La PMA procréation médicalement assistée pour toutes, nouvelle pomme de discorde en France

Après la clôture des Etats généraux de la bioéthique le 5 juin 2018, la remise d'un rapport de 200 pages issu de ces discussions, le Comité d'éthique dispose de trois mois pour rendre son avis sur les sujets les plus épineux de ces rencontres. Au premier rang desquels la PMA, procréation médicalement assistée, ouverte à toutes. Ou pas. En attendant la nouvelle loi, en septembre 2018, adversaires et partisans s'affrontent par voie de pétition et de # mots dièses furieux.
Image
pma débat
En 1988, ici à New York, la PMA affichait quelques années de bons et loyaux services, mais auprès de papas mamans hétérosexuels seulement, comme on les voit réjouis sur ce cliché. Pas de mère célibataire, pas de couples d'homosexuelles... 30 ans plus tard, le monde a pourtant changé... 
AP Photo/Adam Stoltman
Partager 11 minutes de lecture
Dans la société civile, la bataille fait déjà rage. Avec plus de virulence encore que le mariage pour tous avant le vote de la loi l'autorisant en mai 2013. Parce que de même que pour les ultra-conservateurs l'union sacralisée devant Dieu ou le maire ne peut se penser qu'entre deux personnes de sexe opposé, la maternité ne peut se concevoir qu'avec un papa et une maman, et surtout pas avec deux mamans, deux papas, ou un.e seul.e, sauf accident de la vie... 

Depuis que le "Rapport de synthèse du comité consultatif national d’éthique" a été remis début juin à l'Opecst (Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques) après quatre mois d'auditions, de réflexion et d'écriture entre janvier et avril 2018, l'affrontement se poursuit entre partisan.es et adversaires de l'ouverture de la procréation médicalement assistée (principalement la fécondation in vitro) à toutes les femmes, qu'elles soient célibataires ou en couple de même sexe. On rappellera que le candidat Emmanuel Macron avait inscrit la PMA pour toutes dans son programme. Devenu président, il semble hésiter... 

Procréation et société, un sujet hautement inflammable

Le thème "procréation et société" n'était pourtant que l'un des neufs sujets abordés -  "Santé et environnement", "Fin de vie" ou "Intelligence artificielle et robotisation" sont au moins aussi importants pour l'avenir de l'humanité, et pourtant ils ne se retrouvent pas l'objet de tirs croisés sur les réseaux sociaux, surtout occupés il est vrai par les disciples de la Manif pour tous, qui ont trouvé là un nouveau sujet d'exaltation. Voici un petit échantillon "soft" de leurs salves, où l'on retrouve pêle-mêle la peur de l'absence du père, celle de la "marchandisation" de la maternité sacralisée, ou encore de la perte de la non moins sacro-sainte "nature" : 
Les partisan.es de cette ouverture, face à ce déluge, en attendant les conclusions qui devraient aboutir à une nouvelle loi générale de bioéthique en septembre 2018, se mobilisent à leur tour, principalement par le biais d'une pétition qui dénonce la sur-représentation des opposants à la PMA pour toutes dans les débats, et l'invisibilation des femmes - on a pu voir des dîners de discussion composés essentiellement... de messieurs sur une affaire principalement de femmes : le 23 mai, Emmanuel Macron recevait pour en discuter 15 hommes et 2 femmes (hétérosexuelles). Pour beaucoup,le compte n'est décidément pas bon. 
L'association"Osez le féminisme", qui avait demandé à être auditionnée et a envoyé une contribution au débat, a donc lancé un appel le 12 juin pour renverser la tendance. "Nous exigeons la fin de cette discrimination par le dépôt au Parlement d’un projet de loi permettant enfin l’accès de la PMA aux femmes seules et en couples lesbiens, c’est-à-dire à TOUTES les femmes.​" exigent les pétitionnaires...
D'autres font appel à des têtes d'affiche, comme la championne de tennis Amélie Mauresmo qui fut l'une des premières athlètes femmes à afficher son homosexualité et sa grossesse... 
 

Nature, famille, filiation contre société, égalité, diversité

Quarante ans après la naissance de Louise Brown, première bébé éprouvette du 20ème siècle, les unes et les autres s'opposent violemment, comme le prouvent encore une fois les 14 pages du rapport des Etats généraux de la bioéthique qui en comptent 198 en tout.  Quelques feuillets qui rendent compte d'auditions directes d'associations, d'institutions, d'églises, de praticiens, et même de participations citoyennes via le site des Etats généraux.  La PMA est le sujet qui a suscité le plus grand nombre de contributions : 29106 contributions, 317416 votes, 17559 participants, loin devant "la prise en charge de la fin de vie", autre thème qui provoque bien des débats... 

