La vie de Malin, une jolie blonde de 25 ans, bascula dans l’horreur il y a un an. Comme les jeunes filles norvégiennes le font régulièrement, elle était sortie, seule, et buvait quelques verres dans un bar dans le centre d’Oslo. ”Je me rappelle d’un homme insistant, que j’ai éconduit plusieurs fois. Après, je ne me rappelle plus de rien, avant de me retrouver dans la douche d’un appartement inconnu. J’ai vite enfilé quelques vêtements, puis je suis sortie aussi vite que j’ai pu et appelé la police”. Elle attendit dehors, pieds nus dans le froid. Dans l’appartement, retrouvée seulement le lendemain, la police trouva des traces de vomi de Malin, et ses sous-vêtements. Sur son corps, il y avait de l’ADN de l’homme. Celui-ci fut arrêté, puis relâché. Un an plus tard l’affaire était classée, faute de preuves. Comme dans 6 viols sur 10. Et seulement 10 % des viols aboutissant devant un tribunal donnent lieu à un jugement. Des viols il y en a beaucoup, trop, dans ce pays loué unanimement pour son niveau de l’égalité des sexes. Selon les autorités, une femme sur 10 de plus de 15 ans est violée à un moment donné de sa vie. Et la plupart des viols, près de 9 sur 10, ont lieu au domicile de la victime. Par un proche, en général le mari ou le concubin. Mais ce sont surtout les viols ”de pulsion”, hors du domicile, qui créent la panique. Ils ont doublé en un an, et forcé le gouvernement (de gauche) à mettre beaucoup plus de policiers dans la rue et à élaborer un plan d’attaque, présenté récemment par LE ministre de l’égalité des sexes, Audun Lysbakken. Ne pas rentrer seule, s'habiller correctement, en guise de recommandation ”Ce plan ne vaut rien du tout,” déclare Patricia Kaatee, d’Amnesty Norvège. Elle ne comprend pas que le ministère ne prenne pas plus au sérieux le plus grand obstacle à l’égalité des sexes. C’est vrai que le problème marque fortement l’esprit des femmes en Norvège, et surtout les jeunes. Elles ne sont plus tranquilles, surtout quand elles rentrent chez elles après une soirée en ville. Ce n’est pas toujours facile de trouver un taxi, et ils sont très chers. Depuis assez longtemps déjà, on leur recommande de ne pas rentrer seules. Et surtout de boire moins. Et de ne pas s’habiller de manière provocante. D’accord, disent les mouvements féministes, mais cela veut dire une perte de liberté. Une liberté pour laquelle elles luttent depuis longtemps.
Cet automne, la recrudescence des viols a fortement marqué l’opinion. De nombreux citoyens, hommes et femmes, se sont portés volontaires pour faire des rondes de surveillance dans les grandes villes. Pour redonner confiance aux jeunes femmes. Et aussi pour ”reprendre la ville”, ne pas laisser place à la peur. Une marche aux flambeaux a eu lieu, et le maire d’Oslo a installé des éclairages supplémentaires dans les lieux sombres. De nombreux experts essaient de trouver une explication à cette situation, que l’on ne retrouve pas dans les autres pays scandinaves. Un suédois, justement, a prétendu que la recrudescence des viols cet automne étaient liée aux attentats meurtriers du 22 juillet 2011 (ce jour-là Anders Behring Breivik, un extrémiste de droite norvégien avait tué 76 personnes dont une majorité de jeunes), parce que la violence engendre la violence. D’autres déplorent l’excès de sexe dans les médias. La recherche de boucs émissaires Le slogan ”tout est permis, n’importe quand avec n’importe qui…" avait rendu la Scandinavie célèbre dans les années 70. Aujourd’hui, les moeurs ne sont pas les mêmes, mais provoquent souvent un choc pour des immigrés venant de pays très strictes et religieux. Les partis d’extrême droite ne sont pas les seuls à les accuser, oubliant au passage que 8 ou 9 violeurs sur 10 sont autochtones. Les autorités ont néanmoins décidé de donner des cours de ”moeurs” aux nouveaux arrivants – assez uniques au monde. Le plus grand problème, surtout à Oslo, n’a rien avoir avec des ruelles sombres ou des hommes venus d’ailleurs. Car le plus grand nombre de viols se passent chez la victime, la copine de celle-ci ou dans un autre lieu où elle se rend tout à fait volontairement. C’est après que les choses se gâtent. Deux sur trois des victimes ayant porté plainte à Oslo étaient ivres, et avaient perdu le contrôle d’elles-mêmes. Après, c’est parole contre parole – souvent perdue d’avance.
A propos de Vibeke Knoop Rachline
Vibeke Knoop-Rachline est la correspondante à Paris du quotidien norvégien Aftenposten, pour lequel elle ne néglige aucune rubrique, de l'International à la gastronomie en passant par la politique intérieure. Vibeke Knoop-Rachline a publié deux ouvrages en Norvège : Verdens Hjerte, Au cœur du monde, aux éditions Stenersen et Korrupsjeger, Chasseur de corruption, aux éditions Aschouj.