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La parole est aux accusatrices de Jeffrey Epstein, privées de procès

Privées de procès, privées de justice ? Face à la cour, une vingtaine de femmes ont rapporté avec force détails ce qu'elles accusent Jeffrey Epstein de leur avait fait subir. Viol, agression sexuelle, menaces de mort, soumission... Une audition inédite, initiée par un juge new-yorkais en lieu et place d'un procès, qui ne pourra avoir lieu faute d'accusé, mort en prison.

"Hantée à jamais"... Ces quelques mots résument sans doute à eux seuls le sentiment partagé par toutes ces femmes venues témoigner au tribunal de Manhattan ce 27 août 2019, soit dix-sept jours après le suicide en prison de celui-là même qui les hantera à jamais : Jeffrey Epstein.  

Ces paroles proviennent d'une de ces femmes, qui a demandé à garder l'anonymat, et dont le témoignage a été lu devant la Cour. "J'étais son esclave. Je me sentais désarmée et honteuse", explique-t-elle, ajoutant qu'il avait menacé de la tuer si elle perdait sa virginité, avant de la violer.
 

(traduction: Le procès annulé, les victimes d’Epstein évacuent la fureur à l’audience)
 

Cette audition est une initiative inédite organisée par le juge Richard Berman. Il avait invité les victimes déclarées à venir s'exprimer publiquement, avant de clore un dossier rendu caduc par le décès du principal accusé.

Dans une salle d'audience pleine à craquer, seize femmes vont à tour de rôle prendre la parole, publiquement, parfois pour la première fois pour certaines d'entre elles. La voix parfois étouffée par les larmes, elles expliquent comment cette figure de la jet-set, qui fréquentait des personnalités comme Donald Trump, Bill Clinton ou le prince Andrew, a "volé" leur innocence et brisé leurs rêves.

Sept autres femmes ne se sont pas déplacé mais leurs déclarations ont été lues par leurs avocats.

"Vomir à mort"

"Aujourd'hui nous sommes unies. Je ne vais pas être une victime ni rester silencieuse un jour de plus", dit l'actrice Anouska De Georgiou, qui affirme avoir été agressée sexuellement par le financier.
 

Toutes les humiliations publiques que j'ai subies, c'est moi qui ai souffert et lui  qui a gagné.
Chauntae Davies

Après avoir parlé, beaucoup s'étreignent et se consolent. Certaines pleurent en écoutant les autres évoquer des expériences tristement similaires à la leur : comment, alors qu'elles étaient jeunes et en situation souvent précaire, elles avaient été "recrutées", sous prétexte de massages anodins, avant d'être forcées à avoir des relations sexuelles avec Jeffrey Epstein.

Chauntae Davies raconte avoir passé deux semaines à l'hôpital, à "vomir à mort", après avoir été violée par le financier. "Toutes les humiliations publiques que j'ai subies, c'est moi qui ai souffert et lui (Epstein) qui a gagné", ajoute-t-elle.
 

La principale recruteuse introuvable

Beaucoup des femmes présentes se sont dites indignées devant le suicide de Jeffrey Epstein, un suicide qui a fait scandale aux Etats-Unis, déclenchant spéculations et autres théories du complot.
 

Le fait que je ne pourrai jamais confronter mon prédateur au tribunal me ronge l'âme.
Jennifer Araoz

"Je suis très en colère et triste car la justice ne sera jamais rendue dans cette affaire", s'exclame Courtney Wild, qualifiant Epstein de "lâche".

Une autre victime déclarée, Jennifer Araoz, estime que "même avec sa mort, Jeffrey Epstein essaie de nous blesser". "Le fait que je ne pourrai jamais confronter mon prédateur au tribunal me ronge l'âme," lance-t-elle.

Ghislaine Maxwell
Ghislaine Maxwell, un personnage énigmatique, ici une photo d'elle remontant au 7 novembre 1991.
©AP Photo/Dominique Mollard

Plusieurs d'entre-elles accusent directement Ghislaine Maxwell, la fille du magnat britannique des médias Robert Maxwell, de les avoir recrutées. Celle-ci a toujours démenti de telles accusations. Mais personne n'a pu la localiser jusqu'ici.

"Mi-ancienne petite amie, mi-employée", rapporte le Figaro dans un portrait consacré à cet énigmatique personnage. 

"Au fil des ans, des centaines de jeunes femmes auraient ainsi été manipulées par la séduisante âme damnée d’Epstein.", lit-on encore dans l'article qui précise que Ghislaine Maxwell a vendu sa maison new-yorkaise en 2015 pour 15 millions de dollars au moment même où elle a disparu du circuit mondain de Manhattan. Elle se trouverait probablement aujourd'hui à Londres...

Pas de procès mais qu'en est-il des complices ?

