Le vieux schéma du regroupement familial a pris du plomb dans l’aile. Les femmes qui immigrent en France pour rejoindre leur mari s’avèrent de moins en moins nombreuses. Une étude inédite, menée par l’Ined et l’Insee, démontre que celles qui s’expatrient aujourd’hui le font davantage seules, sans homme.
Dans le documentaire “Nos ancêtres les Gauloises“ Christian Zerbib, diffusé sur TV5MONDE, des femmes immigrées racontent leurs parcours de leur terre natal en France.
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Depuis le tournant des années 2000, les femmes immigrées en France sont plus nombreuses que les hommes. Elles représentent 51% de la population immigrée. Un phénomène récent mais pas radicalement nouveau. Elles étaient déjà 47% en 1911, 40% en 1930, 44% en 1954 et 48% en 1998. Au cours du XXe siècle, la féminisation des flux migratoires a fluctué selon les dynamiques économiques mais n’a cessé de se renforcer depuis les années 70.
C’est parmi les immigrés originaires d’Europe (65%) et d’Afrique centrale et du Golf de Guinée (57%) que les femmes sont les plus nombreuses. Faut-il y voir uniquement l’effet du regroupement familial ? Non, répliquent les chercheurs de l’Ined (Institut nationale des études démographiques) et de l’Insee (Institut nationale de la statistique et des études économiques) après avoir mené une grande enquête (Trajectoires et Origines) auprès de 21 000 personnes, représentatives de la population âgée de 18 à 60 ans.
« Des chiffres qui font tomber bien des clichés »
Entretien avec Cris Beauchemin, co-auteur avec C. Borrel et C. Régnard de l'étude « Les immigrés en France : en majorité des femmes »
Source : enquête Trajectoires et Origines, Ined-Insee, 2008. Cliquez sur l'image pour l'agrandir.
Que révèle votre étude sur les femmes immigrées ?
On sait depuis plusieurs années déjà que les femmes immigrées sont majoritaires en France. Par contre, ce que l’on démontre par cette étude, c’est que ce phénomène n’est pas seulement dû au regroupement familial comme on l’a longtemps pensé. On s’est rendu compte que de plus en plus de femmes quittent leur pays sans être mariées ou en laissant leur conjoint. Des migrantes dites « autonomes ».
Qui sont ces femmes qui immigrent seules en France?
La plupart sont originaires d’Europe mais aussi d’Afrique. 57% des immigrés en provenance d’Afrique centrale et du golfe de Guinée (Côte d’Ivoire, Cameroun, République démocratique du Congo...) sont des femmes et 53% d’entre elles migrent en autonome. Des chiffres qui font tomber bien des clichés. D’ailleurs, ce que disent ces femmes africaines, c’est qu’il faut cesser de les regarder comme des femmes passives qui se contenteraient de suivre leur mari.
En France, ces femmes viennent soit travailler soit étudier. Depuis les années 70, la part des femmes parmi les étudiants immigrés n’a cessé de croitre. On est passé de 28% à 51%. Ce qui est certainement lié à la progression de l’éducation féminine dans les pays d’origine.
En revanche, les femmes restent minoritaires dans les communautés d’immigrés turcs, marocains et tunisiens.
En effet, mais elles sont tout de même 46% chez les Turcs et 48% chez les Marocains et les Tunisiens. On n’est donc pas très loin de l’équilibre. Il reste que les femmes sont minoritaires dans ces groupes et que les femmes arrivées en célibataires ou en pionnières - avant leur époux - sont encore moins nombreuses.
A quoi cela tient-il ? Très certainement aux rapports sociaux entre hommes et femmes dans les pays d’origine. Pour qu’il puisse avoir des migrations autonomes de femmes, il faut qu’elles aient un pouvoir de négociation suffisant pour décider de partir et de partir sans un homme. Ce qui joue aussi certainement, c’est le niveau d’éducation des femmes. Plus on a de diplômes, plus on a de chance d’émigrer.
Autre facteur d’explication possible : les femmes seraient moins nombreuses dans ces groupes d’immigrés car elles retourneraient plus que les hommes dans leurs pays d’origine. Il s’agit pour l’instant d’une hypothèse, nous manquons d’éléments statistiques pour l’affirmer puisqu’en France on ne mesure pas les sorties.
A contrario, comment l’immigration masculine a-t-elle évolué ?
Naturellement, on constate qu’il y a de plus en plus d’hommes qui immigrent pour retrouver leur conjointe. Soit celle qu’ils ont épousée dans leur pays d’origine soit une Française qu’ils épousent à leur arrivée. Entre 1966 et 1975, les hommes représentaient 8% des regroupés. Aujourd’hui ils sont un tiers. Il y a donc une convergence des motifs de migration des hommes et des femmes. Les femmes immigrent de moins en moins pour rejoindre leur mari et les hommes de plus en plus pour des raisons familiales.