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La peintre canadienne Helen McNicoll retrouve la lumière

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Hellen McNicoll, et son chevalet

Première rétrospective québécoise de l’impressionniste canadienne depuis près d’un siècle, l’exposition Helen McNicoll. Un voyage impressionniste permet de découvrir une artiste au destin aussi incroyable que fugace.

©Catherine François / Terriennes
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Surnommée la "peintre de la lumière", Helen McNicoll est trop longtemps restée dans l’ombre des autres grands maîtres de l’impressionnisme. Née à Toronto à la fin du 19ème siècle, cette artiste a pourtant peint en une décennie entre 250 et 300 tableaux. Une exposition nous invite à redécouvrir son oeuvre au Musée national des Beaux-Arts du Québec

Les parents d’Helen McNicoll, d’origine écossaise et britannique, sont venus s’installer au Canada. Helen nait donc à Toronto le 14 décembre 1879 dans une famille aisée qui s’installe par la suite à Montréal, où la petite Helen grandit. À deux, ans, elle attrape la scarlatine, ce qui va malheureusement la rendre sourde. 

Cela ne l’empêche pas de devenir peintre, ses parents l’encourageant à développer son talent et sa créativité. Helen McNicoll étudie à l’Art Association of Montreal, auprès de William Brymner qui lui conseille d’aller poursuivre sa formation en Europe, ce qu’elle fera en prenant Londres comme port d’attache. C’est là qu’elle sera en contact avec les milieux artistiques de l’impressionnisme et postimpressionnisme.  La fortune de sa famille lui donne la liberté de vivre sa passion et de peindre sans s’inquiéter du lendemain, ce qui n’est pas le cas de la majorité des artistes qu’elle côtoie. 

Hellen McNicoll

Hellen McNicoll disparait à 35 ans, alors que sa carrière est en plein essor.

©Catherine François / Terriennes

Elle traverse régulièrement l’Atlantique à bord de paquebots luxueux qui appartiennent à la compagnie Canadien Pacifique, dont son père est vice-président. Et elle voyage en France, en Belgique, en Italie, des pays qui vont inspirer plusieurs de ses tableaux.  

Je suis toujours très fière quand on met en évidence une femme artiste, à cette époque, les femmes étaient confinées à la domesticité, les femmes artistes étaient donc rares, et on ne les prenait pas au sérieux. La carrière d’Helen McNicoll est donc d’autant plus remarquable. Linda Tremblay, responsable des relations de presse au MNBAQ

La mort fauche brutalement la jeune artiste en juin 1915, elle succombe à des complications liées à son diabète, alors qu’elle n’a que 35 ans et que sa carrière est en plein essor. Elle a notamment été élue à la Royal Society of British Artists en 1913 et elle a été admise en 1914 à l’Académie royale des arts du Canada.  

Dix ans après sa mort, l’Art Association of Montreal organise une exposition posthume en son honneur, mais l’artiste va par la suite tomber dans l’oubli. 

Cette exposition, qui présente 65 de ses œuvres dont 25 appartenant au mécène québécois Pierre Lassonde, est la première rétrospective québécoise de l’impressionnisme canadien depuis près d’un siècle. Et Linda Tremblay, responsable des relations de presse au MNBAQ ne cache pas sa fierté : "Je suis toujours très fière quand on met en évidence une femme artiste, à cette époque, les femmes étaient confinées à la domesticité, les femmes artistes étaient donc rares, et on ne les prenait pas au sérieux. La carrière d’Helen McNicoll est donc d’autant plus remarquable. Elle est tout à fait digne de tous les grands peintres impressionnistes de l’époque".  

Expo Hellen McNicoll

Première grande rétrospective consacrée à l'immense oeuvre de la peintre impressionniste canadienne Hellen McNicoll au MNBAQ jusqu'au 5 janvier 2025 à Québec (Canada). 

© Catherine François / Terriennes

La peintre de la lumière 

Quand on demande à Florence Gariépy, historienne de l’art et responsable de la médiation adulte au MNBAQ, quel mot lui vient à l’esprit pour qualifier Helen McNicoll, elle répond sans hésiter : lumineuse. 

"Champs de chaume"

"Champs de chaume" est l'une des nombreuses scènes d'Hellen McNicoll saisies dans les prés, une série qui n'est pas sans rappeller celle de Monet. 

