonnées.
L’Etat de droit a failli
Erna Solberg, Première ministre de Norvège
Aujourd’hui, une femme, Erna Solberg, Première ministre, leur demande pardon. Au nom de l’état norvégien. "Plusieurs milliers de femmes appelées « filles ou traînées d’Allemands » ont été internées, privées de leur nationalité ou exilées. Sans loi, ni condamnation. Les autorités norvégiennes les ont traitées d’une manière indigne. L’état de droit a failli" a expliqué Erna Solberg au quotidien norvégien Aftenposten.
Ce pardon officiel est exceptionnel. Aucun autre pays n’en a fait autant. Et pourtant des femmes dans de nombreuses autres pays ont subi le même sort, voire pire. À la Libération en France, par exemple, plus de 20 000 femmes accusées sans preuve de cette fameuse « collaboration horizontale » avec l’ennemi furent tondues en public un peu partout. Comme en Norvège et en Belgique, les exécutants, juges et bourreaux d’occasion, étaient souvent des combattants de la 25ème heure, des faux résistants et d’une rare veulerie – et surtout hors de l’Etat de droit.
Les femmes, boucs émissaires d'une collaboration nationale
Il fallait expurger ces années de plomb par tous les moyens. Et les femmes, dont le seul tort dans la plupart des cas était d’être tombées amoureuses d’un jeune homme portant l’uniforme nazi, étaient un trop beau symbole, trop facile, trop visible. Nombres d’entre elles ne s’en sont jamais remises. Problèmes psychiques, voire ou tentatives de suicide, difficultés de réinsertion dans leur pays d’origine ou d’intégration en Allemagne furent le lot de presque toutes. Idem pour leurs enfants, eux aussi victimes d’insultes.
En Norvège, les « filles à Allemands » n’avaient pourtant pas enfreint la loi. Le pays dirigé par Vidkun Quisling (1942 - 1945) était engagé dans un processus de collaboration active, comme celui de Vichy en France. Elles ne pouvaient donc pas être poursuivies comme les autres collaborateurs après la guerre. Les autorités utilisèrent deux formules provisoires afin de pouvoir les punir toute de même. Il en fut de même avec la loi sur la nationalité. Les femmes qui avaient épousé un Allemand perdirent leur nationalité norvégienne.
La Norvège ne fut pas une exception. Les femmes accusées de « collaboration horizontale » avec l'occupant allemand furent tondues et punies un peu partout, un peu n’importe comment. Accusées à tort ou à raison d'avoir fraternisé avec l'ennemi (ce fait n'existe pas dans le code pénal, ni norvégien, ni belge ni français), elles furent tondues en public dans des cérémonies expiatoires et très humiliantes que l'on retrouve à l'identique en France, en Belgique, en Italie, et, dans une moindre mesure, aux Pays-Bas et au Danemark. Que les relations entre ces femmes et les Allemands furent de nature sexuelle ou pas, la tonte servait souvent d'exutoire pour une population asservie durant quatre ans, assoiffée de vengeance.
Parmi les 20 000 tondues en France, les vraies collaboratrices côtoient les femmes amoureuses, comme ces femmes qui refusent de quitter leur concubin ou leur mari allemand, lors des évacuations de civils, celles qui n'ont fait que leur métier (prostituées), et des femmes livrées à elles-mêmes durant le conflit et qui ont dû se mettre au service de l'occupant le plus souvent comme lingère ou femme de ménage. Selon différentes sources, ce chiffre de 20 000 tondues n'est qu'une estimation basse, notamment en tenant compte des 80 000 enfants nés de relations entre Françaises et soldats de la Wehrmacht. D'autres auteurs attribuent 100 000 à 200 000 paternités aux troupes d'occupation en France.
De nombreux hommes ont gagné de l’argent en faisant du commerce avec les Allemands, sans que personne ne réagisse
Erna Solberg
Ce qui révolte les Norvégiens, et notamment Erna Solberg, c’est la différence de traitement entre hommes et femmes à la fin de la guerre. "De nombreux hommes ont gagné de l’argent en faisant du commerce avec les Allemands, sans que personne ne réagisse. Mais tomber amoureux de quelqu’un et coucher avec, a été considéré comme un crime contre la patrie", dit-elle.
La tonte de cheveux d’une femme est une punition très ancienne, et administrée sous toutes les latitudes, ou religions. On en trouve déjà des exemples dans la Bible et au Moyen Age, contre des femmes adultères. C’est notamment une punition visible, pendant longtemps. Les femmes tondues sont privées de bonheur. Cette punition se transmet également à leurs enfants.
Certaines de ces femmes ont peut-être vraiment collaboré, ne serait-ce qu’en faisant des confidences sur l’oreiller. Mais la plupart n’ont commis qu’un seul crime : tomber amoureuses du « mauvais côté ».
La plupart ne vivront pas ce jour de pardon en Norvège. Déjà mortes ou en fin de vie. Mais c’est déjà un beau symbole, ne serait-ce que pour leurs enfants ou petits-enfants.