Fil d'Ariane
La pilule abortive bientôt interdite sur l'ensemble du territoire américain ? Des anti-avortement demandent à un juge de suspendre sa légalisation. Pendant ce temps, dans la clandestinité et malgré les risques, un réseau de femmes s'organise à travers le territoire pour permettre à celles qui le souhaitent d'accéder à ce "dernier" moyen d'avorter, une pilule de plus en plus difficile à se procurer.
"Nous sommes clairement très inquiets, comme toute la communauté médicale devrait l'être. Cela serait une première très dangereuse", estime la présidente de l'organisation de planning familial Planned Parenthood, Alexis McGill Johnson.
La bataille se joue au Texas, l'un des premiers Etats à avoir interdit le droit à l'avortement aux Etats-Unis, dès septembre 2021. De là à craindre qu'une possible interdiction de la pilule abortive s'étende à l'ensemble du territoire... Il y a de quoi.
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C'est un magistrat ultra-conservateur d'Amarillo qui est appellé à statuer sur une demande d'opposants à l'avortement qui réclament de suspendre l'autorisation de ce moyen d'avorter, l'un des derniers encore possibles, (et encore faut-il pouvoir s'en procurer). À l'origine de ce dossier, une coalition de médecins et de groupes anti-avortement qui a porté plainte en novembre dernier contre l'Agence américaine du médicament (FDA). Ils lui reprochent d'avoir autorisé il y a 23 ans la Mifépristone (RU 486), une des deux pilules utilisées pour les interruptions médicamenteuses de grossesse. Un produit chimique susceptible selon eux de créer des complications.
SCOOP: Judge Kacsmaryk has scheduled a hearing Wednesday in the abortion pills case — and tried to keep it under wraps, citing security concerns. It is highly unusual to intentionally delay posting a hearing to the public docket.
— Caroline Kitchener (@CAKitchener) March 12, 2023
W/ @amarimow @PerryStein https://t.co/4J4eIqlpfT
[Selon le Washington Post, le juge Kacsmaryk a prévu une audience mercredi dans l'affaire des pilules abortives et a tenté de la garder secrète, invoquant des problèmes de sécurité. Il est très inhabituel de retarder intentionnellement l'affichage d'une audience au rôle public.]
La décision du juge Kacsmaryk pourrait avoir un impact aussi retentissant que l'arrêt de la Cour suprême des Etats-Unis ayant dynamité, en juin 2022, le droit à l'avortement. Depuis, une quinzaine d'Etats conservateurs ont interdit tous les avortements sur leur sol, et d'autres comme la Floride sont en voie de restreindre fortement l'accès aux IVG.
Due to centuries of systemic discrimination, abortion bans fall hardest on Black, Latina, Indigenous, and other people of color. Together, we must all fight back.
— Planned Parenthood Action (@PPact) December 11, 2022
This election, we saw voters give elected officials a directive: protect and restore abortion rights and access. pic.twitter.com/wr7ZY0WYp3
[En raison de siècles de discrimination systémique, l'interdiction de l'avortement frappe le plus durement les Noirs, les Latinas, les Autochtones et les autres personnes de couleur. Ensemble, nous devons tous nous battre. Une femme sur 3 en âge de procréer n'a plus accès à l'avortement. Au total, cela pourrait toucher à l'avenir 36 millions de personnes.]
Elles n'avaient pas attendu la décision couperêt de la Cour suprême pour organiser la résistance. Depuis des années déjà, un groupe de femmes tente, malgré les risques, et par tous les moyens de permettre à toutes les Américaines d'avoir accès à une méthode sûre d'avortement, en cas de besoin, que constitue la pilule abortive.
Plan C est à la fois le nom d'un documentaire projeté cette semaine au grand festival South by Southwest à Austin, aux Etats-Unis, et de l'organisation au centre du film. Il retrace les montagnes russes vécues durant plus de trois ans par ces femmes engagées, entre 2019 et 2022.