La plupart des accusatrices appellent les procureurs à traquer ses complices potentiels. "S'il vous plaît, s'il vous plaît, terminez ce que vous avez commencé. Les victimes américaines sont prêtes à dire la vérité. Il n'a pas agi seul", déclare Sarah Ransome, qui accuse Jeffrey Epstein d'avoir organisé un réseau d'exploitation sexuelle international.
 
Virginia Roberts Giuffre
Virginia Roberts Giuffre, est l'une des 16 femmes venues s'exprimer publiquement devant la cour de Manhattan, elle accuse Jeffrey Epstein de l'avoir agressée sexuellement., le 27 août 2019 à New York.
#AP Photo/Bebeto Matthews

 
Il faut continuer à faire la vérité et ne pas s'arrêter là.
Virginia Giuffre
"Il faut continuer à faire la vérité et ne pas s'arrêter là", renchérit de son côté Virginia Giuffre. Ses accusations contre Jeffrey Epstein et plusieurs autres personnalités dont le prince Andrew ont été révélées dans une série de documents judiciaires rendus publics début août. Le prince "sait exactement ce qu'il a fait et j'espère qu'il va être honnête", dit-elle aux journalistes après l'audience, alors que lui-même dément vigoureusement toute implication.
La procureure fédérale Maurene Comey leur a promis de poursuivre l'enquête. Le juge Richard Berman a lui salué "le courage" des femmes qui sont sorties du silence, et qualifié le suicide de "tournure sidérante des évènements".
 

Le ministère de la Justice a ouvert deux enquêtes sur les circonstances entourant ce suicide. Le médecin légiste a formellement conclu à un suicide par pendaison. Mais un avocat de Jeffrey Epstein, Martin Weinberg, dit douter toujours de cette explication. Au cours de l'audience, il a appellé le juge à ouvrir sa propre enquête.

Une enquête ouverte en France

La justice française a décidé de s'emparer de l'affaire. Une enquête préliminaire a été ouverte pour "viols" et "agressions sexuelles", notamment sur mineurs, dans le cadre de l'affaire du financier américain Jeffrey Epstein.

"Les investigations, confiées à l'Office central de répression des violences faites aux personnes, auront pour objet de mettre au jour d'éventuelles infractions commises non seulement sur le territoire national, mais aussi à l'étranger au préjudice de victimes françaises» ainsi que d'éventuels «auteurs de nationalité française", explique le procureur de Paris Rémy Heitz dans un communiqué. Cette enquête préliminaire a aussi été ouverte pour "association de malfaiteurs en vue de commettre des crimes" et "association de malfaiteurs en vue de commettre des délits punis d'au moins 5 ans d'emprisonnement".

justice française epstein
Le parquet de Paris a ouvert une enquête sur les ramifications françaises potentielles de l'affaire Epstein.
©capturedécran

Le financier américain possédait un appartement avenue Foch à Paris et comptait parmi ses proches amis, un certain Jean-Luc Brunel. Une victime présumée de Jeffrey Epstein a accusé cet agent de mannequins, fondateur des agences Karin Models et MC2 Model Management, d'avoir fourni des esclaves sexuelles à son ami américain.

Si le parquet a pris cette décision, c'est qu'il avait en sa possession des éléments suffisamment forts pour penser qu'il y avait eu des délits ou des crimes commis soit par des Français, soit par des étrangers en France ou des Français à l'étranger sur des victimes françaises.
Yves Crespin, association Enfant Bleu

L'association Innocence en danger avait saisi le parquet fin juillet après l'arrestation d'Epstein aux Etats-Unis et avait publié le 12 août, deux jours après sa mort, une lettre ouverte appelant le procureur de Paris à ouvrir une enquête. Elle a depuis reçu dix témoignages, principalement de victimes, certains venant de témoins, mais faisant tous état de faits s’étant déroulés sur le sol français.
 

"Il n'était pas seulement temps que la justice française s'implique dans l'affaire Epstein, il était nécessaire. Et si le parquet a pris cette décision, c'est qu'il avait en sa possession des éléments suffisamment forts pour penser qu'il y avait eu des délits ou des crimes commis soit par des Français, soit par des étrangers en France ou des Français à l'étranger sur des victimes françaises", a réagi Yves Crespin, avocat de l'Enfant Bleu, une association qui défend les enfants maltraités et victimes d'agressions, sur France Info.

Le magistrat ajoute qu'il n'a pas eu accès pour le moment à des victimes françaises présumées, mais que l'association est évidemment prête à recueillir les paroles de celles qui voudront bien la solliciter. 

Jeffrey Epstein avait été arrêté début juillet à son retour d'un voyage en France. Il risquait 45 ans de prison en cas de condamnation aux Etats-Unis.