Sans doute parce que la conception encore plus que la mort se trouve au carrefour des mots et des maux : elle sollicite la pensée magique, naturelle, superstitieuse même, religieuse, autant de courants qui se portent bien en ces temps d'incertitudes, y compris chez les plus jeunes. Invoquer la suprématie de la nature, de la famille avec un père et une mère, de la filiation, du refus de la marchandisation de la maternité, des droits des enfants - surtout de ceux qui sont à naître comme pour les adversaires du droit à l'avortement -, semble sonner juste dans un monde en manque de repères. Au delà des traditionnalistes ultra-conservateurs de la "Manif pour tous" la démarche fait résonance au sein d'autres mouvements effrayés par certains aspects de la révolution technologique, pharmaceutique, médicale (voire le refus des contraceptions hormonales, ou encore des vaccins, par exemple). 
 
pma débat Louise Brown
En 2003, Louise Brown, que l'on voit sur cette photo au centre au milieu de dizaines d'autres enfants issus de PMA, avait tout juste 25 ans. Elle était née en juillet 1978, premier bébé "éprouvette", conçu par FIV, fécondation in vitro... Quatre ans avant Amandine, première FIV française. Depuis, la technique s'est répandue, aujourd'hui en butte aux barrière idéologiques
AP Photo/Alastair Grant

Droits et désirs des femmes

De l'autre côté, on mobilise des notions issues des lumières, des révolutions des 18ème, 19ème et 20ème siècles. Les mots d'égalité (économique ou sociale de toutes les femmes, de tous les couples, face à la médecine), de diversité (des chemins, des choix de vie, de sexualité), de parentalité (en lieu et place de la famille éternelle composée de papa/maman), de société (c'est à dire d'action, de changements, d'évolution), de liberté (de disposer de son corps), et de droits aussi, ceux des femmes, reviennent souvent dans la bouche des personnes favorables à la PMA pour toutes.

Celles-là pointent surtout les discriminations à l'oeuvre en France dans les possibilités de recours aux techniques de fécondation autres que "naturelles". Discriminations entre les couples mariés : les bons hétérosexuels, les mauvais homosexuels ; inégalité économiques : entre les femmes "aisées" qui peuvent partir à l'étranger obtenir une PMA dans les pays qui l'autorisent, et les défavorisées socialement dans l'incapacité d'y parvenir. 

A cela s'ajoute un fossé entre les tenant.es d'une médecine physiologique réservée aux soins, en l'occurence destinée à pallier l'infertilité de couples femme/homme, et les aspirant.es à une santé élargie aux champs des possibles, des désirs, et des maux psychologiques.  

On est parfois sereines, parfois désespérées. Mais on est déterminées, archi-déterminées à lutter contre l'inégalité devant la PMA
Marie et Ewenne, en couple, candidates à une PMA

Les Françaises ayant eu recours à ces techniques, qu'elles soient en couple ou célibataires, semblent avoir été peu ou mal entendues dans le débat en cours. Pourtant, elles ont beaucoup à dire. Ainsi de Marie et Ewenne, à Montauban (sud-oust) deux femmes mariées depuis 2014,  bien "déterminées" à faire reconnaître par la justice leur droit à devenir mères. Interrogées par l'AFP, elles racontent leur combat, leurs espoirs, et leurs coups de blues, dans ce parcours de combattantes. "On est parfois sereines, parfois désespérées. Mais on est déterminées, archi-déterminées à lutter contre l'inégalité devant la PMA". La maison, elles l'ont achetée "clairement pour fonder une famille", dit Marie, qui situe son désir d'enfant à ses trente ans. "Moi, explique Ewenne, ce n'était pas un rêve quand j'étais jeune. Ca m'est venu en rencontrant Marie".

Toutes deux connaissent des difficultés de fertilité. Elles pensent donc pouvoir rentrer dans le cadre de la loi existante qui autorise la PMA à des fins thérapeutiques. Sauf que cela s'applique uniquement dans un cadre hétérosexuel. En 2014, lorsqu'elles sollicitent l'hôpital toulousain Paule de Viguier pour une PMA, la réponse est lapidaire :  "la loi Bioéthique actuellement en vigueur en France n'autorise pas la prise en charge des couples homosexuels".

Le même jour (5 juin 2018) que la remise du rapport des Etats généraux de la bioéthique, leur avocate dépose une "Question prioritaire de constitutionnalité (QPC)" devant le tribunal administratif de Toulouse.  Pour que "le Conseil Constitutionnel soit saisi de la question de savoir si l'article du code de la santé publique (L2141-2) qui réserve les PMA aux couples hétéros infertiles est conforme ou non à la Constitution et notamment au principe d'égalité de traitement" explique leur avocate Me Caroline Mécary.

