Fil d'Ariane
C'était il y a six ans. Dans le bus qui nous transportait une amie aperçoit la manchette du quotidien que tenait entre ses mains un passager assis en face de nous : "le saumon d'élevage est cancérigène." Mon amie se tourne vers moi et me décrète : "J'arrête de manger du saumon". Et je pars d'un fou rire. Cette amie très chère fume un paquet de cigarettes par jour au minimum, ne dédaigne pas la dive bouteille, deux "travers" certainement tout autant, sinon plus, cancérigènes que le saumon, auxquels elle se livre de longue date et qu'elle n'est pas prête à abandonner.
Dans "J'arrête la pilule", un livre à charge et uniquement à charge, contre ce moyen de contraception qui fut conquis au terme d'une rude bataille par les femmes occidentales à la fin des années 1960, Sabrina Debusquat place les lectrices dans la situation de notre passagère face au saumon cancérigène : faisant fi des multiples facteurs possibles, de la génétique à la polution, la pilule, et elle seule, serait fautive des cancers féminins qui se développent. Et pourtant nombre de femmes seront fières de fêter son 50ème anniversaire le 17 décembre 2017.
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La pilule rendrait malade, ferait grossir, provoquerait des dépressions, annihilerait la libido, rendrait irritable etc, etc... Et nul ne nie qu'elle peut avoir des effets secondaires sur le corps, comme n'importe quelle chimie. L'essai de Sabrina Debusquat est tissé de chiffres difficiles à vérifier, de sondages spontanés a-scientifiques, d'affirmations assénées sans aucun doute : avec toutes les mêmes données cumulées et énumérées, on pourrait écrire un livre inverse, à la gloire de la pilule, ce qui serait aussi absurde que l'intention de l'auteure. On peut lire par exemple que "les femmes nées en 1950 ont 2,5 fois plus de risques de développer un cancer du sein que celles nées en 1910 et n'ayant pas connu la pilule." Mais entre 1910 et 1950, n'y aurait-il pas eu deux guerres mondiales, une révolution industrielle et des avancées sanitaires, médicales, permettant de détecter et nommer des maux qui ne l'étaient pas auparavant ?
Selon elle, encore, la plupart des gynécologues ou médecins seraient inacessibles, refuseraient toute discussion ou interrogation... Pour ma part, celles que je connais discutent avec leurs patientes et cherchent, avec elles, la contraception la plus adaptée à leur santé, leur mode de vie, leurs aspirations...
Et puis, il y a cette affirmation "miraculeuse" : "Le fait de supprimer l'ovulation (ce que fait la pilule, ndlr) rend également les femmes sous pilule moins attractives aux yeux des hommes." Mais bon sang, mais c'est bien sûr ! Mesdames, veuillez arrêter la pilule, de porter des pantalons et de vous couper les cheveux pour continuer à séduire vos seigneurs et maîtres.
Mais Sabrina Debusquat, qui s'affiche féministe, qui se voit comme une lanceuse d'alerte, et qui ne recule pas devant les contradictions, n'en démord pas : sur le plateau de TV5MONDE elle le redit, la pilule s'avérerait l'une des pires ennemies des femmes : "Nous arrivons à un moment inédit de l'histoire où nous avons des féministes, comme moi, qui sont en train de demander à ce que les droits progressent mais , paradoxalement, qui questionnent des aquis féministes ce qui est inédit dans l'histoire [or] le but est bien de progresser".
La thèse de cette jeune journaliste, très hostile au moyen contraceptif le plus répandu en France - ce que nous confirme l'Ined (Institut national des études démographiques) dans une récente étude, voir plus bas -, semble inspirée par l'air du temps, ce culte de la nature provoqué par les catastrophes écologiques, industrielles et sanitaires des 20ème et 21ème siècles. Une démarche a priori légitime, mais qui est sous-tendue par un modèle de société très conservateur : une sexualité réduite au cadre familial, au sein du couple, marquée par la fidélité, très éloignée de "l'amour libre" et des désirs multiples auxquels aspiraient les générations des années 1960 et 1970, avant l'apparition du Sida...
Cette glorification de nature provoque chez les plus jeunes - mais pas seulement -, tout ensemble un rejet des vaccins, des médicaments quels qu'il soient, une suspiscion qui entâche toute contraception hormonale, orale ou locale, comme on peut le voir en Belgique avec ce reportage de la RTBF ci-dessous, où la jeune femme interrogée répond : "La pilule, c'était castrateur pour moi". Informations fausses et effet de mode répondent un médecin et une sociologue.
Sabrina Debusquat propose de revenir aux méthodes naturelles qui auraient fait leur preuve, par une meilleure connaissance du corps féminin, en le scrutant, mais aussi en partageant l'effort contraceptif avec son conjoint/compagnon. Ce qui, selon elle, lui donne un brevet de femme "non rétrograde".
