"La petite dernière", l’ode à la différence de Fatima Daas, musulmane et homosexuelle

Dans son premier roman, La petite dernière, Fatima Daas dresse le portrait d’une jeune femme musulmane tiraillée entre sa foi et son homosexualité. Véritable révélation de cette rentrée littéraire, cette autofiction soulève un questionnement rarement abordé. Rencontre.
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Fatima Daas, 25 ans, est née dans la région parisienne de parents algériens. La Petite dernière est son premier roman. 
©photo Olivier Roller/Editions Noir sur Blanc
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La petite dernière (Éditions Noir Sur Blanc) est avant tout le récit d’une jeune femme incomprise, esseulée et secrète. Une jeune femme prénommée Fatima, comme la fille cadette du prophète Mahomet. Un prénom saint qui appelle à la ferveur et à la déférence envers les préceptes sacrés de l’islam, "un nom auquel il faut rendre honneur, un nom qu’il ne faut pas 'salir', comme on dit chez moi".

Dans ce récit qui aurait pu se nommer, Confessions intimes, tant l’autrice nous livre, les tiraillements de son personnage, Fatima Daas nous invite à un voyage dans son univers, qui est aussi celui des siens : Ahmed, le père absent et irrité par toute forme d'expression d’affection et Kamar, la mère affable, aimante et souveraine de son royaume, sa cuisine.

"Parce que c'est difficile d'être toujours à côté, à côté des autres, jamais avec eux, a côté de sa vie, à côté de la plaque"-écrit-elle- "j'ai décidé de ne renoncer à aucune de mes identités".

Outre les critiques provoquées par ses déclarations assimilant l’homosexualité au péché, le livre de Fatima Daas est novateur dans sa manière d’aborder les maux d’une jeune femme de son temps mais aussi de ses semblables, dont la romancière se plait à dire qu’elle n’est guère la porte-parole. L’ouvrage aborde effectivement d’autres sujets contemporains tels que l’incompréhension d’un milieu LGBT parisien face à certaines altérités mais aussi le classisme d’une élite intellectuelle incarnée par un enseignant qui doute des capacités de la jeune femme à travailler sérieusement sur un devoir d’espagnol et accessoirement à avoir des notes excellentes …

"Révélation", selon France Culture, "un livre qui vaut mieux qu'une polémique" pour le magazine Le Point, "un premier roman intime qui porte en creux d’autres voix que la sienne (...) qui s’esquisse entre le désir d’allégeance (à la religion, à la culture des parents, à la langue de leur pays) et le besoin d’émancipation", écrit Le Temps, "une autrice à suivre" selon les Inrocks. "Le monologue de Fatima Daas se construit par fragments, comme si elle updatait Barthes et Mauriac pour Clichy-sous-Bois", écrit Virginie Despentes. Une chose ne fait pas débat: Fatima Daas est venue secouer le monde littéraire francophone de cette rentrée sous pandémie. 

Pour Terriennes, l'autrice a accepté de parler de son roman mais aussi de son rapport à la littérature et aux écrivaines.

Fatima Daas
Fatima Daas sur le plateau de la RTS.
©RTS


Terriennes :  Vous portez comme nom d’emprunt, les prénom et patronyme de Fatima Daas, protagoniste de votre roman. Est-ce une manière de vous rattacher davantage à ce récit ?
Fatima Daas : J’ai effectivement choisi de prendre ce pseudonyme pour incarner le personnage. Donc, oui, c’est pour me rapprocher de cette histoire et là porter entièrement.

En raison de son homosexualité, nous voyons le personnage évoquer maintes fois dans le roman, la salissure et l’opprobre corrélés à son prénom Fatima. Un prénom qui est aussi celui de la fille cadette du prophète. Pourquoi entretient-elle ce sentiment ?
Fatima Daas est en fait, un personnage qui se doit de rendre honneur à ce prénom qui renvoie effectivement à la fille du prophète. Et du coup, elle entretient ce sentiment parce qu’elle a la sensation de ne pas être une bonne fille, ni une bonne musulmane à cause de son homosexualité.

