Fil d'Ariane
L’artiste, âgée de 40 ans et installée en France depuis plusieurs années, a voulu mettre en lumière ce thème, grâce à l’appui du festival Photoreporter International de Saint-Brieuc. Les victimes n’étant plus là pour en parler, il a fallu trouver un biais pour raconter ces histoires brisées de femmes, emportées par la jalousie ou la folie meurtrière de leur compagnon. Avec sa complice, la journaliste Alessandra Gavazzi, qui travaille sur ces questions depuis plus de sept ans, elles ont commencé par contacter les familles des victimes grâce aux associations et aux avocats.
« Nous avons mis beaucoup de temps à rencontrer les familles des victimes, explique Arianna. Sur une trentaine de familles sollicitée, seules 5 ont accepté de parler. » La plupart ont refusé en raison d’une douleur encore trop forte, trop présente. Celles qui brisent le silence le font pour « ne pas qu’on oublie leur fille », souligne Arianna.
J’ai cherché à montrer ce qui n’était pas visible
Arianna Sanesi
La photographe a donc articulé son travail autour de quatre parties. La première partie reprend des éléments du reportage fait dans les familles : le portrait poignant dans la pénombre d’une jeune fille qui dort dans la chambre de sa soeur depuis qu’elle a été assassinée. La deuxième partie s’articule autour de photos de graffitis trouvés sur les murs de villes italiennes -tous parlent d’amour- : « tu es tout pour moi » écrit sur le pignon d’une façade, « reviens-moi, remettons-nous ensemble, je t’aime » sur un mur. La troisième partie est consacrée à des natures mortes qui dressent un portrait en creux de la victime (une peluche par exemple ou des objets symboliques). « J’ai cherché à montrer ce qui n’était pas visible », détaille la photographe. Et parfois, c’est glaçant. Une photo de trophée de football s’accompagne de la légende : après avoir tué Cristina et ses deux enfants, son mari est allé au bar du coin voir la finale de la Coupe du Monde.
Enfin, la dernière partie est faite de photographies nocturnes. « Je voulais des ambiances italiennes, lance Arianna, il y a aussi une portée symbolique : on ne sait pas ce qui arrive derrière une fenêtre. » C’est d’ailleurs toute l’idée qui sous-tend le message que veut faire passer Arianna et la journaliste Alessandra Gavazzi. Il y a encore beaucoup à faire pour briser le silence et ne pas laisser se produire des drames dans l’intimité des couples. « Pour moi, la notion de crime passionnel est très trompeuse, relève la photographe. Il n’y a pas d’amour dans ce geste que du mépris pour l’autre et pour la femme. De plus, quand on parle de crime passionnel, on occulte ceux qui parmi les assassins ont de vrais problèmes mentaux. »
N’est-on pas le pays de la passion, de l’amour et de la jalousie ?
Alessandra Gavazzi, journaliste
La journaliste Alessandra Gavazzi qui a apporté sa contribution au projet, enquête pour un magazine italien sur ces questions. Elle souligne aussi la spécificité de son pays. « Partout dans le monde, le fait d’assassiner des femmes est lié aux stéréotypes sur le genre. En Italie, ces facteurs sont exacerbés par la culture et la mentalité. N’est-on pas le pays de la passion, de l’amour et de la jalousie ? ». Les deux femmes en sont convaincues : mentionner le féminicide dans la loi est un premier pas mais il ne suffit pas. Ce sont des générations entières qu’il faut éduquer.