Alors sans doute, prendre la pilule des années durant peut être vécu comme une contrainte, peut s'avérer inapproprié à certaines femmes, mais pour beaucoup elle reste une alliée de l'émancipation. "La démocratie est le pire des systèmes, à l'exclusion de tous les autres." lançait Winston Churchill. Et s'il en allait de même, pour la pilule et la contraception ? Jusqu'à la prochaine découverte...
Si l'on veut que les femmes décident en toute liberté, en toute connaissance de cause, les peurs, les injonctions ne sont pas de bonnes conseillères.
Un mois avant le 50ème anniversaire de la légalisation de la pilule contraceptive en France, l'Institut national des études démographiques publie un état des lieux de la contraception en France et dans le monde. En voici les principaux enseignements :
"Le modèle contraceptif, centré sur la pilule, fait l’objet de controverses ces dernières années. Ailleurs dans le monde, la pilule tient une place moins importante qu’en France. Des pratiques contraceptives différentes selon les pays du monde Dans certains pays comme au Burkina Faso, en Irak ou au Mozambique, moins de 50 % des femmes d’âge reproductif en union utilisent une méthode de contraception, contre 83 % en France. (.../...)
Si l’on ne considère que les femmes qui ont recours à la contraception, on note que la méthode la plus utilisée dans le monde est la stérilisation, celle-ci étant plus souvent pratiquée sur le corps des femmes que sur celui de leur partenaire masculin. (.../...)
La stérilisation ne concerne pas seulement le continent américain puisqu’elle était utilisée par 39 % des femmes en Chine en 2006, 20 % en Espagne en 2006 et 11 % en Turquie en 2008. En France, la stérilisation à visée contraceptive, encadrée par la loi du 4 juillet 2001, occupe une place marginale dans les usages contraceptifs du fait d’un contexte nataliste encore prégnant : seules 5 % des femmes en union y avaient eu recours en 2010. Après la stérilisation, les méthodes les plus utilisées dans le monde sont celles dites « au long cours », c’est- à-dire ne nécessitant pas une prise ou une manipulation quotidienne. Ainsi, le contraceptif le plus utilisé en Chine (48 %), dans les Territoires palestiniens (46 %) et en Ukraine (38 %) est le dispositif intra-utérin (DIU) ou stérilet. Au Burkina Faso, lorsque les femmes utilisent une méthode de contraception, c’est à l’implant qu’elles ont le plus recours (45 %). La pilule est la troisième méthode contraceptive la plus utilisée dans le monde. Si les femmes d’âge reproductif en union y ont massivement recours en Algérie en 2012 (75 %), en France en 2010 (50 %), au Brésil en 2013 (43 %) et en Irak en 2006 (29 %), elle tient une place marginale dans les paysages contraceptifs mexicain (4 %) et chinois (1 %).
Enfin, l’injection hormonale, peu employée en France, occupe une place non négligeable dans le monde puisque cette méthode est utilisée par 45 % des femmes d’âge reproductif en union au Kenya en 2015, 44 % au Mozambique en 2011 et 24 % au Pérou en 2014. Le cas de l’Espagne vient questionner l’idée d’une contraception essentiellement prise en charge par les femmes, puisque le recours à des méthodes considérées comme masculines (stérilisation masculine, préservatif et retrait) représente près de 53 % des usages contraceptifs contre 15 % en France et 37 % aux États-Unis d’Amérique. Ces différences d’usages entre pays ne peut s’expliquer que par l’analyse des contextes historiques et sociaux qui ont accompagné le développement du recours à la contraception.
L'enquête de l'IFOP menée avec Illicomed "site d'information destiné à répondre à toutes les questions que vous pouvez vous poser sur les maladies, les traitements et la santé en général", montre qu'en 2018 la tendance s'accentue et "que la prolifération des débats sur les dangers des pilules contraceptives pouvait impacter fortement le choix des femmes quant à leur contraceptif : une dénonciation médiatique d’un grand nombre d’effets secondaires, peuvent expliquer que cette méthode contraceptive n’attire plus autant les femmes qu’avant, mais ce ne sont pas les seules raisons de ce phénomène." La contrainte quotidienne est aussi invoquée par les utilisatrices qui y ont renoncé. Et la croyance en un risque d'obésité : "Les risques sur la santé sont la raison N°1 de l’abandon de la pilule pour 51% des femmes en surpoids l’ayant arrêtée. En effet, le lien, selon elles, entre obésité et pilule augmenteraient les probabilités d’être victime de complications de santé." Beaucoup mettent aussi sur le compte des hormones la perte de la libido....
Si 80% des femmes ont déjà essayé la pilule au moins une fois dans leur vie, elles sont 37% actuellement sous traitement hormonal oral pour éviter une grossesse, 25% privilégiant le DIU (stérilet), 16% n’utilisant que le préservatif et 5% ayant installé l’implant. 8% des femmes n’utilisent aucune méthode anti-conception.