Originaire d’un camp de réfugiés de Bethléem, Hanan al-Hroub a fait du jeu sa méthode d’apprentissage et de la non-violence son combat. Elle a été désignée en 2016 « meilleure enseignante du monde » par une ONG adoubée par l'Unesco. Rencontre dans son école, avec ses élèves, près de Ramallah.
Hanan al-Hroub fait partie de ces personnages inspirants qui – au moment où tout semble s’effondrer – vous redonnent envie d’espérer. “
Le premier jour où je suis entrée dans ma salle de classe, aucun enfant n’était assis sur sa chaise. Aucun d’entre eux ne m’écoutait. Alors j’ai sorti un ballon, je l’ai gonflé et je l’ai lancé en l’air. Les trente enfants se sont mis à sauter pour tenter de l’attraper. J'avais attiré leur attention. Ensuite, j’ai promis un ballon à tous ceux qui retourneraient à leur place. J’ai utilisé ces ballons comme un outil pour contrôler mes élèves. Depuis je me sers des jeux pour communiquer avec eux et pour maintenir une atmosphère civilisée dans ma classe”, raconte-elle.
Ce 29 mars 2016, la palestinienne de 43 ans donne un cours de mathématiques à sa classe dans l’école Sameeha Khalil, située à Marhaba Al-Bireh, en périphérie de Ramallah. Un cours peu orthodoxe qui décontenancerait certainement plus d’un professeur occidental. “
Fermez les yeux, et imaginez que vous êtes au zoo. Vous êtes devant les canards. Maintenant devant la cage au lions”, demande Hanan Al-Hroub aux enfants. Une technique de concentration empruntée au Yoga et à la méditation. “
Ca suffit, rouvrez les yeux! On revient en classe parce que vous êtes trop bruyants”, réprimande l’enseignante quelques minutes plus tard. “
Si vous n’êtes pas sages, vous savez ce qui vous attend”, menace-t-elle, en s’approchant de l’angle droit du tableau où sont collés deux smileys. Sous le premier, souriant, deux bâtonnets. Sous le second, qui fait la moue, un bâtonnet. Si les enfants ne se calment pas, l’enseignante y ajoutera d’autres bâtonnets, et au bout du troisième, elle mettra fin aux jeux.
Le “jeu des chaussettes”, point d'orgue de sa méthode
Sollicités en permanence, les élèves doivent désormais résoudre une addition inscrite par l’enseignante au tableau. Et Hanan al-Hroub ne les laisse pas une seule seconde. Sa classe, organisée en arc de cercle, est composée de 7 tables de 4 enfants, pour pouvoir passer facilement derrière chacun d’eux, et encourager ou donner un coup de pouce à ceux qui en ont besoin, ou féliciter ceux qui ont trouvé la solution. “
C’est très bien. Tape moi dans la main”, dit-elle à un de ses élèves, qui s’exécute immédiatement. Pour tous, quelque soit le résultat, la récompense ne se fait pas attendre. Hanan al-Hroub les invite à se lever au milieu de la classe pour jouer à un nouveau jeu. Ils doivent imiter la joie, puis les pleurs, rester figés, et enfin bouger dans tous les sens. Un exercice auquel ils se livrent avec gourmandise et éclats de rire.
Maintenant, Hanan al-Hroub peut passer aux choses sérieuses... enfin presque. Pour réviser leur calcul mental, les enfants jouent d’abord à un jeu de l’oie géant, dont le damier se cache sur le sol de la salle de classe, sous un tapis qu’on repli pour l’occasion. Mais le jeu qu’ils attendaient tous avec impatience, c’est celui-là : une compétition entre filles et garçons intitulé le “jeu des chaussettes”. Chacun leur tour, les deux groupes doivent associer le plus rapidement possible des pinces à linge sur lesquelles sont inscrites des additions, à des chaussettes sur lesquelles se trouvent les résultats, et courir accrocher les deux ensemble sur un fil tendu sous le tableau. “
La plupart des résultats sont corrects et ça leur apprend à être discipliné et organisés”, se réjouit l’enseignante.
Débarrasser les enfants de leurs pulsions de violence
Alors que certains redoutent l’instrumentalisation et l’embrigadement des enfants dans le conflit israélo-palestinien, Hanan al-Hroub prône, elle, la non-violence. Comme beaucoup d'autres Palestiniens, elle a grandi dans un camp de réfugiés à Bethléem. “
Quand j’étais enfant, j'ai vécu des moments difficiles, des traumatismes. Je ne me sentais pas protégée. A vrai dire, je n’ai pas vraiment eu d’enfance”, regrette-t-elle. “
Si à l’époque, vous m’aviez demandé quel jeu d’enfants je connaissais, j’aurai été incapable de vous répondre. J’aurais en revanche été incollable sur la situation politique, sur les violences que l’occupation israélienne imposaient à la société palestinienne”.
Mère de cinq enfants, Hanan al-Hroub a également dû faire face au traumatisme de l’un de ses fils, pris dans un échange de tirs sur le chemin de retour de l’école. “
Mon fils et mes élèves m’ont beaucoup inspirée, j’ai suivi leurs besoins. J’ai créé certains jeux moi-même. J’en ai trouvé d’autres sur Internet, que j’ai développés, perfectionnés”, explique-t-elle. "
Les jeux permettent aux élèves de se débarrasser de leurs tensions, de leurs pulsions de violence", estime-t-elle. “
Maintenant, quand je joue avec les élèves dans ma classe, j’ai l’impression d’être à nouveau une enfant, et ça me plaît beaucoup”, ajoute-t-elle le sourire aux lèvres.
Un exemple à suivre... selon le pape François
En mars 2016, les méthodes d’apprentissage d’Hanan al-Hroub lui ont valu d’être sacrée “meilleur enseignante du monde” par la
fondation Varkey, une ONG dirigée par un milliardaire indien basé à Dubaï, et
ambassadeur de bonne volonté honoraire de l’Unesco. La palestinienne de 43 ans a même été félicitée dans un message vidéo par le Pape François : "
Un enfant a le droit de jouer. Une partie de son éducation doit être de lui apprendre à jouer. Parce que vous apprenez à devenir un être social à travers le jeu, vous apprenez la joie de la vie. Je voudrais féliciter l'institutrice Hanna Al-Hroub d'avoir été couronnée du prestigieux prix, en raison de l'importance qu'elle donne au jeu dans l'éducation des enfants."
J’ai besoin encore de développer et d’améliorer ma méthode
Hanan al-Hroub
Une consécration qui a fait d’elle une célébrité à travers toute la Cisjordanie, et au delà, au moment même où, en pleine vague de violence, la presse étrangère présentait plutôt les visages de femmes palestiniennes se jetant avec un couteau à la main sur des soldats israéliens. Mais Hanan al-Hroub garde la tête sur les épaules. “Le prix n’a rien changé pour moi. Ce n’est qu’un point de départ. J’ai besoin encore de développer et d’améliorer ma méthode”, confie-t-elle.
L’enseignante souhaite utiliser sa récompense de un million de dollars sur dix ans pour former d'autres professeurs. “J’espère que le gouvernement utilisera à bon escient le succès de Hanan, et qu’il développera sa méthode dans toutes les écoles élémentaires”, s’enthousiasme Hala Salamiin, la mère de Hané, l'une des élèves d'Hanan al-Hroub. “Avant, Hané n’avait pas de bon résultats. Elle pleurait car elle ne voulait pas aller à l’école. Mais cela a changé avec Hanan”, témoigne-t-elle. “Hanan débarrasse les enfants de leur énergie négative et ils regardent la vie d’une manière différente. Ils peuvent envisager un futur”.