©Catherine François / Terriennes

"Elle a cette quête de luminosité qui évidemment est associée à l'impressionnisme et qu'elle a su explorer et renouveler tout au long de de sa carrière, explique l'historienne de l'art, Dans l'exposition, on oscille parfois entre l'impressionnisme, le postimpressionnisme même le néo-impressionnisme, il y a aussi des œuvres presque pointillistes dans leur esthétique, d’autres beaucoup plus réalistes. Elle a cette constante préoccupation pour la lumière, les rendus d'atmosphère. Elle explore sa palette qui est lumineuse et variée, mais dans la touche, dans la façon de traduire cette lumière-là, il y a quelque de très personnel".  

Elle a cette constante préoccupation pour la lumière, les rendus d'atmosphère. Elle explore sa palette qui est lumineuse et variée. Florence Gariépy, historienne de l’art

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Les critiques de l’époque saluaient aussi la "peintre du soleil" ou "la peintre qui répand le soleil sur ses toiles", et c’est ce que l’on constate en contemplant plusieurs tableaux, comme Septembre ensoleillé, À l’ombre de l’arbre (le seul tableau qui fasse partie de la collection du MNBAQ), La Cueillette des petits fruits, et Champs de chaume (une œuvre qui n’est pas sans rappeler la série de Monet sur le même thème), pour n’en citer que quelques-uns. 

"A l'ombre de l'arbre"

Helen McNicoll, À l’ombre de l’arbre, 1915. Huile sur toile, 107 × 81,5 cm. MNBAQ, achat (1951.140)

©Catherine François / Terriennes

Une femme qui aimait peindre les femmes 

Tout comme ses collègues impressionnistes, Helen aime sortir de son atelier pour capter la lumière des paysages qu’elle va peindre sur ses toiles. Elle va aussi chercher à jouer avec la lumière pour peindre ce qui est le sujet de prédilection dans son œuvre : les femmes.   

Elle s’est attardée à montrer le travail des femmes, celles qui cueillaient des petits fruits, ramassaient des pommes, s’occupaient des enfants etc. donc le thème des femmes est omniprésent dans son travail. Linda Tremblay

Les femmes sont au centre de l’œuvre d’Helen McNicoll. "Elle s’est attardée à montrer le travail des femmes, celles qui cueillaient des petits fruits, ramassaient des pommes, s’occupaient des enfants etc. donc le thème des femmes est omniprésent dans son travail", fait remarquer Linda Tremblay. 

Expo Hellen McNicoll, les femmes

Les femmes sont au coeur de l'oeuvre de la peintre canadienne Hellen McNicoll, comme on peut le découvrir dans l'exposition qui lui est consacrée au MNBAQ.

©Catherine François / Terriennes

Elle les peint sur les marchés, dans les champs, dans les rues, sur des plages, avec des enfants, et dans son atelier - l’exposition présente plusieurs tableaux de ces femmes dans son atelier dont celui particulièrement magnifique, Le sofa de chintz, peint en 1913. Son atelier était d’ailleurs très fréquenté par des femmes, "c’était un lieu de rassemblement pour discuter de l’actualité et faire avancer la cause des femmes", ajoute Linda Tremblay. 

Et cet atelier, elle le partageait avec celle qui aurait été, selon toute vraisemblance, la femme de sa vie : une peintre britannique, Dorothea Sharp, qu’elle a rencontrée en Angleterre. Elles ont fait de nombreux voyages ensemble, en France, en Italie. Et puis les deux femmes ont vécu à Londres du temps du mouvement des suffragettes pour le droit de vote. On ne sait pas si elles en ont fait partie, mais Dorothea a été impliquée dans la Society of Women Artists.  

Le divan de chintz

Le divan de chintz représente l’atelier londonien qu'Hellen McNicoll partage avec sa collègue artiste, la Britannique Dorothea Sharp (1874-1955), qui pose dans l’œuvre.
(Collection privée, Thornhill, Ontario)

DR

C'était une femme de son temps. C'est une femme qui est allée à contre-courant des attentes de sa classe sociale et de la société. Florence Gariépy, commissaire de l'exposition au MNBAQ

Peut-on pour autant qualifier Helen McNicoll de féministe ? "Alors ça, c'est une très bonne question. Je vous avoue que je me la suis posée moi aussi, répond Florence Gariépy, Parce que parfois, on a tendance à voir dans le féminisme quelque chose de très engagé et de très ostentatoire dans la façon de se positionner. Dans le cas d'Helen McNicoll, on a peu d'informations sur sa participation active, par exemple, au mouvement de droits des femmes. On sait qu'elle était dans des regroupements de femmes artistes, mais ça ne suffit pas nécessairement à se positionner au niveau social, au-delà d'une tentative de reconnaissance artistique"