Lorsque l’on prend la religion dans sa globalité, on remarque qu’il y a beaucoup de péchés et pourtant c’est toujours les homosexuels qui sont excommuniés.
Fatima Daas

Vous vous-êtes récemment retrouvée au cœur d’une polémique après avoir affirmée être dans le péché, en raison de votre homosexualité…
J’ai essayé de créer une histoire qui n’est pas forcement celle que l’on attend. À savoir le parcours d’une jeune femme qui ne renonce ni à son homosexualité, ni à sa religion comme on a l’habitude de le voir à travers des personnages qui vivent tellement mal ces deux identités qu’ils se retrouvent à faire un choix qu’est celui de renoncer à la religion sous prétexte qu’elle leur interdit de commettre ce péché… Lorsque l’on prend la religion dans sa globalité, on remarque qu’il y a beaucoup de péchés et pourtant c’est toujours les homosexuels qui sont excommuniés.
J’avais donc envie de raconter le fait que cette Fatima-là est une lesbienne qui ne renonce ni à sa sexualité ni à sa religion car elle n’a pas envie de la changer. Il ne s’agit pas de dire qu’elle a trouvé un islam qui fait qu’elle peut vivre son homosexualité sans considérer que c’est un péché, ça ne signifie pas non plus qu’elle s’en veut au point de renoncer à sa vie amoureuse. C’est juste qu’elle considère que c’est un péché comme beaucoup d’autres. Je crois que c’est ce qui n’a pas été entendu lors des polémiques.

On se construit sans représentations et en détestant la personne qu’on est, parce que la société nous accepte pas ainsi. C’est le cas lorsque l’on est musulman, ou homosexuel.
Fatima Daas

Que répondez-vous aux personnes qui ont discerné dans ces propos une forme d’homophobie intériorisée ?
J’entends l’homophobie intériorisée et j’en parle dans le roman. Après qu’on me reproche ou qu’on m’accuse d’homophobie pour avoir tenu ces propos-là est autre chose et je ne peux pas être d’accord avec cela parce que je suis lesbienne. Tout le monde a une homophobie intériorisée car on s’est construit sur des bases qui font qu’on se rejette soi-même. On se construit sans représentations et en détestant la personne qu’on est, parce que la société nous accepte pas ainsi. C’est le cas lorsque l’on est musulman, ou homosexuel. On se sent toujours à côté. Du coup, on se construit avec cette détestation de soi, que j’appelle l’homophobie intégrée dans le roman.
Cette homophobie intériorisée, elle est présente chez les homos comme chez les hétéros à travers des petites remarques qui peuvent paraitre à leurs yeux comme étant de simples blagues alors que c’est de l’homophobie. J’entends donc ces accusations, mais je n’ai pas envie d’y répondre car j’ai écrit un roman. Je n’ai pas à parler de moi ou à me positionner au nom de toutes les lesbiennes musulmanes, qu’elles soient issues de l’immigration ou vivant en banlieue. Je crois ne pas correspondre à ces voix-là. Il y a plusieurs parcours, plusieurs manières d’alimenter sa foi et de s’accepter ou non. Je ne représente personne à pars moi et le roman que j’ai écrit.

Outre l’homosexualité et l’islam, votre ouvrage aborde d’autres thématiques telles que le classisme, le manque de visibilité mais aussi l’incompréhension du milieu lgbt parisien envers d’autres altérités. Pourquoi avez-vous choisi d’aborder ces différents sujets dans une même œuvre ?
Tout à fait. Car le roman ne traite pas uniquement d’homosexualité et de religion mais aussi du fait de ne pas se sentir à sa place lorsque l’on s'engage dans une prépa. Une prépa qu’on veut réussir malgré soi car tout l’espoir du corps enseignant nous pousse à aller vers cette prépa qui garantit l’entrée aux grandes écoles et la réussite. Et du coup lorsque Fatima se fait humilier par son enseignant qui doute de ses capacités intellectuelles, on lui montre qu’elle n’est pas à sa place.
C’est un geste que nous pouvons relier à beaucoup de choses, notamment au fait qu’elle soit une femme, magrébine, de Clichy-sous-Bois. Concernant le milieu LGBT parisien, je dirais que son inconfort est lié à un manque de représentations. Elle a l’impression d’être seule dans cet environnement en tant que femme racisée, musulmane et lesbienne.