"Malheureusement, les anti-avortements ont en partie gagné", a déclaré à l'AFP la réalisatrice, Tracy Droz Tragos. Et "nous n'avons pas encore touché le fond aux Etats-Unis", craint-elle. "Mais de plus en plus de gens entrent en résistance et font en sorte qu'il y ait un accès" aux pilules abortives, dit-elle. "Donc il y a une alternative, il y a une réponse possible."
Le plan A, c'est la contraception. Ensuite, il y a le plan B, plus connu sous le nom de pilule du lendemain. Et puis, en cas de grossesse non désirée, le plan C : l'avortement médicamenteux. C'est pour mieux diffuser l'information autour de cette méthode que deux femmes, Francine Coeytaux et Elisa Wells, fondent l'association Plan C en 2015.
Elles commencent par tester les pilules pouvant être achetées sur le marché noir, sur internet, pour vérifier qu'il s'agit du vrai produit. Si oui, elles les répertorient sur leur site. Puis, durant la pandémie, face aux difficultés grandissantes pour trouver ces pilules, elles passent un appel pour recruter des médecins acceptant de les prescrire via télémédecine, et de les envoyer par la poste aux patientes.
"Après avoir parlé à environ 150 médecins, on a fini avec cinq", à la mobilisation "héroïque", raconte Elisa Wells. Plan C les aide à couvrir les coûts d'installation d'un service de téléconsultation, ou encore de licences médicales pour exercer dans plusieurs Etats. Ces femmes médecins opèrent alors malgré un flou juridique, jusqu'à ce que l'Agence américaine des médicaments (FDA) ne clarifie la situation: oui, les pilules peuvent bien être postées.
De nombreux services de téléconsultations naissent alors. Mais en juin 2022, séisme dans le pays: la Cour suprême rend aux Etats leur liberté de légiférer sur l'avortement, qui devient illégal dans une vaste partie du pays.
How ‘Plan C’ Director Tracy Droz Tragos Plans to Make Noise About Abortion Access at Sundance Film Festival https://t.co/IKd6UjXd53
— Variety (@Variety) January 19, 2023
[Comment la réalisatrice de "Plan C" Tracy Droz Tragos prévoit de faire du bruit sur l'accès à l'avortement au Festival du film de Sundance]
Notre article ►Au Canada, la pilule abortive finalement autorisée
"C'est comme faire tourner un cartel de drogue, mais pour aider les gens", déclare une des femmes anonymes du documentaire. Alors que l'accès est peu à peu drastiquement restreint, un fournisseur accepte de continuer à poster les pilules vers les Etats républicains, notamment le Texas. Un réseau sous-terrain s'organise.
La peur envahit chaque scène: peur pour les femmes utilisant les pilules, peur pour celles qui les aident. Mais aussi peur que tout s'arrête, et qu'elles se retrouvent sans solution.
"J'espère que nous en avons fait assez, et que ces gens resteront en sécurité", dit la réalisatrice, en regrettant qu'un médicament autorisé depuis plus de 20 ans aux Etats-Unis se retrouve à susciter de telles opérations clandestines. "C'est une tragédie", dit-elle.
Les détails du fonctionnement mis en place ne sont pas révélés dans le film, à dessein. Les visages sont floutés, les voix déformées, les pistes brouillées concernant les lieux filmés.
Ici l'équipe du film et du réseau Plan C lors de la projection au festival de Sundance aux Etats-Unis ►
Trouver une plateforme qui accepte de diffuser le documentaire se révèle aujourd'hui ardu. Les interlocuteurs trouvent le film "trop politique", disent devoir rester "neutres", explique Tracy Droz Tragos, dont un premier documentaire sur l'avortement avait été acclamé par la critique. Il donnait la parole aux militants des deux bords.
Elle espère que Plan C porte un message d'espoir pour les personnes qui le verront: qu'elles sachent "qu'elles ne sont pas seules, qu'il y a un réseau qui existe".
Face à la menace du jugement attendu au Texas sur la pilule abortive, les femmes de Plan C veulent garder espoir. "Nous restons optimistes sur le fait que même face à ces restrictions injustes, l'accès à la pilule abortive continuera à être possible", martèle Elisa Wells. "Nous pensons qu'il s'agit d'une forme de résistance, et qu'elle l'emportera."