"Cela dit, oui, c'était une femme de son temps. C'est une femme qui est allée à contre-courant des attentes de sa classe sociale et de la société. Elle ne se marie pas, elle n'a pas d'enfant et elle s'intéresse principalement à la représentation de la réalité féminine dans toute sa diversité, reconnait la commissaire de l'exposition, Moi je vous avouerai que j'y vois quand même une prise de position, sur la façon de valoriser et de chercher une équité, une égalité pour les femmes au sein de la société. J'oserais dire qu'elle était une artiste féministe, sans nécessairement affirmer que son art était activement féministe, mais dans sa façon de vivre sa vie, de vivre sa carrière, d'être et de choisir ses sujets, elle avait quand même cette visée-là, la valorisation de la femme, de l'expérience féminine, cela me semble assez parlant". 

"La cueillette des petits fruits"

Helen McNicoll, La cueillette des petits fruits, 1910. Huile sur toile, 102,4 × 86,9 cm. Collection Pierre Lassonde

©Catherine François / Terriennes

Méconnue du grand public 

Helen Mc Nicoll aurait peint entre 250 et 300 œuvres en une décennie, selon les estimations des spécialistes, et c’est une artiste que l’on continue à découvrir : "En effet, précise Linda Tremblay, la recherche sur cette peintre est en perpétuelle évolution car on découvre encore régulièrement de ses œuvres qui appartiennent à des collectionneurs privés". Florence Gariépy renchérit : "On sait qu’à la suite de son décès, en 1915, la majorité de ses œuvres sont restées pendant très longtemps dans des collections privées et il y a eu très peu d'acquisitions institutionnelle de tableaux de son vivant. Après l'exposition qui a eu lieu à Montréal en 1925, ça a pris un certain temps avant qu’on ait suffisamment d'œuvres de cette artiste qui circulent, qui soient vues pour qu'on la connaisse". 

Est-ce que le fait qu’elle ait été une femme, cela a a pu nuire aussi dans le grand récit de l'histoire de l'art ? Il y a peut-être de ça également. Mais fort heureusement, on la redécouvre progressivement. Florence Gariépy 

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"Et puis il faut dire que l'impressionnisme au Canada n’a pas nécessairement été apprécié aussi rapidement qu'ailleurs dans le monde, commente la spécialiste, À l’époque où elle peint, on considère encore ici que l'impressionnisme, c'est à la fois trop moderne et trop français. L’impressionnisme ne suscitait pas l’engouement que l’on voit partout aujourd’hui. Donc elle a été reconnue de son vivant, mais ses œuvres n’ont pas été exposées car peu de musées ont acquis de ses tableaux. Et je crois que ça a dû nuire certainement à sa reconnaissance. Est-ce que le fait qu’elle ait été une femme, cela a a pu nuire aussi dans le grand récit de l'histoire de l'art ? Il y a peut-être de ça également. Mais fort heureusement, on la redécouvre progressivement. Et on réalise aussi la contribution notable qu'elle a eu pour la reconnaissance de l'impressionnisme au Canada".   

"Clair de lune"

Le "Clair de lune" d'Hellen Mc Nicoll, une lumière reflétée qui s'inscrit dans la lignée des impressionnistes français.

©Catherine François / Terriennes

Pour l’historienne de l’art, Helen McNicoll s’inscrit parfaitement dans un postimpressionnisme européen et un impressionnisme naissant canadien, au même titre que ses homologues masculins. "Nous voulions mettre en lumière cette carrière exceptionnelle même si elle a été très courte, précise-t-elle, ce qu’elle a réussi à accomplir en une décennie, la reconnaissance qu’elle a eue comme femme artiste à l’époque. Elle a aussi été un pont culturel entre l’Europe et le Canada avec ces allers-retours réguliers entre les deux continents, elle a aussi contribué à enrichir notre connaissance de l’impressionnisme et à faire connaître l’art canadien. C’est vraiment une figure emblématique qui mérite d’être découverte"

Et c’est ce que nous faisons en arpentant cette très belle exposition qui regroupe six thématiques et a mis en scène des reproductions géantes de plusieurs tableaux pour mettre en valeur la touche et le talent unique de l’artiste. On réalise alors qu’Helen McNicoll aurait pu, si elle avait vécu plus longtemps, marquer encore davantage son époque et son art. Souhaitons que cette rétrospective traverse un jour prochain l’Atlantique pour que l’Europe découvre à son tour cette peintre de grand talent…  

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