Ce n’était pas un caprice. Nous étions tout à fait à même d’apporter un équilibre affectif au sein d’une relation saine, avec plein d’amour et c’est ça qui compte
Isabelle Laurans, ICIMAMASOLOS  

Dans un reportage réalisé par France Télévision (voir ci-dessous) ce sont des femmes seules, hétérosexuelles qui témoignent de leur chemin chaotique vers la maternité, émaillé de séparations et autres écueils de vie. Isabelle Laurans et Anne-Sophie ont même fondé l’association ICIMAMASOLOS pour appuyer d’autres candidates, aussi perdues qu’elles le furent. Toutes les deux en avaient les moyens, alors elles ont pu partir en Belgique mener leur projet à son terme. Elles ont été contentes de retrouver leur définition, ouverte, de la parentalité dans le rapport.

« Ce n’était pas un caprice. Nous étions tout à fait à même d’apporter un équilibre affectif au sein d’une relation saine, avec plein d’amour et c’est ça qui compte… » affirme Isabelle Laurans. Toutes deux réfutent l'argument le plus répété des opposants celui de l’absence des pères, terrible handicap pour les enfants selon eux. « Moi-même je fais très attention à la présence de figures masculines dans l’entourage de ma fille. Et je fais tout pour éviter une relation fusionnelle entre elle et moi » dit encore Anne-Sophie.

Les récentes études sociologiques menées sur les nouvelles familles, recomposées, décomposées, réinventées, démentent toutes une nocivité consécutive à la carence de père.

Chargement du lecteur...

Agiter le chiffon rouge de la GPA et des banques de sperme

Quand ils sont à bout d'arguments, les adversaires de la PMA utilisent deux arguments qui frôlent la mauvaise foi : la procréation médicalement assistée conduira inéluctablement à la GPA - gestation pour autrui, "son antichambre" comme a prévenu l'archevèque de Paris Michel Aupetit, cette horreur qui fera des ventres des femmes une marchandise vendue aux enchères (elle est pourtant autorisée dans la très catholique Pologne...). Parce que bien sûr les couples d'homosexuels hommes s'engouffreront dans la brêche. Une fausse liaison dangeureuse, deux sujets très distincts. 

Ou alors, ils/elles font valoir que les banques de sperme connaîtront un déficit criant et que là aussi, le liquide séminal si précieux de ces messieurs sera vendu au plus offrant. Sans compter que sa rareté fera qu'il sera distribué à tous vents, et que les unions incestueuses, entre enfants issus de mêmes spermatozoïdes, se multiplieront dans l'avenir, au hasard des rencontres. 

Sans doute ceux celles-là n'ont-ils jamais eu vent d'enfants nés d'adultères dans le plus grand secret des saintes familles, frères et soeurs sans le savoir, amoureux pour le meilleur et pour le pire...

La PMA procération médicalement assistée ou AMP, son nom officiel - assistance médicale à la procréation - en France et en Europe en quelques chiffres : 

Un enfant sur trente en France est conçu grâce à l'assistance médicale à la procréation (AMP/PMA), selon des chiffres de l'Ined dévoilés le 4 juin 2018, en plein débat sur l'extension de ces techniques aux couples de femmes homosexuelles et aux femmes seules. La FIV (fécondation in vitro) est largement majoritaire et représente "70% des enfants conçus" par PMA. La FIV consiste à mettre en contact des ovocytes et des spermatozoïdes en laboratoire. Après fécondation, l'oeuf est transféré dans l'utérus de la femme. 300 000 enfants ont été conçus par FIV entre 1981 et fin 2014. Si la tendance se poursuit, les 400 000 seront atteints fin 2019.

Le cadre législatif français a été fixé par une série de loi votées entre 1994 et 2015, après une large consultation de la société civile qui avait commencé en 1988. Elles définissent, entre autres, le champ de la PMA (infertilité ou maladies transmissibles) et les catégories de personnes aurorisées à y recourir (couples mariés hétérosexuels). Sont totalement proscrits : le clonage reproductif, la gestation pour autrui et l'insémination non encadrée médicalement. 

La PMA en Europe est autorisée pour les couples de même sexe dans sept pays : la Belgique, le Danemark (pour les femmes mariées uniquement), l'Espagne, la Finlande, les Pays-Bas, le Royaume-Uni et la Suède.

Suivez Sylvie Braibant sur Twitter > @braibant1