La poétesse américaine Louise Glück, prix Nobel de littérature 2020

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Louise Gluck

Louise Gluck en 1994, un an après avoir reçu le prix Pulitzer pour Wild Iris ("L'iris sauvage").

©AP Photo/TobyTalbot
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La poétesse américaine Louise Glück, âgée de 77 ans, remporte le prix Nobel de Littérature. Il couronne une oeuvre qui puise à l'enfance et à la nature, et pose la question : "Qu'est-ce qu'être une femme". Louise Glück est la 16ème femme à se voir décerner ce prix depuis sa création, en 1901, confirmant un millésime 2020 des Nobel très féminin.

Choix pointu et audacieux pour ce prix Nobel de Littérature 2020, Louise Glück est couronnée "pour sa voix poétique caractéristique qui, avec sa beauté austère, rend l'existence individuelle universelle", a annoncé l'Académie suédoise en lui décernant le prix. Le président du comité, Anders Olsson, lui, salue une poétesse du changement radical et de la renaissance.

Si les Français ne connaissent pas Louise Glück, c'est que la traduction de ses écrits, en français, est restée jusqu'ici confidentielle, faute de parution en volume, et se limite à des revues spécialisées - poésie. Et pourtant, même vouée à la confidentialité que réserve notre époque aux vers libres, sa poésie est très accessible. Adepte du dépouillement, elle cite pour premières influences de jeunesse des poètes connus pour leur clarté d'expression, William Butler Yeats (prix Nobel 1923) et T.S. Eliot (prix Nobel 1948).

Une poésie épurée

Louise Glück évolue évolue dans l'élipse et le non-dit. Ses mots sont simple et se passent d'appareil critique explicatif. Ainsi son anglais se lit-il sans trop de peine avec quelques notions de cette langue. Comme dans cet extrait de Averno (2006, ci-contre) qui reste son recueil magistral, une interprétation visionnaire du mythe de la descente aux enfers de Perséphone en captivité de Hadès, le dieu de la mort.

En plus de 50 ans d'écriture, Louise Glück a publié 13 recueils. Le dernier, en 2014, s'intitule Faithful and Virtuous Night ("Nuit fidèle et vertueuse").

Son patronyme germanique lui vient de grands-parents juifs de Hongrie qui ont émigré vers les Etats-Unis au début du XXe siècle. Elle-même naît en 1943 à New York, dans une famille qui l'encourage à exprimer sa créativité. L'enfance et la vie de famille, la relation étroite entre les parents et les frères et sœurs, sont une thématique centrale de son oeuvre : "J'étais une enfant solitaire. Mes intéractions avec le monde en tant qu'être social étaient peu naturelles, forcées, des représentations, et j'étais la plus heureuse quand je lisais. Bon, ce n'était pas tout à fait aussi sublime que ça, je regardais beaucoup la télévision et mangeais beaucoup aussi", raconte-t-elle. L'une de ses héroïnes d'enfance était Jeanne d'Arc, à laquelle elle consacre un court poème en 1975 : "Et maintenant les voix répondent que je dois/me transformer en feu, selon le dessein de Dieu"...

Son adolescence est difficile, elle souffre d'anorexie. L'un de ses traumatismes est la perte d'une soeur aînée, morte peu après la naissance. Dans Lost Love ("Amour perdu", 1990), elle écrit :
"Ma soeur a passé toute une vie dans la terre
Elle est née, elle est morte
Entre-temps,/pas un regard"...

Eloge du silence

Venue de la bruyante amérique, Louise Glück dit le silence qui précède l'écriture, raconte Claude Askolovitch sur France Inter. Elle décrit ainsi son travail : "Pour composer des poèmes, j'attends et j'écoute. Je guette un son qui ne résonne pas comme les anciens sons. Mais parfois, cela se fait attendre. De longues périodes de ma vie ont été silencieuses, cela signifie ne pas écrire du tout pendant deux ou parfois trois ans."

"Ce que cela signifie d'être une femme"

Louise Glück abandonne ses études, se marie puis divorce peu après. Elle commence à se révéler en 1968, avec un premier recueil intitulé Firstborn ("Aînée"). Un second mariage lui apporte plus de stabilité ; elle reprend alors ses études et devient universitaire. Louise Glück est mère d'un enfant. 

La jeune femme dans la poésie de Glück s'intègre dans le discours féministe de plusieurs décennies sur "ce que cela signifie d'être une femme".
Allison Cooke, chercheuse en littérature

"A travers toute l'oeuvre poétique de Louise Glück, nombre des figures centrales de ses poèmes sont féminines (...) soit une jeune femme, que l'on distingue souvent comme la fille de quelqu'un, soit une mère", écrit Allison Cooke, chercheuse en littérature. "La jeune femme dans la poésie de Louise Glück s'intègre dans le discours féministe de plusieurs décennies sur 'ce que cela signifie d'être une femme'", ajoute-t-elle.

Outre son enfance et les femmes, l'une des grande sources d'inspiration de Louise Brück est la nature et ses beautés sans fard. L'un de ses poèmes, Japonica (un groupe de papillons), rappelle l'art raffiné des peintres japonais. Il commence ainsi :
"Les arbres fleurissent
sur la colline.
Ils portent
de grosses fleurs solitaires,
des japonicas"...

Dans un entretien avec une revue de poésie américaine en 2006, elle se défendait d'être une spécialiste des motifs floraux : "J'ai eu beaucoup de demandes à ce sujet, mais je ne suis pas horticultrice". Elle avait publié en 1992 The Wild Iris ("L'Iris sauvage"), recueil qui déploie tout un jardin et lui vaut, en 1993, le prix Pulitzer, l'un des plus prestigieux au monde.

Avant Louise Glück, seules deux autres femmes ont été distinguées pour leur oeuvre poétique. La Chilienne Gabriela Mistral est la première poétesse nobélisée en 1945. Pionnière des écrits féministes, elle jouit d'un grand prestige dans son pays, à l'égal de Pablo Neruda. Cinquante ans plus tard, en 1996, une deuxième poétesse est primée. L'Académie salue en la Polonaise Wislawa Szymborska, "la représentante d'un regard poétique d'une pureté et d'une force inhabituelle".

L'an passé, le prix 2019 avait été attribué à l'écrivain autrichien Peter Handke, aux sulfureuses positions pro-Milosevic, provoquant une très vive controverse, s'ajoutant à un scandale sexuel qui avait déchiré l'Académie il y a trois ans, provoquant le report historique du prix 2018.

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