Le livre montre aussi des relations familiales tendues avec un père violent et inhabitué à toutes manifestations de tendresse et d’amour…
Le livre raconte une relation avec un père à la fois présent et absent. Présent de par sa violence, de par ses attitudes dures mais aussi parce qu’il a un bagage culturel et familial qui fait qu’il reproduit la violence qu’il a subi. J’avais donc envie de montrer la complexité des liens pères-filles avec tendresse et haine, colère et honte à travers ce père absent, qui n’arrive pas à s’exprimer, qui se rejette lui-même et les autres.

Il est aussi question de la mère. Qui est cette mère-là ?
Je pense que c’est un symbole de femme sacrifiée, qui a renoncé à beaucoup de choses pour sa famille et a toujours fait passer ses filles en premier. Après, on peut en penser ce qu’on veut, à savoir que ces sacrifices la mettent mal, mais c’est la seule qui est toujours présente et prend affectueusement soin d’elles. C’est aussi une femme libre et insoumise. D’ailleurs, l’histoire du royaume n’est pas anodine. J’ai voulu montrer qu’elle était la seule à avoir un contrôle sur ce royaume qu’est la cuisine. Elle ne laisse personne y rentrer pour y faire sa loi. C’est chez elle et uniquement son royaume. Je ne sais pas si c’est un modèle de mère puisque je ne crois pas au modèle de mère mais en tout cas, c’est un portrait de femme importante et symbolique.

J’ai la sensation de ne pouvoir concilier toutes ses identités sans qu’on ne me rappelle que je ne suis à ma place, soit parce que je suis trop arabe, trop lesbienne, trop musulmane ou trop banlieusarde.
Fatima Daas

Comment conciliez-vous aujourd’hui le fait d’être française et algérienne, musulmane et homosexuelle, banlieusarde et parisienne ?
C’est une grande question. En fait, je pense que je me rends compte qu’il n’y a pas un endroit en France où je pourrais concilier toutes ces identités-là. Je cherche donc encore l’endroit où je pourrais dire que je me sens chez moi. Et je ne sais pas si c’est cet endroit existe. J’ai la sensation de ne pouvoir concilier toutes ses identités sans qu’on ne me rappelle que je ne suis à ma place, soit parce que je suis trop arabe, trop lesbienne, trop musulmane ou trop banlieusarde. Et c’est pareil pour l’Algérie, quand j’y suis, on me ramène constamment à la France et au fait que je suis trop française. 

En tant que féministe, quel regard portez-vous sur les débats publics actuels en terme de consentement en France et à l’étranger depuis le mouvement MeToo ?
Je trouve qu’il y a une libération de parole très importante, qui s’élargit un peu dans tous les domaines, je trouve cela rassurant même si je constate qu’il y a une montée de violence à l’égard de toute personne opprimée qui ose prendre la parole. Car cette parole-là est vu comme un danger. Un danger pour le privilège des autres.

Vous citez Virginie Despentes, Annie Ernaux et Marguerite Duras comme étant des sources d’inspiration. De quelles manières influencent-elles votre écriture et votre réflexion ?
Ce sont des femmes avec des parcours qui me touchent particulièrement. Et je crois avoir trouvé ma voie en les lisant. Ce sont des voix qui restent importantes pour ce qu’elles disent et la manière dont elles le font dans un style direct. Elles sont aussi importantes pour leurs discours et la manière dont elles prennent position.

Qu’est-ce qui vous plait dans l’écriture que vous ne retrouvez pas dans la parole ?
Je pense que j’arrive m’exprimer avantage en écrivant. Car la parole est plus difficile pour moi qui ai souvent besoin de temps. L’écriture me permet donc de m’exprimer facilement sans entrer dans la communication avec quelqu’un d’autre. Acte qui implique souvent plus de responsabilités.